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22/03/2024 | FRANCE | N°21PA00770

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 22 mars 2024, 21PA00770


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 919 399,42 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa prise en charge à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à compter du 27 septembre 2016, ou à titre subsidiaire d'ordonner une expertise médicale avant dire droit, d'autre part de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de

289 799,81 euros à titre de provision.



Par un jugement avant dire droit n° 192...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 919 399,42 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa prise en charge à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à compter du 27 septembre 2016, ou à titre subsidiaire d'ordonner une expertise médicale avant dire droit, d'autre part de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 289 799,81 euros à titre de provision.

Par un jugement avant dire droit n° 1924601-2003095/6-1 du 5 février 2021, le tribunal administratif de Paris a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande de provision, a condamné l'AP-HP à verser à M. C... la somme de 9 970,91 euros en réparation de certains des préjudices temporaires qu'il a subis jusqu'au 29 janvier 2019, a ordonné un supplément d'instruction afin que la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine communique un nouvel état de ses débours, et a ordonné la réalisation d'une expertise.

Par un jugement n° 1924601/6-1 du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à M. C... la somme de 13 190,46 euros en réparation de ses préjudices temporaires postérieurs au 29 janvier 2019 et de ses préjudices permanents, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme de 6 055,43 euros en remboursement de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2022, ainsi que la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et a rejeté le surplus des conclusions principales des parties.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête et deux mémoires enregistrés les 15 février 2021, 28 janvier 2022 et 28 février 2023 sous le numéro 21PA00770, M. C..., représenté par Me Boccara-Soutter, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement avant dire droit du 5 février 2021 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes et de condamner l'AP-HP à lui verser, à titre provisionnel, la somme totale de 329 535 euros ;

2°) d'ordonner une contre-expertise ;

3°) de rejeter l'appel incident de l'AP-HP ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la faute résultant du retard de réalisation d'un pontage ilio-fémoral lui a fait perdre 90 % de chances d'éviter une amputation ;

- il n'a pas reçu une information suffisante avant les interventions des 4 octobre 2016, 13 octobre 2016 et 26 octobre 2016, s'agissant des risques infectieux et d'échec thérapeutique du pontage ;

- il a été victime d'une infection nosocomiale ;

- ses préjudices doivent être provisionnellement indemnisés à hauteur de 30 % de leur évaluation ;

- il a subi un déficit fonctionnel temporaire qui doit être évalué à 95 056 euros ;

- les souffrances qu'il a endurées doivent être évaluées à 50 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire doit être évalué à 50 000 euros ;

- le préjudice psychologique doit être évalué à 10 000 euros ;

- le préjudice d'agrément doit être évalué à 50 000 euros ;

- le montant des dépenses de santé restées à sa charge s'élève à 164 673,37 euros ;

- les besoins d'assistance par une tierce personne doivent être évalués à 10 260 euros ;

- les frais de médecin-conseil s'élèvent à 2 400 euros ;

- les frais d'avocat s'élèvent à 30 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent doit être évalué à 178 582 euros ;

- le préjudice professionnel s'élève à 398 240 euros.

Par un mémoire enregistré le 2 novembre 2021, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement avant dire droit du 5 février 2021 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il a mis à sa charge la réparation intégrale du déficit fonctionnel temporaire total pour la période du 4 au 26 octobre 2016 ;

2°) de rejeter la requête de M. C... ou, à titre subsidiaire, de ramener le montant des demandes à de plus justes proportions.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont mis à sa charge la réparation intégrale du déficit fonctionnel temporaire total pour la période du 4 au 26 octobre 2016, dès lors que ce préjudice aurait été subi en tout état de cause par M. C... ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

II) Par une requête et un mémoire enregistrés les 31 octobre 2022 et 26 avril 2023 sous le numéro 22PA04680, M. C..., représenté par Me Boccara-Soutter, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes et de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 349 492 euros ;

2°) d'ordonner une contre-expertise ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la faute résultant du retard de réalisation d'un pontage ilio-fémoral lui a fait perdre 90 % de chances d'éviter une amputation ;

- il n'a pas reçu une information suffisante avant les interventions des 4 octobre 2016, 13 octobre 2016 et 26 octobre 2016, s'agissant des risques infectieux et d'échec thérapeutique du pontage ;

- il a été victime d'une infection nosocomiale ;

- ses préjudices doivent être provisionnellement indemnisés à hauteur de 30 % de leur évaluation ;

- ses pertes de revenus du 29 janvier au 4 octobre 2019 s'élèvent à 19 722,37 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire subi du 29 janvier au 4 octobre 2019 doit être indemnisé à hauteur de 558 euros ;

- le montant des dépenses de santé restées à sa charge s'élève à 164 673,37 euros ;

- les besoins d'assistance par une tierce personne doivent être indemnisés par la somme de 32 850 euros ;

- les frais de médecin-conseil s'élèvent à 2 400 euros ;

- les frais d'avocat s'élèvent à 30 000 euros ;

- le préjudice professionnel s'élève à 398 240 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent doit être évalué à 178 582 euros ;

- les souffrances qu'il a endurées doivent être évaluées à 50 000 euros ;

- le préjudice d'agrément doit être évalué à 50 000 euros ;

- le préjudice psychologique doit être évalué à 10 000 euros.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 6 février 2023 et 21 avril 2023, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. C... ou, à titre subsidiaire, de ramener le montant de ses demandes à de plus justes proportions ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine ;

3°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il l'a condamnée à rembourser les frais futurs pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine sous forme d'une indemnité capitalisée.

Elle soutient que :

- les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine sont irrecevables dès lors qu'elles sont tardives ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par quatre mémoires enregistrés les 8 mars 2023, 29 mars 2023, 18 avril 2023 et 24 avril 2023, la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, représentée par Me Fertier, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes ;

2°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 190 270,22 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2022 et de la capitalisation des intérêts échus pour une année, en remboursement des prestations exposées pour le compte de M. C..., ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun délai ne lui était imposé pour former un appel incident ;

- sa créance définitive s'élève à la somme de 190 270,22 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 12 mai 2023.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de la sécurité sociale,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né le 7 août 1958, a connu à partir de 2001 plusieurs accidents cardiovasculaires, notamment un infarctus du myocarde en 2001, un infarctus coronaire droite en 2003, une fibrillation auriculaire avec cardioversion en mars 2011, une dissection de l'artère mésentérique supérieure en juin 2014, et une insuffisance cardiaque en 2016, caractérisée par une fraction d'éjection ventriculaire gauche de 30 %. Un défibrillateur automatique lui a été implanté en 2013. Il a présenté en outre, en 2015, une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, entraînant une hospitalisation en mai 2016 pour ischémie critique du membre inférieur gauche. Le 27 septembre 2016, il s'est rendu au service des urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière en raison de l'apparition d'une paresthésie et de douleurs au membre inférieur gauche. Une ischémie du membre inférieur gauche a été suspectée et il a été opéré le 4 octobre 2016, pour la réalisation d'un pontage ilio-fémoral gauche. Une reprise a eu lieu le 13 octobre 2016 après une thrombose. L'évolution n'étant pas favorable, M. C... a été amputé le 26 octobre 2016. En raison d'une infection du moignon d'amputation, il a subi une quatrième intervention le 3 novembre 2016 pour " régularisation " du moignon, comprenant une amputation en-dessous du genou. M. C... a quitté l'hôpital le 25 novembre 2016.

2. Le 12 septembre 2018, M. C... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France, qui a ordonné une expertise confiée à un chirurgien vasculaire et à un infectiologue. Ils ont déposé leur rapport le 29 janvier 2019. Par un courrier du 19 juillet 2019, reçu le 24 juillet 2019, le requérant a demandé à l'AP-HP d'indemniser ses préjudices. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'administration sur cette demande. M. C... relève appel des jugements susvisés des 5 février 2020 et 21 octobre 2022 par lesquels le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit, après une nouvelle expertise, à ses demandes.

Sur la jonction :

3. Les deux requêtes susvisées sont présentées par le même requérant et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la recevabilité des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine :

4. Compte tenu, d'une part, du lien qu'établissent les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse et, d'autre part, de l'obligation qu'elles instituent de mettre en cause la caisse de sécurité sociale à laquelle est affiliée la victime en tout état de la procédure afin de la mettre en mesure de poursuivre le remboursement de ses débours par l'auteur de l'accident, une caisse régulièrement mise en cause en première instance mais qui n'a pas interjeté appel dans les délais d'un jugement rejetant aussi bien ses conclusions que celles de la victime tendant à la condamnation de l'auteur de l'accident est néanmoins recevable à reprendre ses conclusions tendant au remboursement de ses frais, augmentés le cas échéant des prestations nouvelles servies depuis l'intervention du jugement de première instance, lorsque la victime a elle-même régulièrement exercé cette voie de recours (Conseil d'Etat, 1er juillet 2005, Strada, n° 234403A). Il suit de là que la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine est recevable à demander, par un mémoire enregistré après l'expiration du délai d'appel, le remboursement des débours qu'elle a exposés en raison des dommages subis par son assuré et que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'AP-HP, tirée de la tardiveté des conclusions d'appel présentées par la caisse, ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la responsabilité :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport remis le 29 janvier 2019 à la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France par deux experts, que lorsque M. C... s'est présenté le 27 septembre 2016 au service des urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, il souffrait d'une ischémie critique du membre inférieur gauche. Si une amputation aurait d'emblée pu être proposée au patient et s'avérait l'issue la plus probable, l'opération alors décidée de revascularisation par un pontage ilio-fémoral était indiquée en première intention, dans une perspective, indiquent les experts, de " sauvetage " du membre inférieur, alors même qu'elle comportait, du fait des particularités et de la gravité de la pathologie, de faibles probabilités de réussite, de l'ordre de 5 %, à condition toutefois d'être réalisée dans le plus bref délai possible. Or, M. C... n'a été opéré que le 4 octobre 2016, sans que le délai de sept jours qui s'est ainsi écoulé entre son admission à l'hôpital et la première opération ne soit justifié. Si le choix thérapeutique initial est donc conforme aux règles de l'art, le retard fautif de réalisation du geste opératoire a en revanche fait perdre à M. C..., comme l'ont à bon droit retenu les premiers juges, les faibles chances de succès de l'opération de revascularisation, soit 5 %.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ". Et aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. ".

8. Ni M. C... ni l'AP-HP ne contestent en appel les jugements attaqués en tant qu'ils ont estimé que l'AP-HP avait méconnu le devoir d'information du patient, faute de lui avoir présenté l'ensemble des choix thérapeutiques possibles après le diagnostic initial, sans toutefois que cette méconnaissance ne lui ait fait perdre une chance d'échapper à l'amputation. Les parties ne remettent pas davantage en cause la faute commise par l'AP-HP, au regard des dispositions de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, en réalisant un pontage ilio-fémoral gauche le 4 octobre 2016 sans le consentement libre et éclairé de M. C..., cette faute engageant la responsabilité intégrale de l'AP-HP au titre des dépenses de santé, du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées en lien direct et certain avec cette première intervention et la reprise qu'elle a imposée par l'intervention du 13 octobre 2016.

9. En dernier lieu, il résulte de l'instruction et n'est contesté par aucune des parties que l'infection contractée par M. C... lors de sa prise en charge, et constatée lors de l'opération de régularisation du moignon du 3 novembre 2016, présente un caractère nosocomial, comme l'a jugé le tribunal. Cette infection a toutefois été traitée avec succès par une antibiothérapie durant six semaines. Dans ces conditions, la responsabilité de l'AP-HP n'est engagée à ce titre qu'en ce qui concerne les seuls préjudices résultant des souffrances supplémentaires endurées, en lien avec cette infection et son traitement.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 9 du présent arrêt que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif a retenu que la responsabilité de l'AP-HP était engagée, d'une part, à hauteur de 5% de perte de chance d'éviter l'amputation, du fait du retard avec lequel une opération de revascularisation de sa jambe gauche a été tentée, ainsi, d'autre part, qu'intégralement s'agissant des dépenses de santé, du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées en lien avec l'intervention du 4 octobre 2016 et l'opération de reprise du 13 octobre 2016, enfin, s'agissant des préjudices liés l'infection nosocomiale et à son traitement.

Sur les préjudices :

11. Il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. C... doit être considéré comme consolidé à compter du 4 octobre 2019, alors qu'il était âgé de soixante-et-un ans.

12. En premier lieu, et d'une part, la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine justifie avoir exposé des frais d'hospitalisation d'un montant de 100 904,16 euros lors du séjour de M. C... à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Compte tenu de la réparation intégrale due par l'AP-HP au titre du défaut de recueil du consentement du patient, et alors même que ce dernier serait resté hospitalisé six semaines si la revascularisation avait été réalisée sans délai et lui avait permis d'échapper à l'amputation, les dépenses de santé exposées par la caisse du 27 septembre au 4 octobre 2016, date de l'amputation de M. C..., s'élèvent, par un calcul au prorata, à la somme de 11 772,18 euros, qui doit être intégralement mise à la charge de

l'AP-HP.

13. D'autre part, la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine justifie avoir exposé des frais hospitaliers pour la période du 4 octobre au 25 novembre 2016 d'un montant de 89 131,98 euros, ainsi que de 29 204,25 euros en raison du séjour ultérieur de M. C... en clinique de rééducation. Elle a par ailleurs exposé des frais médicaux, des frais pharmaceutiques, des frais d'appareillage et des frais de transports pour un montant total de 14 599,52 euros. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt que ces dépenses, strictement imputables à l'amputation du requérant, doivent être remboursées par l'AP-HP à hauteur de 5%, soit une somme totale de 6 646,79 euros, à laquelle doit être ajoutée la somme de 470,54 euros, correspondant à l'actualisation, par la caisse, de ses débours s'agissant des frais d'appareillage et pharmaceutiques, en lien avec l'amputation, exposés après la consolidation de l'état de santé de M. C....

14. Enfin, comme le soutient l'AP-HP en appel, en l'absence d'accord de sa part, la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine ne peut prétendre au versement d'un capital au titre des frais futurs d'appareillage de M. C.... Il résulte de l'instruction, notamment de l'attestation de débours produite, que le montant annuel de ces frais futurs s'élève à la somme 4 017,35 euros ; compte tenu du taux de perte de chance de 5 %, l'AP-HP versera donc à la caisse une rente d'un montant annuel de 200,87 euros.

15. En deuxième lieu, M. C... justifie par la production de deux factures de 2 320,52 euros de frais exposés au titre du choix d'une chambre individuelle et du repassage de son linge lors de son séjour en centre de rééducation. Ces frais divers, qui ne constituent pas des dépenses de santé et sont imputables à l'amputation qu'il a subie, doivent être pris en charge par l'AP-HP à hauteur de 5 %, soit 116,01 euros. En revanche, si M. C... ne demande plus en appel le versement d'une indemnité au titre de l'achat d'un fauteuil roulant, mais le remboursement de frais résultant de l'acquisition d'une trottinette électrique, ainsi que d'autres sommes restées à sa charge liées à son appareillage, il ne justifie de la réalité de ses préjudices par la production d'aucune pièce décrivant précisément ce qui ne lui aurait pas été remboursé par un tiers payeur, alors en outre que les experts n'ont mentionné que la nécessité de disposer de cannes anglaises, d'un fauteuil roulant et de prothèses.

16. En troisième lieu, M. C... sollicite le remboursement de frais d'avocat pour un montant de 30 000 euros, et il produit plusieurs notes d'honoraires, mentionnant notamment la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation ou la rédaction des recours juridictionnels qu'il a engagés. Comme le fait valoir l'AP-HP en défense, il ne justifie cependant par aucune pièce de la réalité du versement effectif des sommes réclamées, alors par ailleurs que les sommes exposées par lui au titre des frais exposés et non compris dans les dépens des instances juridictionnelles font l'objet du versement de sommes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La demande à ce titre doit donc être rejetée, comme l'ont retenu les premiers juges. Il y a lieu en revanche de confirmer le jugement en tant qu'il fait droit à la demande de M. C... tendant au versement par l'AP-HP de la somme de 2 400 euros au titre des honoraires d'un médecin conseil qui l'a assisté lors de l'expertise médicale conduite devant la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France.

17. En quatrième lieu, si M. C... demande la réévaluation à cinq heures par jour du besoin d'assistance par une tierce personne avant la consolidation de son état de santé, il n'étaye sérieusement sa demande par aucune pièce, alors qu'il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise, que les premiers juges ont à bon droit fixé ce besoin à deux heures par jour. L'AP-HP n'est par suite pas fondée à réclamer une diminution de l'évaluation dudit besoin à une heure par jour. Eu égard au taux horaire de 15,29 euros retenu par le tribunal pour l'année 2019, qui n'est pas remis en cause par les parties en appel, et en retranchant de la somme due la période d'hospitalisation de M. C... du 11 au 15 juin 2019 pour coronarographie de réévaluation, comme le demande l'AP-HP, soit 61,16 euros, le préjudice subi au titre du besoin d'assistance par une tierce personne avant consolidation doit être évalué à la somme totale de 16 748,90 euros, dont 5 %, soit 837,45 euros, doit être mis à la charge de l'AP-HP. Il n'y a pas lieu en revanche de réformer le jugement du 21 octobre 2022 s'agissant des besoins d'assistance par une tierce personne après la consolidation de M. C..., dont l'indemnisation pouvait en l'espèce être accordée sous forme de capital, eu égard notamment à son montant. Ainsi, la somme totale qui doit être mise à la charge de l'AP-HP, compte tenu du taux de perte de chance de 5 % et de ce qui vient d'être dit, au titre des besoins d'assistance de M. C... par une tierce personne, avant et après la consolidation de son état de santé, doit être fixée à 7 392,79 euros.

18. En cinquième lieu, si M. C... soutient qu'il a été licencié pour motif économique après l'amputation qu'il a subie, et demande par suite l'indemnisation d'un préjudice professionnel, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que l'arrêt de son activité professionnelle de couvreur est lié à la cardiopathie ischémique grave dont il était atteint avant la survenue des faits engageant la responsabilité de l'AP-HP. La demande à ce titre doit donc être rejetée.

19. En sixième lieu, il résulte de l'expertise diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation que M. C... a subi un déficit fonctionnel temporaire total en lien avec son amputation du 28 novembre 2016 au 21 avril 2017, puis un déficit fonctionnel de 50 % du 22 avril au 15 juillet 2017, et enfin de 30 % à compter du 16 juillet 2017. L'expertise ordonnée avant dire droit par les premiers juges a réévalué le déficit fonctionnel à 50 % entre le 30 janvier et le 4 octobre 2019, date de consolidation de l'état de santé du requérant. Si l'AP-HP soutient que ce rehaussement n'est pas justifié, elle n'apporte aucun élément circonstancié de nature à remettre en cause les constatations de l'expertise. Par ailleurs, comme l'a relevé le tribunal, le déficit fonctionnel temporaire total strictement imputable aux interventions de revascularisation auxquelles M. C... n'a pas consenti, portant sur la période du 4 au 26 octobre 2016, doit être intégralement réparé par l'AP-HP, alors même que l'intéressé aurait subi un déficit fonctionnel total si l'intervention de revascularisation avait été réalisée sans délai ou si une amputation avait été effectuée dès son admission à l'hôpital. Il y a lieu dans ces conditions de confirmer l'évaluation effectuée par les premiers juges s'agissant du déficit fonctionnel temporaire subi, soit 945 euros, après application du taux de perte de chance, jusqu'au 4 octobre 2019.

20. En septième lieu, il résulte de l'instruction que le taux de déficit fonctionnel permanent dont est atteint M. C... doit être fixé à 42 %, incluant les répercussions psychologiques. Le tribunal a fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 3 250 euros après application du taux de perte de chance.

21. En huitième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges aient procédé à une évaluation insuffisante de la somme due par l'AP-HP au titre des souffrances endurées par M. C..., qui n'apporte pas d'éléments de nature à contredire leur appréciation. Il y a donc lieu de confirmer les jugements attaqués sur ce point en fixant le montant total de l'indemnité due à 3 250 euros, après application du taux de perte de chance.

22. En neuvième lieu, il résulte de l'instruction que les préjudices esthétiques de M. C..., temporaire et définitif, doivent être évalués à 4 sur une échelle allant de 0 à 7. Dans ces conditions, l'indemnisation de ce préjudice, fixée à la somme totale de 600 euros, après application du taux de perte de chance de 5 %, n'a pas été manifestement sous-évaluée par les premiers juges.

23. En dixième lieu, il résulte de l'instruction que l'impossibilité pour M. C... de reprendre ses activités sportives et de loisirs est liée à la pathologie cardiovasculaire dont il était atteint avant la survenue des faits engageant la responsabilité de l'AP-HP. Il y a lieu par suite de confirmer les jugements attaqués en tant qu'ils ont rejeté la demande à ce titre.

24. En dernier lieu, aucune des parties ne conteste en appel la somme de 3 000 euros accordée par les premiers juges à M. C... au titre du préjudice moral résultant du défaut de consentement à l'opération du 4 octobre 2016.

25. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, d'une part, la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine n'est fondée à demander la réévaluation de la somme qui lui a été allouée par les premiers juges qu'en portant cette dernière de 6 055,43 euros à 18 889,51 euros, à laquelle doit s'ajouter le versement d'une rente annuelle de 200,87 euros, et que, d'autre part, le montant total que l'AP-HP doit être condamnée à verser à M. C... doit être ramené de 23 161,37 euros à 20 953,80 euros, sans qu'il soit besoin d'ordonner la mesure d'expertise complémentaire sollicitée par le requérant.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'AP-HP le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP le versement de la somme de 1 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : L'AP-HP est condamnée à verser à M. C... la somme totale de 20 953,80 euros au titre de l'ensemble des préjudices, temporaires et définitifs, qu'il a subis du fait de sa prise en charge à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à compter du 27 septembre 2016. L'article 2 du jugement n° 1924601-2003095/6-1 du 5 février 2021 du tribunal administratif de Paris et l'article 1er du jugement n° 1924601/6-1 du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris sont réformés en ce sens.

Article 2 : La somme mentionnée à l'article 2 du jugement n° 1924601/6-1 du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris est portée à 18 889,51 euros, à laquelle doit s'ajouter le versement d'une rente annuelle de 200,87 euros.

Article 3 : L'AP-HP versera la somme de 1 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Les jugements n° 1924601-2003095/6-1 du 5 février 2021 et n° 1924601/6-1 du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2024.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 21PA00770, 22PA04680


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00770
Date de la décision : 22/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : BOCCARA-SOUTTER

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-22;21pa00770 ?
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