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21/03/2024 | FRANCE | N°23PA02427

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 21 mars 2024, 23PA02427


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 août 2021 par laquelle le préfet de police a refusé de lui délivrer une carte d'identité et un passeport au nom de l'enfant F... A..., et d'enjoindre audit préfet de délivrer une carte d'identité et un passeport au nom de cet enfant, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir.



Par un jugement n° 2121708 du 6 avril 2023, le tr

ibunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 août 2021 par laquelle le préfet de police a refusé de lui délivrer une carte d'identité et un passeport au nom de l'enfant F... A..., et d'enjoindre audit préfet de délivrer une carte d'identité et un passeport au nom de cet enfant, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2121708 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er juin 2023 et un mémoire enregistré le 17 janvier 2024, M. E... A..., représenté par Me Bayeron, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2121708 du 6 avril 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 17 août 2021 du préfet de police ;

3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer un passeport et une carte nationale d'identité à l'enfant A... sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir.

Il soutient que :

- la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit, dès lors que son enfant est français et doit donc se voir délivrer les documents demandés ;

- elle méconnait l'article 3, § 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des Outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité ;

- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- et les conclusions de M. Doré, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... A..., né le 17 février 1973 à Fronobo (Côte d'Ivoire), a acquis la nationalité française le 11 mars 2003, en application de l'article 21-2 du code civil. Le 29 avril 2020, il a reconnu l'enfant F... A..., né le 29 avril 2020 à Paris (XIIIème arrondissement) ayant pour mère Mme G... C..., de nationalité ivoirienne. Le 4 juillet 2020, M. A... a sollicité auprès de la préfecture de police la délivrance d'une carte d'identité et d'un passeport pour l'enfant F... A.... Le 12 août 2020, les services de la préfecture de police ont adressé à M. A... un courrier l'informant que plusieurs éléments de son dossier suscitaient des doutes relativement à la filiation paternelle de l'enfant F... A..., et l'ont invité à produire des éléments de nature à établir une telle filiation. L'intéressé a répondu à cette demande le 16 septembre 2020. Par un courrier du 10 décembre 2020, notifié le 23 décembre suivant au conseil du requérant, le bureau des cartes nationales d'identité et des passeports au sein de la préfecture de police a estimé que les éléments apportés par M. A... étaient insuffisants pour établir la réalité du lien de filiation paternelle et, par suite, la nationalité de l'enfant F..., et a formulé une demande d'enquête administrative auprès de la direction de sécurité de proximité de l'agglomération parisienne. Par une décision du 17 août 2021, le préfet de police a rejeté la demande de M. A..., lequel a saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation de cette décision. Cette juridiction a rejeté sa demande par un jugement du 6 avril 2023 dont l'intéressé relève appel devant la Cour.

2. D'une part, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ". L'article 311 du code civil dispose que : " La loi présume que l'enfant a été conçu pendant la période qui s'étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance. / La conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l'intérêt de l'enfant. La preuve contraire est recevable pour combattre ces présomptions. ". L'article 316 du code civil dispose que : " Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. / La reconnaissance n'établit la filiation qu'à l'égard de son auteur. (...) ". Et aux termes de l'article 371-1 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".

3. D'autre part, l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 dispose que : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande (...) ". L'article 4 du même décret dispose que : " I. - En cas de première demande, la carte nationale d'identité est délivrée sur production par le demandeur : (...) / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II. - (...) Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française. ". L'article 4 du décret du 30 décembre 2005 prévoit que : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. (...) ". L'article 8 du même décret précise que : " La demande de passeport faite au nom d'un mineur est présentée par une personne exerçant l'autorité parentale. ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " I. - En cas de première demande, le passeport est délivré sur production par le demandeur : / 1° De sa carte nationale d'identité sécurisée prévue au titre II du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 modifié instituant la carte nationale d'identité, valide ou périmée depuis moins de cinq ans à la date de la demande ; en pareil cas, sans préjudice, le cas échéant, de la vérification des informations produites à l'appui de la demande de cet ancien titre, le demandeur est dispensé d'avoir à justifier de son état civil et de sa nationalité française (...) / 4° Ou à défaut de produire l'un des titres mentionnés aux alinéas précédents, de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation ou, lorsque cet extrait ne peut pas être produit, de la copie intégrale de son acte de mariage. / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux deux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II. - La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au 4° du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. / Lorsque l'extrait d'acte de naissance mentionné au précédent alinéa ne suffit pas à établir la nationalité française du demandeur, le passeport est délivré sur production de l'une des pièces justificatives mentionnées aux articles 34 ou 52 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 modifié relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. (...) Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française. ". Enfin, aux termes de l'article 32 du code civil : " Les Français originaires du territoire de la République française, tel qu'il était constitué à la date du 28 juillet 1960, et qui étaient domiciliés au jour de son accession à l'indépendance sur le territoire d'un État qui avait eu antérieurement le statut de territoire d'outre-mer de la République française, ont conservé la nationalité française. (...) ".

4. Pour l'application de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de la carte nationale d'identité et du passeport. Dans ce cadre, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet ou à l'autorité consulaire s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre, qu'une reconnaissance de paternité a été souscrite frauduleusement, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance du titre sollicité.

5. Pour refuser la délivrance d'une carte d'identité et d'un passeport à l'enfant F... A..., le préfet de police s'est fondé sur la circonstance que sa mère, Mme C..., était en situation irrégulière et n'avait pas initié de démarche aux fins de régularisation et que son fils était né presque quatre mois après son arrivée en France. Le préfet de police a également relevé une absence de communauté de vie entre Mme C... et M. A... avant, pendant et après la naissance de l'enfant, et une méconnaissance flagrante de leurs vies respectives. Enfin, le préfet de police s'est appuyé sur la circonstance que M. A... avait effectué une déclaration mensongère d'élection de domicile chez Mme B... à Paris (75015) alors qu'il avait indiqué par ailleurs être marié à Mme D... et vivre à Saint-Herblain, en Loire-Atlantique.

6. En premier lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que l'enfant F... A... est né le 29 avril 2020, de sorte qu'il est présumé avoir été conçu entre le 4 juillet et le 1er novembre 2019, en application de l'article 311 du code civil. Le préfet de police fait valoir que Mme C... est entrée en France au début de l'année 2020 à la suite de l'acceptation de sa demande de visa, le 6 janvier 2020 et, dès lors, que l'enfant F... A... doit être présumé avoir été conçu en Côte-d'Ivoire. Or, il ressort des pièces du dossier que Mme C... était présente en France du 13 au 17 novembre 2019, ainsi qu'il est attesté par les cachets figurant sur son visa de court séjour " États Schengen ", valable du 6 novembre au 21 décembre 2019. Il ressort également du passeport ivoirien de M. A... qu'il a effectué un séjour en Côte d'Ivoire le 19 juillet 2019, soit au cours de la période présumée de conception de l'enfant, contrairement aux affirmations du préfet de police. Toutefois, et comme l'ont relevé les premiers juges, il ressort de l'instruction que le préfet de police aurait, en tout état de cause, pris la même décision sans se fonder sur ce seul motif erroné.

7. D'autre part, et comme l'ont relevé les premiers juges, le préfet de police produit au dossier un rapport d'enquête établi par le commissariat central du 15ème arrondissement de Paris indiquant que Mme C... avait déclaré avoir rencontré M. A... en Côte-d'Ivoire en 2018 mais n'avoir jamais vécu avec lui, alors que Mme B..., résidant à Paris (XVème arrondissement) affirmait, dans une attestation sur l'honneur du 8 octobre 2021, que le couple avait été hébergé chez elle entre février et décembre 2020, et que M. A..., par ailleurs marié et résidant en Loire-Atlantique, se déplaçait quelques jours tous les mois pour venir voir Mme C.... Ce même rapport d'enquête précise que Mme B..., lorsqu'elle a été entendue par les services de police, a déclaré que le couple ne résidait plus chez elle depuis début 2020 et qu'elle-même était l'amante de M. A... et ignorait que Mme C... était enceinte de ce dernier, en contradiction avec ses déclarations antérieures ; le même rapport relève les déclarations du gardien de l'immeuble selon lesquelles Mme B... avait toujours habité seule. Si M. A... verse au dossier cinq attestations, émanant de ses proches en Côte-d'Ivoire, précisant qu'ils avaient été témoins de la cérémonie d'union traditionnelle entre M. A... et Mme C... en 2019, ainsi qu'un contrat de bail conclu le 1er juillet 2017 avec Mme C... pour l'occupation d'un logement à Abidjan, ces éléments contredisent les propres déclarations de Mme C... faisant état d'une absence de vie commune avec M. A... et ne mentionnant pas l'existence d'une cérémonie d'union traditionnelle. Enfin, si M. A... produit également quatre preuves de virements à l'attention de Mme C..., ces transactions, datées des 30 juillet et 26 août 2020 et des 2 octobre 2021 et mars 2022, ne sauraient établir une contribution régulière à l'entretien de l'enfant F..., alors en outre que ces virements ont été effectués, pour la plupart, postérieurement au courrier du 12 août 2020 de la préfecture de police informant M. A... de ce que plusieurs éléments de son dossier suscitaient des doutes quant à la filiation paternelle de l'enfant F... A... en l'invitant à produire des éléments de nature à établir une telle filiation. Il en va de même de deux factures établies le 31 juillet et le 15 août 2020 relatives à l'achat de divers objets destinés aux soins d'un jeune enfant. Dès lors, au regard des déclarations inexactes et contradictoires de M. A... et Mme C... quant à l'existence d'une vie commune, y compris en Côte d'Ivoire, et de l'absence de contribution effective à l'entretien et l'éducation du jeune F..., le préfet de police, dans les circonstances propres à l'affaire, a pu faire naître un doute suffisant quant à la filiation paternelle de l'enfant. Il a, dès lors, mis en œuvre les pouvoirs qu'il tient des règles rappelées aux points 3 et 4 et n'a ainsi pas méconnu les articles 18, 19, 316 et 371 du code civil.

8. En second lieu, aux termes de l'article 3, §1, de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

9. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, et ainsi qu'il a été dit au point 7, les éléments rassemblés par le préfet de police sont de nature à faire naître un doute suffisant quant à la filiation paternelle de l'enfant F..., ainsi, le préfet de police n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3, § 1, de la convention internationale des droits de l'enfant, lesquelles n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire du respect de la loi, au seul motif de l'intérêt de l'enfant, les agissements frauduleux destinés à obtenir des documents d'identité à ce dernier.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 août 2021 par laquelle le préfet de police a refusé de lui délivrer une carte d'identité et un passeport au nom de l'enfant F... A.... Ses conclusions d'appel qui tendent à l'annulation dudit jugement et de cette décision doivent donc être rejetées, en ce comprises, par voie de conséquence, celles tendant au prononcé d'une injonction aux fins de délivrance de ces deux documents.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 février 2024.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02427


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02427
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : BAYERON

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;23pa02427 ?
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