Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 4 janvier 2023 l'informant de ce qu'elle avait fait l'objet d'une décision de refus de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français ainsi que l'arrêté du 30 janvier 2023 par lequel le préfet de police de Paris a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Par jugement n° 2300294, 2302699/8 du 26 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des pièces complémentaires et un mémoire en réplique enregistrés les 11 mai, 21 août et 8 septembre 2023, ainsi qu'un mémoire aux fins de production de pièces et un mémoire enregistrés le 23 et le 27 février 2024, qui n'ont pas été communiqués, Mme D..., représentée par Me Saligari, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2300294, 2302699/8 du 26 avril 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 janvier 2023 par lequel le préfet de police de Paris a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de Paris de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Saligari au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation par son conseil à la part contributive de l'Etat allouée au titre de l'aide juridictionnelle ou, en cas de non-admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de lui verser directement cette somme, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision portant refus de renouvellement du titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle a été prise au vu d'un avis médical irrégulier ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
S'agissant des décisions portant obligation de quitter le territoire français, refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et fixation du pays de renvoi :
- elles sont illégales en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elles méconnaissent les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refus d'octroi d'un délai de départ volontaire ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2023, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 28 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba ;
- les observations de Me Jean, subsituant Me Saligari, avocat de Mme D....
Une note en délibéré a été présentée par Mme D... le 22 mars 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... D..., ressortissante ivoirienne née le 18 avril 1971, est entrée en France le 21 février 2024. Le 3 janvier 2022, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 30 janvier 2023, le préfet de police de Paris a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Par un jugement n° 2300294, 2302699/8 du 26 avril 2023, dont Mme D... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un accès effectif à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dont il peut effectivement bénéficier dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est atteinte d'une pathologie psychiatrique anxiodépressive sévère et fait l'objet, depuis son hospitalisation en 2016 en raison d'un tendance suicidaire, d'un suivi régulier par un centre médico-psychologique associé à la prise d'un traitement médicamenteux composé notamment d'un anxiolytique, le Xanax (alprazolam), et de deux antidépresseurs, le Laroxyl (amitriptyline) et le Deroxat (paroxétine). Il ressort en outre des pièces du dossier, en particulier du certificat médical du 18 août 2022 du docteur B..., hépatologue au centre hépato-biliaire de l'hôpital Paul-Brousse que Mme D..., qui était porteuse asymptomatique d'une hépatite B chronique, a développé une fibrose de niveau F1 nécessitant la mise en place d'un traitement antiviral à base d'Entécavir, commercialisé sous le nom de F.... Pour refuser à Mme D... le renouvellement de son titre de séjour, le préfet de police de Paris s'est notamment fondé sur l'avis du 24 mars 2022 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui mentionnait que si l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de la Côte d'Ivoire, elle pouvait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé. Mme D... soutient toutefois que le Xanax et le F... ne sont pas disponibles dans son pays d'origine. Si le certificat médical établi le 10 mai 2023 par le docteur B..., postérieur à la décision contestée mais se référant à un état de fait antérieur, n'est pas suffisant, compte tenu de sa rédaction en des termes imprécis et non circonstanciés, pour attester de l'indisponibilité du F... en Côte d'Ivoire, toutefois il ressort du courriel du laboratoire Pfizer, commercialisant le Xanax, que ce médicament ainsi que son générique dénommé Alprazolam ne sont pas commercialisés en Côte d'Ivoire. De même, il ressort du certificat médical établi par le docteur A... C..., psychiatre assistant au centre hospitalier Sainte-Anne, que l'Alprazolam ne figure pas sur la liste nationale des médicaments essentiels établie par l'Organisation Mondiale de la Santé. Dans ces conditions, et alors que le préfet de police de Paris se borne à soutenir en défense que l'appréciation de la disponibilité d'un traitement implique seulement l'existence d'un traitement équivalent, sans produire aucun élément de nature à établir qu'il existerait d'autres anxiolytiques disponibles en Côte d'Ivoire et qu'il ressort de plusieurs ordonnances relatives au traitement prescrit à l'intéressée que la mention " non substituable " y a été apposée, Mme D... est fondée à soutenir qu'elle ne pourra bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine. Il s'ensuit que la décision du préfet de police de Paris du 30 janvier 2023 refusant à Mme D... le renouvellement de son titre de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, lesquelles sont dépourvues de base légale.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police de Paris du 30 janvier 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu ci-dessus et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à Mme D... le titre de séjour sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de police de Paris de délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Mme D... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Saligari, conseil de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300294, 2302699/8 du 26 avril 2023 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 30 janvier 2023 du préfet de police de Paris sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de Paris de délivrer à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Saligari, conseil de Mme D..., la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Le recouvrement de cette somme emportera renonciation de Me Saligari à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de police de Paris.
Copie sera adressée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à Me Saligari.
Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Collet, première conseillère,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2024.
La présidente rapporteure
C. Vrignon-VillalbaL'assesseure la plus ancienne
A. Collet
La greffière
N. Couty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23PA02054