Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 19 mars 2018 par laquelle la ministre des armées a expressément rejeté le recours administratif préalable obligatoire qu'il avait formé à l'encontre de la décision du 12 février 2016 portant régularisation d'un trop-perçu de rémunération d'un montant de 68 548,52 euros, ensemble cette dernière décision.
Par une ordonnance n° 1807985/5-1 du 20 décembre 2021, la présidente de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire aux fins de production de pièces, enregistrés les 17 février 2022 et 9 novembre 2023, M. B..., représenté par la Selarl Callon Avocat et Conseil, en la personne de Me Callon, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 20 décembre 2021 de la présidente de la 5ème section du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 19 mars 2018 par laquelle la ministre des armées a expressément rejeté le recours administratif préalable obligatoire qu'il avait formé à l'encontre de la décision du 12 février 2016 portant régularisation d'un trop-perçu de rémunération d'un montant de 68 548,52 euros, ensemble cette dernière décision ;
3°) à défaut, de prononcer la décharge totale des sommes réclamées ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que la présidente de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme étant irrecevable ;
- la prescription était acquise lorsque la demande de remboursement du trop-perçu a été faite ;
- le trop-perçu est imputable à une erreur de l'administration, qui n'a été constatée que deux ans après sa survenance, et qui constitue donc une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; le préjudice qu'il a subi peut être évalué à la somme de 68 548,52 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cécile Vrignon-Villalba,
- et les conclusions de Mme Aurélie Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est infirmier en soins généraux de 2ème grade du service de santé des armées, en poste au Val-de-Grâce. Par décision du 12 février 2016, dont M. B... a accusé réception le 20 juin 2016, la ministre des armées lui a demandé de reverser un trop-perçu de rémunération, au titre du mois de février 2014, pour un montant de 68 548,52 euros. Le 18 avril 2016, M. B... a formé un recours administratif contre la décision du 12 février 2016, devant la commission des recours des militaires, qui l'a enregistré le 21 avril 2016. Après avis de la commission, la ministre des armées a expressément rejeté la demande de M. B..., par décision du 19 mars 2018, notifiée le 28 mars 2018. M. B... relève appel de l'ordonnance du 20 décembre 2021 par laquelle la présidente de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 mars 2018 et de celle du 12 février 2016.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. La présidente de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevable la demande présentée par M. B... au motif que, d'une part, le silence gardé pendant quatre mois par la ministre des armées sur le recours que M. B... avait exercé devant la commission des recours des militaires contre la décision de 12 février 2016 avait fait naître une décision implicite de rejet le 21 août 2016, qui s'était substituée à celle-ci et, d'autre part, que ce rejet étant devenu définitif faute pour le requérant de l'avoir contesté dans le délai de recours de deux mois dont il disposait pour ce faire, la décision explicite du 19 mars 2018 présentait, en l'absence de circonstances de fait ou de droit nouvelles, le caractère d'une décision purement confirmative de la décision implicite de rejet née le 21 août 2016 et n'était donc pas de nature à rouvrir le délai de recours contentieux.
3. Aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " I. - Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / (...) Le recours administratif formé auprès de la commission conserve le délai de recours contentieux jusqu'à l'intervention de la décision prévue à l'article R. 4125-10. (...). ". Aux termes de l'article R. 4125-10 du même code : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. Cette notification, effectuée par lettre recommandée avec avis de réception, fait mention de la faculté d'exercer, dans le délai de recours contentieux, un recours contre cette décision devant la juridiction compétente à l'égard de l'acte initialement contesté devant la commission. / L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission ".
4. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. ".
5. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 421-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2016 : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux ; / 2° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux (...) ". Et aux termes de ce même article, dans sa rédaction issue du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ; (...) ".
6. La nouvelle règle, issue du décret du 2 novembre 2016, selon laquelle, sauf dispositions législatives ou règlementaires qui leur seraient propres, le délai de recours de deux mois court à compter de la date où les décisions implicites relevant du plein contentieux sont nées, est applicable à ces décisions nées à compter du 1er janvier 2017. S'agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait - et n'aurait pu légalement faire - courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées. Toutefois, les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016, qui prévoient l'application de la nouvelle règle à " toute requête enregistrée à compter " du 1er janvier 2017, ont entendu permettre la suppression immédiate, pour toutes les situations qui n'étaient pas constituées à cette date, de l'exception à la règle de l'article R.421-2 du code de justice administrative dont bénéficiaient les matières de plein contentieux. Un délai de recours de deux mois court, par suite, à compter du 1er janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette même date. Cette règle doit toutefois être combinée avec les dispositions de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration, aux termes desquelles, sauf en ce qui concerne les relations entre l'administration et ses agents, les délais de recours contre une décision tacite de rejet ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 du même code ne lui a pas été transmis ou que celui-ci ne porte pas les mentions prévues à l'article R. 112-5 de ce code et, en particulier, dans le cas où la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, la mention des voies et délais de recours.
7. Il résulte de l'instruction que, par lettre du 12 février 2016, l'administration a demandé à M. B... de rembourser les sommes qui lui ont été indument versées au mois de février 2014. Le 18 avril 2016, M. B... a formé contre cette décision, susceptible de faire l'objet d'un recours de plein contentieux, le recours administratif préalable obligatoire devant la commission de recours des militaires prévu par les dispositions précitées de l'article R. 4125-1 du code de la défense, recours qui a été enregistré par la commission le 21 avril 2016. Le 21 août 2016, à l'expiration du délai de quatre mois prévu par ces mêmes dispositions, une décision implicite de rejet est née, qui s'est substituée à celle du 12 février 2016.
8. Il résulte des dispositions citées au point 5 et de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt que M. B... disposait, pour contester cette décision implicite de rejet de son recours administratif préalable, d'un délai de deux mois, qui a commencé de courir le 1er janvier 2017 et expirait donc, en principe, le 2 mars 2017.
9. M. B... fait toutefois valoir " l'attitude non-équivoque de l'administration " à son égard, montrant que des " négociations " étaient en cours et qu'aucune décision implicite de rejet n'avait été prise par la ministre des armées. Il produit à l'instance une lettre du 17 octobre 2016, dont il n'est pas établi ni même allégué par l'administration qu'elle n'aurait été reçue par M. B... qu'après le 2 mars 2017, par laquelle l'officier rapporteur de la commission lui a communiqué les observations transmises par la direction centrale du service de santé des armées et lui a indiqué qu'il pouvait soit se désister par écrit soit répliquer par écrit à ces observations, et que dans ce dernier cas, ou en l'absence de réponse dans un délai de 10 jours, la commission de recours demeurerait saisie et proposerait au ministre d'agréer, totalement ou partiellement, son recours, ou de le rejeter. Eu égard aux termes de cette lettre, qui ont pu induire en erreur l'intéressé sur les conditions d'exercice de son droit au recours contre le refus qui lui a été implicitement opposé le 21 août 2016, le délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 421-2 du code de justice administrative n'a commencé de courir qu'à la date à laquelle la décision du 19 mars 2018, par laquelle la ministre de la défense a expressément rejeté le recours administratif préalable de M. B..., lui a été notifiée, le 28 mars 2018. La demande aux fins d'annulation de M. B... devant le tribunal a été enregistrée le 22 mai 2018, avant l'expiration de ce délai.
10. Par suite, si la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 12 février 2016, à laquelle la décision implicite de rejet du recours administratif obligatoire formé par M. B... le 18 avril 2016 puis la décision expresse du 19 mars 2018 se sont substituées, était irrecevable, c'est à tort que la présidente de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté comme également irrecevable la demande tendant à l'annulation de la décision du 19 mars 2018. Son ordonnance en date du 20 décembre 2021 doit dès lors, sur ce point, être annulée.
11. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris, tendant à l'annulation de la décision du 19 mars 2018 de la ministre des armées.
Sur la légalité de la décision du 19 mars 2018 :
12. Aux termes de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011: " Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. / Toutefois, la répétition des sommes versées n'est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l'absence d'information de l'administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d'avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d'informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale. / Les deux premiers alinéas ne s'appliquent pas aux paiements ayant pour fondement une décision créatrice de droits prise en application d'une disposition réglementaire ayant fait l'objet d'une annulation contentieuse ou une décision créatrice de droits irrégulière relative à une nomination dans un grade lorsque ces paiements font pour cette raison l'objet d'une procédure de recouvrement ".
13. Il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Dans les deux hypothèses mentionnées au deuxième alinéa de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, la somme peut être répétée dans le délai de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil. Sauf dispositions spéciales, les règles fixées par l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 sont applicables à l'ensemble des sommes indûment versées par des personnes publiques à leurs agents à titre de rémunération, y compris les avances et, faute d'avoir été précomptées sur la rémunération, les contributions ou cotisations sociales. En l'absence de toute autre disposition applicable, les causes d'interruption et de suspension de la prescription biennale instituée par les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du code civil. Il en résulte que tant la lettre par laquelle l'administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment qu'un ordre de reversement ou un titre exécutoire interrompent la prescription à la date de leur notification. La preuve de celle-ci incombe à l'administration.
14. Il résulte de l'instruction que les trop-perçus de rémunération dont le reversement a été demandé à M. B... lui ont été versés au mois de février 2014. En application des dispositions précitées, l'administration avait donc jusqu'au 1er mars 2016 pour les répéter. Si M. B... doit être regardé comme ayant eu connaissance de la lettre du 12 février 2016 au plus tard le 18 avril 2016, date à laquelle il a introduit son recours administratif préalable obligatoire et non pas, comme il le soutient, le 20 juin 2016, date à laquelle il a signé le formulaire d'accusé de réception qui était attaché à la lettre du 12 février 2016, l'administration n'établit pas, ni même n'allègue, que la lettre lui aurait en réalité été notifiée avant le 2 mars 2016.
15. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que les créances correspondant aux sommes dont le remboursement lui a été réclamé par lettre du 12 février 2016 étaient prescrites et à demander en conséquence l'annulation de la décision attaquée.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme que celui-ci réclame au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 1807985 du 20 décembre 2021 de la présidente de la 5ème section du tribunal administratif de Paris est annulée en tant qu'elle a déclaré irrecevables les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 19 mars 2018 de la ministre des armées.
Article 2 : La décision du 19 mars 2018 de la ministre des armées est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 15 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Cécile Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,
- Mme Aude Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 février 2024.
La rapporteure,
C. VRIGNON-VILLALBALa présidente,
A. MENASSEYRE
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre des armées ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00765