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27/03/2024 | FRANCE | N°22PA04333

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 27 mars 2024, 22PA04333


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mai 2019 par lequel le garde des Sceaux, ministre de la justice, l'a radié des cadres pour refus de reclassement pour inaptitude physique.



Par un jugement no 1906045 du 21 juillet 2022, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :



Par une requête et des mémoires complémenta

ires, enregistrés respectivement les 29 septembre 2022, 8 février 2023, 13 mars 2023 et 12 avril 2023, M. A..., r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mai 2019 par lequel le garde des Sceaux, ministre de la justice, l'a radié des cadres pour refus de reclassement pour inaptitude physique.

Par un jugement no 1906045 du 21 juillet 2022, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 29 septembre 2022, 8 février 2023, 13 mars 2023 et 12 avril 2023, M. A..., représenté par Me Chastel, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1906045 du 21 juillet 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 mai 2019 portant radiation des cadres ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ni le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ni le comité médical n'ont été consultés lorsqu'il a repris son activité en décembre 2018 et préalablement à l'édiction de l'arrêté portant radiation des cadres ;

- la procédure de reclassement réalisée par l'administration était irrégulière dès lors que les offres de poste qui lui ont été transmises n'étaient pas suffisamment précises ;

- le comité médical et le médecin de prévention ont été induits en erreur afin qu'ils soient incités à conclure à son inaptitude définitive et à son reclassement sur un poste administratif ;

- l'administration ne pouvait mettre en œuvre la procédure de reclassement dès lors qu'il pouvait occuper un poste adapté à son état de santé ;

- il n'était pas inapte au poste qu'il occupait depuis l'année 2011 ;

- l'inaptitude physique constatée par l'administration n'était pas définitive.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête présentée par M. A... est irrecevable dès lors qu'elle se borne à énoncer, de manière presque identique, les moyens présentés en première instance ;

- il s'en remet à ses écritures de première instance.

Par un courrier du 13 février 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour était susceptible de prononcer d'office une injonction au réexamen de la situation de M. A... sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, en cas d'annulation de la décision contestée.

Des observations en réponse à ce courrier, ont été présentées pour M. A... le 20 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Zeudmi Sahraoui,

- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Chastel, représentant M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., agent relevant du corps d'application et d'encadrement du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, a été affecté, à compter du 1er décembre 2000, en qualité de surveillant pénitentiaire, au sein de l'Etablissement public de santé national de Fresnes (EPSNF). A la suite d'une dégradation de son état de santé, M. A... a été affecté, à compter du 1er avril 2011, sur un poste ne nécessitant pas le port d'un gilet pare-balle et en dehors de tout contact avec les détenus. Par un avis du 24 janvier 2017, le comité médical départemental a considéré que l'agent était inapte définitivement aux fonctions de surveillant pénitentiaire et qu'un reclassement devait être envisagé. Par un arrêté du 17 mai 2019, le ministre de la justice a radié des cadres M. A... en raison de son refus de reclassement pour inaptitude physique. M. A... relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir soulevée en défense :

2. La requête de M. A... ne constitue pas la reproduction littérale de sa demande de première instance et est suffisamment motivée. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice doit être écartée.

Sur la légalité de l'arrêté du 17 mai 2019 et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

3. Aux termes de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 30 novembre 1984 pris en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat en vue de faciliter le reclassement des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions : " Lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, de façon temporaire ou permanente, et si les nécessités du service ne permettent pas un aménagement des conditions de travail, l'administration, après avis du médecin de prévention, dans l'hypothèse où l'état de ce fonctionnaire n'a pas rendu nécessaire l'octroi d'un congé de maladie, ou du comité médical si un tel congé a été accordé, peut affecter ce fonctionnaire dans un emploi de son grade, dans lequel les conditions de service sont de nature à permettre à l'intéressé d'assurer les fonctions correspondantes. ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Lorsque l'état de santé d'un fonctionnaire, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas de remplir les fonctions correspondant aux emplois de son corps, l'administration, après avis du comité médical, propose à l'intéressé une période de préparation au reclassement en application de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. (...) ". Il résulte des dispositions précitées que, lorsqu'un fonctionnaire est reconnu, par suite de l'altération de son état physique, inapte à l'exercice de ses fonctions, il incombe à l'administration de rechercher si le poste occupé par ce fonctionnaire ne peut être adapté à son état physique ou, à défaut, de lui proposer une affectation dans un autre emploi de son grade compatible avec son état de santé. Si le poste ne peut être adapté ou si l'agent ne peut être affecté dans un autre emploi de son grade, il incombe à l'administration de l'inviter à présenter une demande de reclassement dans un emploi d'un autre corps.

4. Aux termes de l'article 3 du décret 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire : " Les membres du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire participent à l'exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. / Ils maintiennent l'ordre et la discipline, assurent la garde et la surveillance de la population pénale et participent aux modalités d'exécution de la peine et aux actions préparant la réinsertion des personnes placées sous main de justice. / Ils peuvent exercer, sous réserve d'y être reconnus aptes, des fonctions complémentaires spécialisées contribuant au bon accomplissement de leurs missions principales. Ces fonctions spécialisées et les modalités de reconnaissance des aptitudes nécessaires pour les exercer sont fixées par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. / Les premiers surveillants et les majors pénitentiaires assurent l'encadrement des surveillants, surveillants principaux et surveillants brigadiers. / Les membres du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance ont vocation à être affectés dans les services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, à l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, à l'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice ou en administration centrale du ministère de la justice. / Ils exercent leurs missions en tenue ou en civil selon la nature des fonctions assurées. / Ils sont nommés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. ". Il résulte de ces dispositions que les missions des membres du corps d'application du personnel de surveillance pénitentiaire peuvent être exercées non seulement dans les établissements pénitentiaires, mais également dans un autre service ou établissement de l'administration pénitentiaire ainsi qu'à l'administration centrale.

5. M. A... soutient qu'il ne pouvait faire l'objet d'une procédure de reclassement dès lors que l'administration ne démontre pas qu'il ne pouvait être affecté sur un poste aménagé ou sur un poste relevant de son grade compatible avec son état de santé, notamment le poste d'agent spécialisé porte d'entrée piétons sur lequel il a d'ailleurs été affecté pendant plusieurs années.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une dégradation de son état de santé, M. A... a, compte tenu d'un avis émis par le médecin de prévention préconisant une absence de port de gilet pare-balle, une absence de contact avec la population carcérale et le port de chaussures légères, été affecté sur un poste à l'accueil de l'Etablissement public de santé national de Fresnes à compter du 1er avril 2011. A la suite d'un appel à candidature réalisé, en interne, par la direction de cet établissement pour la désignation d'agents spécialisés affectés à la porte d'entrée piétons, M. A... s'est porté candidat et a été retenu pour ce poste. Si par un avis du 24 janvier 2017, le comité médical départemental a déclaré M. A... inapte aux fonctions de surveillant pénitentiaire en milieu carcéral, il n'a pas déclaré l'agent inapte à l'ensemble des emplois rattachés au corps d'application du personnel de surveillance pénitentiaire, lequel donne vocation à occuper divers emplois tant en milieux carcéral qu'en dehors. Dès lors, il appartenait à l'administration de rechercher si l'emploi initialement occupé par M. A... pouvait faire l'objet d'un aménagement et, à défaut, si l'agent pouvait être affecté sur un emploi relevant de son grade et compatible avec son état de santé. Or, ainsi que le fait valoir le requérant, le ministre de la justice s'est borné, avant d'engager une procédure de reclassement dans le corps des adjoints administratifs, à constater l'inaptitude de M. A... aux fonctions de surveillant et n'a aucunement apprécié si M. A... pouvait faire l'objet d'un aménagement de poste ou d'une affectation sur un poste de son grade compatible avec son état de santé et notamment s'il pouvait être maintenu sur l'emploi d'agent spécialisé porte d'entrée piétons alors qu'il est constant que cet emploi était compatible avec les restrictions émises par le médecin de prévention et était occupé depuis plusieurs années par M. A.... Dès lors, l'arrêté par lequel l'intéressé a été radié des cadres en raison de son refus de reclassement a été pris en méconnaissance des dispositions précitées.

7. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement n° 1906045 du 21 juillet 2022 du Tribunal administratif de Melun ainsi que l'annulation de l'arrêté du 17 avril 2019 par lequel le ministre de la justice a prononcé sa radiation des cadres.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative :

8. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".

9. Compte tenu du moyen d'annulation retenu dans le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1906045 du 21 juillet 2022 du Tribunal administratif de Melun et l'arrêté du 17 avril 2019 du ministre de la justice sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.

La rapporteure,

N. ZEUDMI SAHRAOUILe président,

B. AUVRAY

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA04333


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04333
Date de la décision : 27/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: Mme Nadia ZEUDMI-SAHRAOUI
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : CHASTEL

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-27;22pa04333 ?
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