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25/03/2024 | FRANCE | N°22PA05450

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 25 mars 2024, 22PA05450


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... D..., née A..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 9 octobre 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société L'Amy à procéder à son licenciement pour motif économique.



Par un jugement n° 2020693/3-3 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires enregistrés

le 22 décembre 2022 et les 12 juillet et 30 octobre 2023, Mme D..., représentée par Me Soumeire, demande à la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D..., née A..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 9 octobre 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société L'Amy à procéder à son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 2020693/3-3 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 22 décembre 2022 et les 12 juillet et 30 octobre 2023, Mme D..., représentée par Me Soumeire, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 novembre 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 9 octobre 2020 de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée quant à l'absence de lien entre la mesure de licenciement et ses mandats ; elle ne précise pas le déroulement de l'enquête contradictoire, ni la nature des éléments recueillis pendant cette enquête ; une telle motivation ne met pas le juge en mesure d'exercer son contrôle ;

- l'administrateur judiciaire n'a pas satisfait à l'obligation de recherche sérieuse et loyale d'offres de reclassement lui incombant.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er septembre 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il renvoie à ses écritures de première instance.

Par un mémoire enregistré le 29 septembre 2023, la Selarl MJ JuraLP substituant la SCP Pascal Leclerc, prise en la personne de Me Masselon et de Me Roumezi, mandataire judiciaire liquidateur de la société L'Amy, représentée par Me Masson, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 500 euros soit mis à la charge de Mme D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Soumeire, représentant Mme D..., et de Me Masson, représentant la Selarl MJ JuraLP, mandataire judiciaire liquidateur de la société L'Amy.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que la société par actions simplifiée à associé unique L'Amy, ayant son siège dans le Jura, a pour activités le design, la création, la production et la commercialisation de lunettes de soleil et de montures optiques. Elle appartient au groupe ILG, spécialisé dans l'industrie et le commerce de produits de luxe. Elle employait cent deux salariés répartis entre l'établissement de Morez (Jura) en charge de la fabrication des produits (soixante-treize salariés) et l'établissement de Paris qui regroupe les fonctions commerciales et certaines fonctions " support " (vingt-neuf salariés). Par un jugement du 2 juin 2020, le tribunal de commerce de Lons-Le-Saunier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société, a désigné un juge commissaire, a nommé deux administrateurs et un mandataire judiciaire, la SCP Pascal Leclerc. Par une décision du 5 août 2020, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Bourgogne-Franche-Comté a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société L'Amy. Par un arrêt n° 21NC00477 du 18 mai 2021, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement du 22 décembre 2020 du tribunal administratif de Besançon annulant la décision d'homologation du 5 août 2020 et a rejeté les conclusions à fin d'annulation de cette décision présentée par vingt salariés. Le 30 septembre 2020, l'administrateur judiciaire de la société L'Amy a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier pour motif économique Mme D..., née A..., qui occupait l'emploi de déléguée commerciale dans la région des Hauts-de-France et qui, par ailleurs, exerçait depuis le 21 décembre 2018 les mandats de membre suppléante du comité social et économique d'établissement de Paris et du comité social et économique central. Par une décision du 9 octobre 2020, l'inspecteur du travail a accordé l'autorisation sollicitée. Par un jugement du 2 novembre 2022, dont Mme D... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe de la décision du 9 octobre 2020 :

2. Aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ".

3. La requérante soutient qu'en se bornant à mentionner " les éléments recueillis lors de l'enquête contradictoire réalisée les 5 et 8 octobre 2020 dans les locaux de l'inspection du travail ", sans identifier ces éléments et sans préciser leur nature, l'inspecteur du travail a insuffisamment motivé sa décision autorisant son licenciement. Toutefois, l'inspecteur du travail n'est pas tenu de citer de manière exhaustive, dans sa décision, l'ensemble des éléments qu'il a pu recueillir lors de l'enquête contradictoire mais seulement les considérations de droit et de fait sur lesquelles sa décision est fondée. La décision contestée vise notamment le code du travail, en particulier ses articles L. 2421-3 et R. 2421-8 à R. 2421-16, les consultations du comité social et économique du 29 juillet 2020 sur le motif économique des mesures de licenciement envisagées et sur le plan de sauvegarde de l'emploi, la décision de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Bourgogne Franche-Comté du 5 août 2020 homologuant le document unilatéral portant sur le plan de sauvegarde de l'emploi et l'ordonnance du juge commissaire du 18 août 2020. Elle indique que dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte le 2 juin 2020 par le tribunal de commerce de Lons-Le-Saunier, le juge commissaire a rendu une ordonnance le 18 août 2020 autorisant les licenciements pour motif économique urgent, inévitable et indispensable en application de l'article L. 631-17 du code de commerce et que la cause économique invoquée est établie. En outre, elle mentionne que la réorganisation décidée pour faire face aux difficultés économiques prévoit la suppression de l'ensemble des postes attachés à l'établissement de Paris dont le poste de déléguée commerciale coordinatrice de région occupée par Mme D... et qu'en conséquence, l'impact des difficultés économiques invoquées sur l'emploi de la salariée est établi. Elle porte l'appréciation qu'au vu de ces éléments, le motif économique du licenciement doit être considéré comme établi. Par ailleurs, elle mentionne les démarches effectuées par l'administrateur auprès des sociétés du groupe présentes sur le territoire français, c'est-à-dire les sociétés Henry Jullien Manufacture et Saint-Honoré Paris, l'absence de réponses de ces sociétés et les offres de reclassement proposées à Mme D... par des courriers des 20 et 28 août 2020, lesquelles sont mentionnées de manière détaillée. Elle porte l'appréciation selon laquelle l'administrateur doit ainsi être considéré comme justifiant d'une recherche sérieuse de solutions de reclassement. Il s'ensuit que la décision contestée mentionne de manière suffisamment précise les considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé l'inspecteur du travail pour considérer que la réalité du motif économique du licenciement de l'intéressée était établi et que l'administrateur avait satisfait à son obligation de recherche sérieuse d'offres de reclassement. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, en mentionnant, après avoir cité ses mandats de membre du comité social et économique d'établissement de Paris et du comité social et économique central, qu'aucun élément recueilli au cours de l'enquête contradictoire ne permet de suspecter un lien quelconque entre la décision envisagée de la licencier et les mandats détenus, l'inspecteur du travail a suffisamment motivé sa décision sur l'absence de discrimination à l'égard de la salariée. Il s'ensuit que c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que les motifs de la décision contestée mettaient la requérante en mesure de comprendre l'analyse effectuée par l'inspecteur du travail de la demande d'autorisation de licenciement et de la contester utilement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de l'inspecteur du travail accordant l'autorisation de procéder au licenciement de Mme D... doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision du 9 octobre 2020 :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.(...) ".

5. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié au moment où il est autorisé. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause et établies sur le territoire français.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de graves difficultés économiques caractérisées notamment par une baisse de 33% de son chiffre d'affaires entre 2018 et 2019, due notamment à une perte de licences de marque et à des problèmes de trésorerie, la société L'Amy a saisi, le 26 mai 2020, le tribunal de commerce de Lons-Le-Saunier par déclaration de cessation des paiements aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire prévue par les dispositions de l'article L. 631-1 du code de commerce. Par un jugement du 2 juin 2020, après avoir constaté que la société L'Amy ne pouvait faire face à son passif exigible au moyen de son actif disponible, le tribunal de commerce de Lons-Le-Saunier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société, désigné un juge commissaire, nommé deux administrateurs et un mandataire judiciaire, la SCP Pascal Leclerc, fixé la date pour la cessation des paiements au 12 mars 2020 et autorisé la poursuite de l'activité jusqu'au 2 décembre 2020, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la période d'observation. A compter de juillet 2020, a été mis en œuvre un projet de réorganisation et de restructuration de la société L'Amy prévoyant notamment la suppression de l'ensemble des postes de l'établissement de Paris auquel était rattachée la requérante. Dans ces conditions, la réalité du motif économique du licenciement de Mme D... est établie, ce qui au demeurant n'est pas contesté par la requérante.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1233-58 du code du travail : " I.-En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en œuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4. (...) /II.-Pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés, l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 est validé et le document mentionné à l'article L. 1233-24-4, élaboré par l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, est homologué dans les conditions fixées aux articles L. 1233-57-1 à L. 1233-57-3, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 1233-57-4 et à l'article L. 1233-57-7. (...) /L'employeur, l'administrateur ou le liquidateur ne peut procéder, sous peine d'irrégularité, à la rupture des contrats de travail avant la notification de la décision favorable de validation ou d'homologation, ou l'expiration des délais mentionnés au quatrième alinéa du présent II. (...).Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code : " En l'absence d'accord collectif (...), l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; /2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; /3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. /Elle s'assure que l'employeur a prévu le recours au contrat de sécurisation professionnelle mentionné à l'article L. 1233-65 ou la mise en place du congé de reclassement mentionné à l'article L. 1233-71 ". Aux termes de l'article L. 1233-61 du même code : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. /Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement sur le territoire national des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile. Lorsque le plan de sauvegarde de l'emploi comporte, en vue d'éviter la fermeture d'un ou de plusieurs établissements, le transfert d'une ou de plusieurs entités économiques nécessaire à la sauvegarde d'une partie des emplois et lorsque ces entreprises souhaitent accepter une offre de reprise les dispositions de l'article L. 1224-1 relatives au transfert des contrats de travail ne s'appliquent que dans la limite du nombre des emplois qui n'ont pas été supprimés à la suite des licenciements, à la date d'effet de ce transfert ".

8. L'article L. 1233-4 du code du travail dispose : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. /Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. /Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. /L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. /Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".

9. Il résulte des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail que, pour apprécier si l'employeur ou le liquidateur judiciaire a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique d'un salarié protégé doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. En revanche, il ne lui appartient pas de vérifier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe. Toutefois, lorsque le licenciement projeté est inclus dans un licenciement collectif qui requiert l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel comprend, en application de l'article L. 1233-61 du code du travail, un plan de reclassement, et que ce plan est adopté par un document unilatéral, l'autorité administrative, si elle doit s'assurer de l'existence, à la date à laquelle elle statue sur cette demande, d'une décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, à défaut de laquelle l'autorisation de licenciement ne peut légalement être accordée, ne peut ni apprécier la validité du plan de sauvegarde de l'emploi ni, plus généralement, procéder aux contrôles mentionnés à l'article L. 1233-57-3 du code du travail qui n'incombent qu'au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi compétemment saisi de la demande d'homologation du plan. Il ne lui appartient pas davantage, dans cette hypothèse, de remettre en cause le périmètre du groupe de reclassement qui a été déterminé par le plan de sauvegarde de l'emploi pour apprécier s'il a été procédé à une recherche sérieuse de reclassement du salarié protégé.

10. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a déjà été dit, que si par un jugement du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 5 août 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Bourgogne-Franche-Comté a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société L'Amy, la cour administrative d'appel de Nancy a, par un arrêt du 18 mai 2021, devenu définitif, annulé ce jugement et rejeté les conclusions à fin d'annulation de cette décision présentée par vingt salariés.

S'agissant de l'obligation de reclassement interne :

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par des lettres en date du 24 juin 2020, Me Hunsinger, en sa qualité de coadministrateur de la société L'Amy nommé par le tribunal de commerce de Lons-Le-Saunier le 2 juin 2020, a demandé à la société Henry Jullien Manufacture et à la société Saint Honoré Paris, qui sont les seules sociétés du groupe ILG auquel appartient la société L'Amy implantées en France, de lui communiquer les possibilités de reclassement des salariés dont les postes au sein de la société L'Amy sont supprimés. D'une part, par un courrier en date du 30 juin 2020, versé aux débats, la société Saint Honoré Paris a répondu qu'elle ne disposait d'aucune possibilité de reclassement. La requérante conteste l'authenticité de ce courrier dès lors notamment que l'inspecteur du travail a mentionné dans sa décision qu'il n'y avait eu aucun retour de la part de cette société en réponse au courrier du 24 juin 2020. Toutefois, aucun élément du dossier n'est de nature à remettre en cause l'authenticité de ce courrier. En outre, l'erreur matérielle commise par l'inspecteur du travail n'entache pas d'illégalité sa décision dès lors qu'il a relevé que le coadministrateur judiciaire de la société L'Amy a recherché les possibilités de reclassement au sein des sociétés du groupe ILG implantées en France et qu'aucune offre de reclassement n'avait été proposée. D'autre part, contrairement à ce que soutient la requérante, en ne répondant pas expressément à la demande de Me Hunsinger, la société Henry Jullien Manufacture doit nécessairement être regardée comme ne disposant pas d'offres de reclassement. Par ailleurs, même si les réponses de la société Henry Jullien Manufacture et de la société Saint Honoré Paris étaient négatives, le coadministrateur judiciaire de la société L'Amy n'était pas tenu de leur adresser un courrier de relance alors qu'au surplus, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, la société Henry Jullien Manufacture, qui avait également déposé une déclaration de cessation de paiement le 26 mai 2020 auprès du tribunal de commerce de Lons-le-Saunier, faisait également l'objet d'une procédure de redressement judiciaire depuis le 2 juin 2020. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, l'absence de réponse de la société Henry Jullien Manufacture qui doit, ainsi qu'il vient d'être dit, être regardée comme une réponse négative, n'a pas privé l'inspecteur du travail de son pouvoir d'appréciation du caractère sérieux et loyal de la recherche de reclassement de l'administrateur judiciaire.

12. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par des courriers en date des 20 et 28 août 2020, l'administrateur judiciaire a communiqué à la requérante deux offres de postes, celui d'ingénieur commercial disponible sur cinq secteurs et celui de directeur Business Unit France. Dans ces conditions, et alors ainsi qu'il a déjà été dit que malgré les réponses négatives des sociétés du groupe ILG implantées en France, le coadministrateur judiciaire de la société L'Amy n'était pas tenu de leur adresser un second courrier leur demandant si elles avaient des propositions de reclassement, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il n'aurait pas recherché de manière effective et sérieuse des possibilités de reclassement entre le 5 août 2020 et le 9 octobre 2020, date à laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 6-3 du plan de sauvegarde de l'emploi homologué par une décision du 5 août 2020 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Bourgogne-Franche-Comté : " La liste des postes disponibles (et ses annexes) sera communiquée aux salariés concernés par le projet de licenciement par lettre recommandée avec accusé réception./ Cette communication précisera, pour chaque poste, notamment : - Intitulé du poste,/ - nature du contrat,/ - lieu de travail, durée de travail,/ - caractéristiques du poste, qualification et classification de l'emploi offert,/ - niveau de rémunération,/ - les coordonnées du contact qui réceptionnera les demandes de précision et les candidatures./A compter de la date de la proposition écrite de reclassement (envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre), le salarié disposera d'un délai de réflexion de 6 jours francs pour l'accepter ou la refuser. Le salarié devra faire connaître sa réponse par écrit. (...) L'absence de candidature dans le délai sera assimilée à un refus des offres./ Pendant le délai de réflexion, le salarié pourra obtenir toutes les informations relatives à cette proposition en prenant attache auprès de l'administrateur judiciaire qui mettra ensuite en relation avec les managers de la société d'accueil. (...) ".

14. Il ressort des pièces du dossier que la requérante a reçu un courrier en date du 20 août 2020 par lequel le coadministrateur judiciaire de la société L'Amy lui proposait le poste d'ingénieur commercial qui était disponible sur cinq sites et celui de directeur Business Unit France en précisant à l'intéressée qu'elle disposait d'un délai de réflexion jusqu'au 28 août 2020, c'est-à-dire un délai de sept jours francs. Ce courrier a fait l'objet d'un courrier rectificatif en date du 25 août 2020, portant sur la mise à jour d'une annexe et sur la rémunération du poste d'ingénieur commercial proposé le 20 août 2020 et portant le terme du délai de réflexion du 28 au 31 août 2020 afin de pouvoir tenir compte de ces nouveaux éléments, c'est-à-dire un délai de réflexion de trois jours supplémentaires. Dans ces conditions, et alors qu'en tout état de cause, Mme D... n'avait pas candidaté sur le poste d'ingénieur commercial avant le 25 août 2020, elle n'est pas fondée à soutenir que le délai de réflexion de six jours prévu par les dispositions précitées du plan de sauvegarde de l'emploi n'aurait pas été respecté par l'administrateur judiciaire.

15. En quatrième lieu, la requérante se borne à reproduire en appel les moyens, sans les assortir d'éléments nouveaux, qu'elle avait développés dans sa demande de première instance, tirés de ce que les postes proposés n'étaient en rien équivalents à celui qu'elle occupait et qu'aucune formation ne lui a été proposée pour permettre son reclassement. Par suite, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à juste titre par les premiers juges aux points 13 et 14 du jugement, d'écarter ces moyens repris en appel par Mme D....

16. En cinquième lieu, il ressort des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail, mentionnées au point 8, que le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. Il ressort des pièces du dossier que, par un contrat à durée déterminée conclu le 7 mai 2020, la société L'Amy a recruté Mme E... en qualité de chargée de mission pour la période du 12 mai 2020 au 11 septembre 2020, afin de faire face à un surcroît temporaire d'activités liées à " la réorganisation de l'entreprise, le suivi de toutes les procédures " et à l'établissement " des documents nécessaires et de l'ensemble des procès-verbaux ". Ce contrat de travail a été renouvelé le 11 septembre 2020 pour deux mois supplémentaires. Dans ces conditions, ce poste n'était pas disponible à la date du licenciement de la requérante, dont il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que c'est celle qui doit être prise en compte, et ce alors même qu'un poste se libérerait quelques jours après, ni à la date de la décision de l'inspecteur du travail. Il s'ensuit, à supposer même que cet emploi dans le domaine des ressources humaines relève de la même catégorie que l'emploi de déléguée commerciale exercé par la requérante et qu'elle disposait des compétences pour l'exercer, qu'elle n'est pas fondée à soutenir que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement en ne lui proposant pas ce poste.

17. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite des négociations avec les représentants du personnel dans le cadre de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, il a été décidé de maintenir un deuxième poste de chef de marque qui était occupé par Mme B.... Il ressort des bulletins de salaire de cette dernière qu'elle a ainsi continué à occuper son poste en septembre et octobre 2020. Les seules copies du profil Linkedin de Mme B... mentionnant qu'elle serait responsable digital au sein de la société L'Amy Luxe depuis septembre 2020 et d'un organigramme ne comportant pas de date présentée par la requérante comme étant celui du " groupe L'Amy " ne sont pas de nature à remettre en cause les mentions des bulletins de salaires précités et à établir que ce poste aurait été disponible dès septembre 2020 au sein du groupe ILG, alors au demeurant que la société l'Amy Luxe a été créée à la suite de la cession de la société L'Amy au sein du groupe ILG, c'est-à-dire en novembre 2020. Par suite, sans qu'il soit besoin de solliciter la communication du registre du personnel de la société L'Amy, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement en ne lui proposant pas ce poste.

18. En tout état cause, la circonstance que la société L'Amy Luxe, qui a été créée à la suite de la cession de la société L'Amy au sein du groupe ILG ainsi qu'il vient d'être dit, a recruté Mme E... au poste de responsable ressources humaines multi sites et Mme B... au poste de responsable digital n'est pas de nature à faire regarder l'employeur de Mme D... comme ayant manqué de loyauté à son égard dans sa recherche de reclassement dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est pas soutenu, ainsi qu'il a déjà été dit, que Mme D... disposait des compétences ou qu'une formation complémentaire lui aurait permis de disposer de telles compétences pour exercer ces deux emplois. En outre, si Mme D... soutient qu'au vu notamment de ces recrutements ultérieurs à la cession de la société L'Amy par une société du groupe ILG nouvellement créée, le conseil de prud'hommes de Lons-le-Saunier a, par un jugement du 31 mai 2023, estimé que le licenciement d'une salariée de la société L'Amy était dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'autorité de chose jugée par le conseil de prud'hommes ne peut être utilement opposée en l'espèce faute d'identité de cause et de parties.

19. Il ressort des points 11 à 18 que l'inspecteur du travail, qui a contrôlé le respect par le coadministrateur judiciaire de la société L'Amy de son obligation en matière de reclassement, n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que celui-ci avait satisfait à son obligation de recherche sérieuse et loyale de reclassement de la salariée.

S'agissant de l'obligation de reclassement externe :

20. La requérante soutient que l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement externe prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi dès lors que les sociétés qui exercent des activités connexes ou similaires à celles exercées par la société L'Amy implantées dans la région des Hauts-de-France, c'est-à-dire dans le secteur de son poste de déléguée commerciale, n'ont pas été contactées et que les deux postes de commerciaux au sein de la société Morel, située dans le Jura, qui lui ont été proposés le 25 août 2020 n'étaient pas basés dans son secteur géographique, contrairement aux engagements de l'employeur. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 9, il n'appartient pas à l'inspecteur du travail de vérifier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe. Il s'ensuit que c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté ce moyen comme inopérant.

21. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme D... au titre des frais liés à l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... le versement d'une somme à la Selarl MJ JuraLP, mandataire judiciaire liquidateur de la société L'Amy sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la Selarl MJ JuraLP, agissant en sa qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société L'Amy, présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la Selarl MJ JuraLP substituant la SCP Pascal Leclerc, prise en la personne de Me Masselon et Me Roumezi, mandataire judiciaire liquidateur de la société L'Amy.

Délibéré après l'audience du 4 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Collet, première conseillère,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2024.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

C. Vrignon-Villalba

La greffière

N. Couty

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA05450 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA05450
Date de la décision : 25/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SOUMEIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-25;22pa05450 ?
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