Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 mars 2021 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours devant la commission des recours militaires tendant à l'annulation de la décision de suppression du versement de sa solde à compter d'octobre 2020, au rétablissement de sa solde et au versement de sa solde pour les mois d'octobre et novembre 2020, ainsi que de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 30 000 euros au titre des préjudices subis du fait de l'illégalité de cette décision.
Par un jugement n° 2109107/6-3 du 15 décembre 2022, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision attaquée, a enjoint au ministre de réexaminer la situation de l'intéressé, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. C... au titre des frais exposés et a rejeté le surplus de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 16 février et le 25 septembre 2023, le ministre des armées demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 15 décembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal, d'une part s'est prononcé sur un moyen qui n'était pas soulevé par M. C... et qui n'était pas susceptible d'être soulevé d'office, d'autre part qu'il aurait dû procéder à une mesure d'instruction, ou à tout le moins, rouvrir l'instruction après production de la note en délibéré ;
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables à défaut de demande préalable liant le contentieux ;
- le motif d'annulation retenu par le tribunal n'est pas fondé car la décision attaquée a été précédé d'un avis de la commission de recours des militaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2023, M. C..., représentés par Mes Nicolas Jouanin et Antoine Beauquier, conclut au rejet de la requête et demande qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. A titre subsidiaire, il demande que la décision du 16 mars 2021 soit annulée, qu'il soit enjoint au ministre, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de lui verser le montant de la solde qu'il aurait dû percevoir durant le temps de sa détention, assortie des intérêts au taux légal à compter du recours formé devant la commission des recours des militaires, et de condamner l'Etat à lui verser 30 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive de la décision attaquée.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 23 août 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 25 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le décret du 10 janvier 1912 portant règlement sur la solde et les revenus des troupes métropolitaines ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Topin,
- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public,
- et les observations de Me Jouanin représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., officier supérieur affecté à un poste permanent au sein du commandement interarmées de l'OTAN à Naples depuis le 22 juillet 2019, a été arrêté le 17 août 2020 par les autorités italiennes et remis à la justice française. Par une ordonnance du juge d'instruction du Tribunal judiciaire de Paris du 21 août 2020, M. C... a été mis en examen au motif qu'il existait des indices graves et concordants laissant penser qu'il avait commis l'infraction d'intelligence avec une puissance étrangère et placé en détention provisoire. Le 18 décembre 2020, M. C... a saisi la commission des recours militaires d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des armées a refusé de lui verser sa rémunération à compter du mois d'octobre 2020. Par une décision du 16 mars 2021, la ministre des armées a rejeté sa demande tendant au versement de sa solde à compter d'octobre 2020. Le ministre des armées relève appel du jugement n° 2109107/6-3 du 15 décembre 2022 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 16 mars 2021.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, il ressort de la requête de première instance que M. C... avait soulevé le moyen tiré de l'absence d'avis de la commission de recours des militaires. Dès lors, le ministre n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait soulevé d'office ce moyen.
3. En deuxième lieu, le juge administratif n'est jamais tenu d'exercer ses pouvoirs d'instruction qu'il tient de l'article L. 611-10 du code de justice administratif. Le ministre n'est donc pas fondé à soutenir que le jugement serait irrégulier pour ce motif.
4. Enfin, alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 2. le moyen tiré du défaut de justification de l'avis rendu par la commission de recours des militaires était soulevé, il est constant que le ministre a produit l'avis de cette commission postérieurement à la clôture de l'instruction, et quand bien même l'opportunité de procéder à une réouverture dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice se posait en l'espèce, le tribunal n'était pas contraint d'y procéder sous peine d'entacher le jugement attaqué d'irrégularité.
Sur le moyen d'annulation retenu par le jugement contesté :
5. Les premiers juges ont annulé la décision attaquée au motif que la décision attaquée n'a pas été précédée de l'avis de la commission de recours des militaires en méconnaissance de l'article R. 4125-9 du code de la défense. Il ressort des pièces du dossier que le ministre des armées justifie de ce que la commission de recours des militaires a rendu un avis le 25 février 2021 sur le recours formé par M. C.... Si ce dernier soutient que la force probante de ce document, produit par une note en délibéré enregistrée après l'audience de première instance, n'est pas établie, il n'apporte aucun élément de nature à remettre en doute son authenticité, alors au demeurant que cet avis est visé par la décision contestée. Le ministre des armées est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a accueilli ce moyen pour annuler sa décision du 16 mars 2021.
6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal et la Cour.
Sur les autres moyens d'annulation soulevés devant le tribunal et la Cour :
7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4125-9 du code de la défense : " La commission recommande au ministre compétent ou, le cas échéant, aux ministres conjointement compétents au sens du II de l'article R. 4125-4, soit de rejeter le recours, soit de l'agréer totalement ou partiellement. Son avis ne lie pas le ministre compétent ou, le cas échéant, les ministres conjointement compétents. / Le président de la commission peut recevoir délégation du ministre de la défense, lorsque celui-ci est compétent, seul ou conjointement, pour signer les décisions rejetant les recours formés auprès de la commission ".
8. La décision attaquée a été signée par M. A... D..., directeur adjoint du cabinet civil et militaire. Ce dernier a reçu délégation, par un arrêté du 15 janvier 2021 publié au Journal officiel de la République française du 19 janvier 2021, à " l'effet de signer au nom de la ministre des armées tous actes, à l'exclusion des décrets, en ce qui concerne les affaires pour lesquelles délégation n'est pas donnée aux personnes mentionnées à l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 (...) ". Il ressort de cet article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement que le ministre des armées n'a accordé une délégation de signature au chef du contrôle général des armées que pour les affaires relatives au service placé sous son autorité, dont ne relève pas la commission de recours des militaires. Le directeur adjoint du cabinet civil et militaire était par conséquent compétent pour signer l'acte attaqué sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le président de la commission de recours des militaires puisse également recevoir une délégation du ministre en application des dispositions de l'article R. 4125-9 du code de la défense. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué doit être écarté.
9. En deuxième lieu, M. C... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'annexe au décret du 10 janvier 1912 relatives à la rémunération des officiers détenus à titre préventif, lesquelles ont été nécessairement abrogées par les dispositions législatives postérieures relatives à la rémunération des militaires, qui énumèrent les exceptions limitatives au principe général subordonnant le paiement de la rémunération des agents publics à l'accomplissement de leur service.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 4137-5 du code de la défense : " (...) En cas de faute grave commise par un militaire, celui-ci peut être immédiatement suspendu de ses fonctions par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. / Le militaire suspendu demeure en position d'activité. Il conserve sa solde, l'indemnité de résidence et le supplément familial de solde. / La situation du militaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé est rétabli dans un emploi de son grade, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales./ Lorsque le militaire, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans un emploi de son grade, le ministre de la défense peut déterminer la quotité de la retenue qu'il subit et qui ne peut être supérieure à la moitié de sa solde augmentée de l'indemnité de résidence et du supplément familial de solde. (...) ".
11. Contrairement à ce que soutient M. C..., d'une part les dispositions de l'article L. 4237-7 du code de la défense ne font pas obligation à l'administration de suspendre un militaire en cas de faute grave et ne l'empêchent pas d'interrompre, indépendamment de toute action disciplinaire, le versement de sa rémunération pour absence de service fait en raison de son incarcération. D'autre part, l'impossibilité d'exercer ses fonctions, à la suite de son placement en détention, ne résulte pas d'une décision de l'administration. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 4137-5 du code de la défense ou qu'une rémunération aurait dû lui être versée dès lors que l'impossibilité d'exercer ses fonctions n'était pas de son fait.
12. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11., M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'un détournement de pouvoir dès lors que le refus de versement de rémunération résulte de la stricte application de la règle du service fait, indépendante de la procédure de suspension.
13. En cinquième lieu, alors qu'il est constant que M. C... n'a pas fait l'objet d'une mesure de suspension, il n'est pas fondé à solliciter une rémunération sur le fondement des dispositions de l'article L. 4137-5 du code de la défense ou, en tout état de cause, de l'interprétation qu'aurait donnée l'administration de ces dispositions.
14. En dernier lieu, M. C... ne peut, en tout état de cause, utilement se référer à la situation individuelle d'un fonctionnaire de police qui, incarcéré, aurait fait l'objet d'une décision de suspension, pour soutenir que la décision attaquée aurait méconnu l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 16 mars 2021, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. C... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les articles 1er, 2 et 3 de ce jugement doivent par suite être annulés. La demande présentée par M. C... devant le tribunal et devant la Cour à fin d'annulation de la décision attaquée doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence et en tout état de cause, ses conclusions indemnitaires, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, ainsi que ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE:
Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 2109107/6-3 du 15 décembre 2022 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. B... C....
Délibéré après l'audience du 31 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Topin, présidente assesseure,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2024.
La rapporteure,
E. TOPIN
Le président,
I. BROTONSLa greffière,
C. ABDI-OUAMRANE
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA00679 2