Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de condamner conjointement l'Etat et la Polynésie française à lui verser la somme de 128 506 euros en réparation des préjudices de toute nature que lui a causés le surcroît d'heures d'enseignement non rémunéré auquel il a été astreint.
Par un jugement n° 2200403 du 7 février 2023, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés le 7 avril 2023 et le 15 juin 2023, M. A..., représenté par Me Carrere, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200403 du 7 février 2023 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de condamner conjointement l'Etat et la Polynésie française à lui verser une somme de 128 506 euros ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la Polynésie française le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les professeurs des écoles en Polynésie ont une obligation de service de 27 heures d'enseignement hebdomadaires ;
- les obligations de service d'enseignement des professeurs des écoles en Polynésie sont régies par le seul décret du 30 juillet 2008 qui les fixe à 24 heures hebdomadaires ;
- dès lors qu'il accomplit l'intégralité de son service, y compris les 108 heures autres que d'enseignement, l'obligation d'effectuer 27 heures hebdomadaires de cours le conduit à effectuer, chaque année, des heures supplémentaires non rémunérées, correspondant à 8 % de son traitement sur la période de septembre 2010 à septembre 2022 ;
- ce surcroît de travail illégal lui a causé en outre un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2023 la Polynésie française, représentée par Me Marchand, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 1 500 euros soit mis à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions de la requête sont irrecevables en tant qu'elles sont dirigées contre la Polynésie française ;
- la créance dont se prévaut le requérant est atteinte par la prescription quadriennale en tant qu'elle porte sur les heures de travail effectuées avant janvier 2018 ;
- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2023 le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la créance dont se prévaut le requérant est atteinte par la prescription quadriennale en tant qu'elle porte sur les heures de travail effectuées avant le 1er janvier 2018 ;
- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le décret n° 90-680 du 1er août 1990 ;
- le décret n° 2003-1260 du 23 décembre 2003 ;
- le décret n° 2008-775 du 30 juillet 2008 ;
- l'arrêté n° 795 CM du 24 juillet 1996 ;
- l'arrêté n° 797 CM du 24 juillet 1996 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- les observations de Me Cadou, pour M. A..., ainsi que les observations de M. A...
présentées conformément aux dispositions de l'article R. 731-2-1 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., professeur des écoles titulaire appartenant depuis 1999 au corps de l'Etat créé pour la Polynésie française, a présenté par un courrier en date du 23 mai 2022, au ministre de l'éducation nationale et au ministre du gouvernement de la Polynésie française chargé de l'éducation, une demande indemnitaire préalable visant à obtenir la réparation du préjudice que lui a causé l'accomplissement hebdomadaire de deux heures d'enseignement en sus de ses obligations de service prévues par le décret n° 2008-775 du 30 juillet 2008 relatif aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants du premier degré. Il fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française, saisi à la suite du rejet implicite de cette demande, a rejeté sa demande tendant à la condamnation conjointe de l'Etat et de la Polynésie française à lui verser une somme totale de 128 506 euros.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la Polynésie française :
2. Contrairement à ce que soutient la Polynésie française, les conclusions par lesquelles M. A... demande à la Cour de la condamner à l'indemniser ne sont pas irrecevables comme étant mal dirigées, dès lors qu'à l'appui de ces conclusions M. A..., en appel comme en première instance, invoque non seulement une faute commise par l'Etat, mais également une faute, distincte, commise par la Polynésie française.
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance transmis à la Cour que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures prévues par ces dispositions. Si l'expédition du jugement du tribunal administratif de la Polynésie française notifié à M. A... ne comporte pas ces signatures, cette circonstance n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué, qui est par ailleurs suffisamment motivé. Par suite, le moyen doit être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires :
5. D'une part, aux termes de l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : " Dans les matières qui relèvent de la compétence de l'Etat, sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin. / Par dérogation au premier alinéa, sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière, les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives : (...) / 5° Aux agents publics de l'Etat ; (...) ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " Les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par l'article 14 et celles qui ne sont pas dévolues aux communes en vertu des lois et règlements applicables en Polynésie française. (...) ". Enfin l'article 14 de cette loi dispose que : " Les autorités de l'Etat sont compétentes dans les seules matières suivantes : (...) / 11° Fonction publique civile et militaire de l'Etat ; (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 30 juillet 2008 relatif aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants du premier degré : " Les personnels enseignants du premier degré sont tenus d'assurer, sur l'ensemble de l'année scolaire : / 1° Un service d'enseignement de vingt-quatre heures hebdomadaires ; / 2° Les activités et missions définies à l'article 2, qui représentent cent huit heures annuelles, soit trois heures hebdomadaires en moyenne annuelle. ". L'article 2 de ce même décret précise que : " I.-Les cent huit heures annuelles mentionnées au 2° de l'article 1er sont réparties de la manière suivante : /
1° Trente-six heures consacrées à des activités pédagogiques complémentaires organisées dans le projet d'école, par groupes restreints d'élèves, pour l'aide aux élèves rencontrant des difficultés dans leurs apprentissages, pour une aide au travail personnel ou pour une activité prévue par le projet d'école ; / 2° Quarante-huit heures consacrées aux travaux en équipes pédagogiques, aux relations avec les parents, à l'élaboration et au suivi des projets personnalisés de scolarisation pour les élèves handicapés ; /3° Dix-huit heures consacrées à des actions de formation continue, pour au moins la moitié d'entre elles, et à de l'animation pédagogique ; /4° Six heures de participation aux conseils d'école obligatoires. II.-Le contenu des activités et missions définies au I est adapté, par arrêté du ministre chargé de l'éducation nationale, lorsque les personnels enseignants du premier degré exercent, soit dans les écoles, dans les dispositifs adaptés pour l'accueil et le suivi des enfants présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant mentionnés à l'article L. 351-1 du code de l'éducation, dans les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, soit dans les établissements ou services de santé ou médico-sociaux, mentionnés aux articles L. 351-1 et D. 351-17 du même code. III.-Lorsque les heures mentionnées au 1° du I ne peuvent être entièrement utilisées pour les activités correspondantes, elles sont consacrées au renforcement de la formation professionnelle continue, en dehors de la présence des élèves. ".
7. Enfin, en vertu de l'article 1er du décret du 23 décembre 2003 fixant les dispositions statutaires applicables aux professeurs des écoles du corps de l'État créé pour la Polynésie française, ces derniers sont soumis, sous réserve des dispositions qu'il prévoit, au décret du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles. Ni ce décret du 23 décembre 2003, ni celui du 1er août 1990 ne comportent de dispositions relatives aux obligations de service d'enseignement des professeurs des écoles.
8. Si l'arrêté n° 797 CM du 24 juillet 1996 fixant en Polynésie française la durée hebdomadaire de la scolarité dans les écoles maternelles et élémentaires et la répartition des horaires par discipline dans les écoles élémentaires prévoit que " La durée hebdomadaire de cours dispensés à l'école maternelle et à l'école élémentaire est fixée à vingt-sept heures (27 h) / Ce volume horaire est ramené à vingt-trois heures trente minutes (23 h 30 mn) durant les neuf semaines incluant la demi-journée de concertation pédagogique ", ces dispositions, prises dans le cadre de la compétence exclusive du territoire en matière d'organisation du service de l'enseignement primaire, ne déterminent que le nombre d'heures d'enseignement reçus par les élèves pendant une année scolaire. Elles n'ont pas pour objet et ne peuvent légalement avoir pour effet de déterminer l'obligation statutaire de service des professeurs des écoles du corps de l'État créé pour la Polynésie française, matière qui relève de la compétence exclusive de l'État et est entièrement régie par les dispositions précitées du décret du 30 juillet 2008 en l'absence de dispositions particulières prévues en la matière par le décret du 23 décembre 2003.
9. Il résulte des termes des articles 1er et 2 précités du décret du 30 juillet 2008 relatif aux obligations de service et aux missions des personnels enseignants du premier degré, applicables aux professeurs des écoles appartenant au corps de l'Etat créé pour la Polynésie française, que l'obligation de service hebdomadaire d'enseignement auxquels ils sont assujettis revêt un caractère statutaire, tant en ce qui concerne le nombre d'heures hebdomadaires d'enseignement que le nombre d'heures annuelles des activités et missions énumérées à l'article 2. Dès lors que cette obligation est fixée à 24 heures d'enseignement par semaine, en leur imposant d'effectuer, sur une période de 27 semaines par année scolaire de 36 semaines, un service hebdomadaire de 27 heures d'enseignement, et, sur les 9 semaines restantes, un service hebdomadaire de 23h30, soit en moyenne annuelle 26,125 heures hebdomadaires, la Polynésie française a modifié leurs obligations statutaires de service sans en avoir la compétence et a, par suite, commis une faute de nature à engager sa responsabilité quand bien même le nombre total d'heures de service effectué sur une année scolaire par les professeurs des écoles en Polynésie française n'excéderait pas le total annuel de 972 heures résultant de ces articles 1er et 2, soit en moyenne annuelle 26,125 heures hebdomadaires d'enseignement sur 36 semaines et 3,5 heures hebdomadaires sur 9 semaines au titre de la concertation pédagogique.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne le préjudice financier :
10. M. A... soutient qu'en application de l'arrêté n° 797 du 24 juillet 1996 , il est tenu d'assurer, en moyenne, 26,125 heures d'enseignement par semaine, soit un total de 940,5 heures sur une année scolaire comportant 36 semaines et qu'il est également tenu de consacrer 3 heures par semaine, soit un total de 108 heures par an, aux autres missions prévues à l'article 2 du décret du 30 juillet 2008, pour en déduire qu'il est astreint à des obligations de services qui excèdent celles prévues par le décret statutaire du 30 juillet 2008 qui pourtant régit le corps des enseignants auquel il appartient.
11. En défense, tant le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse que la Polynésie française soutiennent que les professeurs des écoles en poste en Polynésie française se conforment aux prescriptions résultant du seul arrêté n° 797 du 24 juillet 1996 qui prévoit des obligations de services, enseignement et autres missions, s'élevant à 27 heures hebdomadaires sur 36 semaines, soit 972 heures par année scolaire, nombre d'heures qui est strictement identique à celui résultant du décret du 30 juillet 2008, ce dont il résulte que les professeurs des écoles en Polynésie française n'accomplissent pas les heures supplémentaires dont se prévaut le requérant, qui produit d'ailleurs une réponse faite le 7 décembre 2018 à la co-secrétaire générale du SNUIpp-FSU, aux termes de laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse estime que " le décret n° 2008-775 du 30 juillet 2008 n'a pas vocation à s'appliquer pour les professeurs des écoles affectés en Polynésie française tant que le gouvernement polynésien n'aura pas choisi de modifier l'organisation de l'enseignement primaire sur son territoire ".
12. En se bornant à relever qu'aucune retenue pour service non fait n'a été opérée sur son traitement, M. A... ne peut être regardé comme établissant que les activités de la nature de celles qui sont prévues à l'article 2 du décret du 30 juillet 2008 ont représenté un temps de travail supérieur à 31,5 heures par année scolaire et, par suite, comme justifiant de la réalité du préjudice financier qu'il allègue, qui résulterait de ce que les obligations de services auxquelles il est tenu excéderaient 972 heures par an.
En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :
13. M. A... relève qu'il s'est vu astreint à une obligation de service d'enseignement de 26,125 heures par semaine en moyenne annuelle au lieu des 24 heures prévues à l'article 1er du décret du 30 juillet 2008. Toutefois, en invoquant cette seule circonstance, et alors qu'ainsi qu'il a été dit, il n'établit pas que la durée globale annuelle de ses obligations de service excéderait 972 heures, l'intéressé ne justifie ni de la réalité du préjudice moral, ni des troubles dans les conditions d'existence qu'il allègue. Par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à être indemnisé de ces chefs de préjudice, qu'il évalue à 5 000 euros par année, ne peuvent qu'être rejetées.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la Polynésie française qui ne sont pas, en la présente instance, les parties perdantes, une quelconque somme au titre des frais d'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la Polynésie française tendant à mettre à la charge de M. A... la somme qu'elle réclame au titre de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la Polynésie française sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la Polynésie française et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports, et des jeux olympiques et paralympiques.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République de la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 6 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.
La rapporteure,
P. HAMON
Le président,
B. AUVRAYLa greffière,
L. CHANALa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01438