Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'étude et de gestion commerciale a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision n° 2613 du 2 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier M. A... B... pour faute grave.
Par jugement n° 2200030 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 30 décembre 2022 et 30 novembre 2023, la société d'étude et de gestion commerciale, représentée par la Selarl Jurispol, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200030 du 18 octobre 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) d'annuler la décision n° 2613 du 2 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier M. A... B... pour faute grave ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 300 000 francs CFP sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que la substitution de motif qui a été opérée par le tribunal n'a pas été sollicitée par la Polynésie française, n'a pas été précédée d'une information des parties, et que l'inspectrice du travail, qui a refusé le licenciement pour d'autres motifs, a nécessairement considéré que la faute était d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée, de sorte que le tribunal ne pouvait pas procéder d'office à une substitution de motifs ;
- le délai entre la mise à pied verbale et l'ouverture de la procédure disciplinaire n'a pas d'incidence sur la légalité de la décision relative à la demande d'autorisation de licenciement ; la mise à pied verbale du 11 septembre 2021 a été suivie d'une mise à pied écrite par lettre du 16 septembre 2021 ; l'employeur ne disposait pas immédiatement des éléments suffisants pour formaliser la mise à pied écrite mais devait au contraire accomplir des diligences pour apprécier les faits dans leur intégralité ; quatre jours se sont écoulés entre la notification verbale de la mise à pied conservatoire et la remise de la convocation à un entretien préalable par voie d'huissier à son domicile le 16 septembre 2021 ; ce délai, qui n'est pas excessif, s'explique par le motif légitime constitué par l'attaque dont le réseau informatique de l'entreprise a fait l'objet le 14 septembre 2021 ;
- la faute commise est d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu des exigences du service, de la situation particulière du salarié et des articles 22 et 23 du règlement intérieur qui prévoient que toute appropriation de marchandise ou de matériel appartenant à l'entreprise constitue un manquement aux obligations professionnelles et ne saurait être toléré et que les achats effectués par le personnel doivent se faire dans les mêmes conditions que ceux effectués par les clients ;
- la demande d'autorisation de licenciement est sans lien avec le mandat détenu par l'intéressé.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 novembre 2023, la Polynésie française, représentée par la Selarl Groupavocats, demande à la cour de rejeter la requête de la société d'étude et de gestion commerciale et qu'il soit mis à la charge de la société la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a effectivement soulevé en première instance un motif susceptible de justifier le refus d'autorisation de licenciement attaqué qui pouvait être qualifié par les premiers juges de demande de substitution de motifs sur laquelle la société d'étude et de gestion commerciale a pu présenter des observations dans son mémoire récapitulatif du 7 mai 2022 ;
- elle demande expressément qu'il soit opéré une substitution de motifs en appel dès lors que l'inspectrice du travail aurait pris la même décision en se fondant sur la circonstance de la faible valeur de l'objet volé, du caractère isolé de ce vol et de l'absence d'antécédent de l'intéressé ;
- les moyens soulevés par la société d'étude et de gestion commerciale ne sont pas fondés.
La requête a été transmise à M. A... B... qui n'a pas produit d'observations en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code du travail de la Polynésie française ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... a été recruté le 18 janvier 2016 par la société d'étude et de gestion commerciale (SEGC) qui exploite l'hypermarché Carrefour Punaauia et il occupait en dernier lieu le poste d'agent de maintenance au sein des services généraux et exerçait le mandat de délégué du personnel titulaire. Par courrier du 27 septembre 2021 reçu le 8 octobre suivant, la SEGC a saisi la direction du travail de la Polynésie française d'une demande d'autorisation de licenciement de M. B... pour faute grave. Par une décision n° 2613 du 2 décembre 2021, l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française a refusé cette autorisation. Par jugement n°2200030 du 18 octobre 2022, dont la SEGC relève appel, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
3. Il ressort des écritures présentées par la Polynésie française devant le tribunal que celle-ci a fait valoir que la décision du 2 décembre 2021 de l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française était légalement justifiée par le motif, autre que ceux qu'elle avait opposés à la SEGC, tiré de ce que la faute commise par M. B... n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée eu égard à la modicité du vol, de son caractère isolé, du parcours professionnel au sein de la société de M. B... et de l'absence d'antécédents de l'intéressé. La seule communication de ces écritures a mis à même la SEGC de présenter ses observations sur cet autre motif, ce qu'elle a d'ailleurs fait dans son mémoire récapitulatif du 10 mai 2022, qui pouvait dès lors être substitué aux motifs initiaux alors même que la SEGC n'avait pas expressément présenté une demande en ce sens. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient méconnu leur office et le principe du contradictoire et auraient, de ce fait, entaché leur jugement d'irrégularité, ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de la décision du 2 décembre 2021 de l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française :
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
5. Il ressort des pièces du dossier que la SEGC a fondé sa demande d'autorisation de licenciement sur la soustraction d'une marchandise d'une valeur de 1 100 F FCP consistant en un " mug isotherme ", sans autorisation et en violation des procédures d'achat en vigueur dans l'entreprise commis par M. B... au sein de l'hypermarché Carrefour Punaauia qu'elle exploite. Pour refuser l'autorisation de licenciement de M. B... pour faute grave sollicitée par la SEGC, l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française s'est fondée, d'une part, sur des " vices substantiels de procédure " tenant au délai écoulé entre la mise à pied de l'intéressé et l'engagement de la procédure disciplinaire et sur le fait que le directeur de Carrefour Punaauia n'a pas respecté l'article 49 du règlement intérieur de l'établissement qui prévoit que, si la mise à pied prononcée à titre conservatoire à l'encontre d'un salarié peut être notifiée verbalement et sans délai, elle doit toutefois être régularisée par écrit le premier jour ouvrable suivant et, d'autre part, sur l'existence d'un lien possible entre la demande d'autorisation de licenciement de M. B... et son mandat de délégué du personnel titulaire.
6. Le tribunal administratif de la Polynésie française a jugé que le premier motif retenu par l'inspectrice du travail était entaché d'une erreur de droit et que le second n'était pas établi et ne pouvait ainsi valablement justifier la décision contestée. En l'absence d'appel incident, la cour n'a pas à se prononcer sur ces deux illégalités retenues par les premiers juges et qui sont reprises par la SEGC dans ses écritures en appel. En revanche, la SEGC soutient que la faute commise par M. B... est d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
7. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la demande d'autorisation de licenciement du 27 septembre 2021 reçue le 8 octobre suivant que, le 11 septembre 2021, M. B... a soustrait dans l'hypermarché Carrefour Punaauia dans lequel il travaille une marchandise d'une valeur de 1 100 F FCP, soit d'environ 9 euros, sans autorisation et en violation des procédures d'achat en vigueur dans l'entreprise. Lors de l'entretien préalable qui s'est déroulé le 17 septembre 2021, l'intéressé a reconnu les faits. La SEGC soutient que compte tenu des fonctions d'agent de maintenance au sein des services généraux exercées par l'intéressé qui lui donnent accès à l'ensemble du magasin, ce qui expose l'établissement à de nombreux risques, de la situation particulière du salarié qui a de nombreuses années d'ancienneté et qui est délégué du personnel et de l'existence de clauses du règlement intérieur, à savoir les articles 22 et 23, qui prévoient que toute appropriation de marchandise ou de matériel appartenant à l'entreprise constitue un manquement aux obligations professionnelles qui ne saurait être toléré et que les achats effectués par le personnel doivent se faire dans les mêmes conditions que ceux effectués par les clients, la faute commise est d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Toutefois, compte tenu de la valeur modique de l'article dérobé et de l'absence d'antécédent de M. B..., salarié de l'entreprise depuis le 18 janvier 2016, de tels faits, s'ils sont fautifs, ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier son licenciement. Par suite, la SEGC n'est pas fondée à soutenir que l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française n'aurait pas pu prendre légalement la décision n° 2613 du 2 décembre 2021 refusant de lui accorder l'autorisation de licenciement de M. A... B... pour faute grave si elle s'était fondée initialement sur ce motif tiré de l'absence de gravité suffisante des faits reprochés à l'intéressé pour justifier l'autorisation sollicitée.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SEGC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement n° 2200030 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision n° 2613 du 2 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française a refusé de lui accorder l'autorisation de licencier M. A... B... pour faute grave.
Sur les frais d'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la SEGC au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas non plus lieu de mettre à la charge de la SEGC le versement d'une somme au profit de la Polynésie française sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société d'étude et de gestion commerciale est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la Polynésie française, présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'étude et de gestion commerciale, à la Polynésie française et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 4 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Collet, première conseillère,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2024.
La rapporteure,
A. COLLETLa présidente,
C. VRIGNON-VILLALBA
La greffière,
N. COUTYLa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA05560