La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/03/2024 | FRANCE | N°23PA01749

France | France, Cour administrative d'appel, 8ème chambre, 04 mars 2024, 23PA01749


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de 24 mois.



Par un jugement n° 2215672 du 22 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal admi

nistratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de 24 mois.

Par un jugement n° 2215672 du 22 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 avril 2023, M. B..., représenté par Me Touririne-Benatmane, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2215672 du 22 mars 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour le temps qu'un titre de séjour lui soit délivré, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de procéder au réexamen de sa situation, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence de son auteur ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'erreur de fait ;

- elle est entachée d'erreurs de droit ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

-elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard aux effets sur sa situation personnelle ;

- elle porte atteinte à son droit de mener une vie privée et familiale normale.

La requête de M. B... a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 décembre 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba

- et les observations de Me Touririne-Benatmane, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 20 octobre 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a fait obligation à M. B..., né le 17 mars 1990 à Bechar (Algérie), de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de 24 mois. M. B... relève appel du jugement du 22 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Il ressort des termes de l'arrêté du 20 octobre 2022 que pour faire à M. B... obligation de quitter le territoire français et lui interdire de retourner sur le territoire français pendant une durée de 24 mois, le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est fondé sur le fait que celui-ci n'était pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité et sur la menace pour l'ordre public que le comportement de M. B... représente selon lui. Il est souligné à ce titre que M. B... a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, le 11 mai 2020, à laquelle il n'a pas déféré, et qu'il a été interpellé pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis, sans assurance et sous l'influence de produits stupéfiants.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; (...) ". Et aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " (...) l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré une première fois en France en 2003, à l'âge de 13 ans, et qu'il a été scolarisé à l'école algérienne de Paris durant les années scolaires 2003-2004 et 2004-2005. Il est de nouveau entré en France le 5 décembre 2010, sous couvert d'un visa de court séjour. Le 17 mars 2018, il a épousé une ressortissante roumaine, qui séjourne régulièrement en France depuis 2016, et avec laquelle il a eu deux filles, l'une née le 27 septembre 2018 et la seconde le 21 février 2021. Pour attester de la communauté de vie avec son épouse, il produit au dossier de l'instance de nombreuses pièces, dont les fiches de paie de son épouse, les relevés de son livret A, des documents médicaux, des factures d'électricité ou encore des avis d'imposition et une attestation de paiement de la CAF à leurs deux noms, qui comportent, depuis 2018, la même adresse à Bagnolet. Il ressort également de ses propres fiches de paie que depuis 2014, il est employé dans la boucherie de son père à Bagnolet, après avoir suivi une formation spécifique. Le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a produit de mémoire en défense ni en première instance, ni en appel, ne conteste pas les éléments dont M. B... se prévaut ainsi et n'a produit aucune pièce de nature à corroborer les mentions de la décision attaquée relatives à la dangerosité de l'intéressé. Dans ces conditions, eu égard, d'une part, à la nature et à la gravité des faits de conduite sans permis et sous l'emprise de stupéfiant pour lesquels M. B... a été interpellé, et, d'autre part, à la durée de son séjour en France, et à la solidité des liens familiaux et personnels qu'il entretient avec la France et avec son pays d'origine, le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait pas, sans porter une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale, faire obligation à M. B... de quitter le territoire français.

6. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

8. En outre, l'annulation de l'interdiction de retour prise à l'encontre de M. B... implique nécessairement l'effacement du signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen résultant de cette décision. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre également au préfet de la Seine-Saint-Denis de mettre en œuvre la procédure d'effacement de ce signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2215672 du 22 mars 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 20 octobre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il lui est également enjoint de mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié M. B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis et, en application de l'article R. 751-10 du code de justice administrative, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny.

Délibéré après l'audience du 5 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 mars 2024.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA01749 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01749
Date de la décision : 04/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TOURIRINE-BENATMANE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-04;23pa01749 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award