Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner le centre hospitalier intercommunal (CHI) Robert Ballanger à lui verser la somme de 175 464,05 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des fautes commises au cours de sa prise en charge le 8 juin 2015. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, mise en cause, a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 13 203,23 euros au titre de ses débours, somme devant être assortie des intérêts légaux.
Par jugement n° 1911336 du 18 mai 2021, le tribunal administratif de Montreuil a condamné le CHI Robert Ballanger à verser à M. D... la somme de 3 400 euros en réparation de ses préjudices, a mis les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 469,14 euros à la charge définitive du centre hospitalier et a rejeté les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.
Procédure devant la cour :
Par un arrêt avant dire droit du 2 juin 2022, la cour a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la requête de M. D... tendant à ce qu'il soit indemnisé par l'AP-HP des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des fautes commises au cours de sa prise en charge le 8 juin 2015 par le CHI Robert Ballanger et sur les conclusions d'appel de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, procédé à une expertise en vue de donner toute précision à la cour aux fins de déterminer quelle est la part de responsabilité du retard de prise en charge de la fracture du cinquième métacarpien de la main droite dont souffrait M. D... dans la survenance des séquelles douloureuses de fractures digitales dont il est victime, d'évaluer, après avoir déterminé quel était le traitement de cette fracture qui avait les meilleures chances de succès en cas d'absence de retard de prise en charge, la durée de l'éventuelle hospitalisation ou/et la durée de l'immobilisation de sa main droite, le temps de rééducation nécessaire en cas de traitement sans retard de diagnostic et le taux de perte de chance de guérison due au retard dans la prise en charge de cette fracture, de déterminer si depuis la date de consolidation fixée par la première expertise, à savoir le 8 février 2016, M. D... a été victime d'une rechute de son état de santé en lien ou non avec les conséquences du retard de prise en charge de la fracture du cinquième métacarpien de la main droite du 8 juin 2015 et d'en préciser la nouvelle date éventuelle de consolidation et de donner tous les éléments utiles d'appréciation sur les préjudices subis par M. D..., à savoir le déficit fonctionnel temporaire, le déficit fonctionnel permanent, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, l'assistance par tierce personne, la perte de ses gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle sur la période, d'une part, du 8 juin 2015 au 8 février 2016 et, d'autre part, de rechute éventuelle de son état de santé.
Par une ordonnance du 7 juillet 2022, la présidente de la cour a désigné le professeur E... en qualité d'expert.
Par une ordonnance du 5 août 2022, la présidente de la cour a accordé au professeur E... une allocation provisionnelle d'un montant de 3 000 euros mise à la charge du CHI Robert Ballanger.
Le rapport d'expertise a été déposé le 27 juin 2023.
Par une ordonnance du 7 août 2023, le premier vice-président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise confiée au professeur E... à la somme de 3 946,40 euros, incluant l'allocation provisionnelle d'un montant de 3 000 euros accordée par l'ordonnance du 5 août 2022.
Par un mémoire enregistré le 12 juillet 2023, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Essonne, représentée par Me Gatineau, persiste dans ses écritures précédentes par lesquelles elle demandait à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1911336 du 18 mai 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté la demande de remboursement de ses débours ;
2°) de mettre à la charge du CHI Robert Ballanger le versement de 80 % de la somme de 13 203,23 euros au titre de ses débours ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise pour faire le départ entre les frais imputables à la faute du CHI Robert Ballanger et ceux imputables à l'accident ;
4°) de condamner le CHI Robert Ballanger à lui verser une somme de 1 045 euros au titre de l'indemnité de gestion sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
5°) de mettre à la charge du CHI Robert Ballanger la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Elle soutient qu'elle a exposé des débours à hauteur de 13 203,23 euros et que 80 % de cette somme doit lui être allouée compte tenu du taux de perte de chance retenu par l'expert à imputer sur l'indemnisation relative au déficit fonctionnel temporaire et permanent allouée à M. D... et qu'elle justifie suffisamment de l'imputabilité de ses débours à la faute commise par l'hôpital en produisant une attestation émanant d'un médecin-conseil indépendant et impartial.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 juillet, 10 novembre et le 6 décembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le CHI Robert Ballanger, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête d'appel de M. D... et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.
Il fait valoir que :
- les conclusions indemnitaires de M. D... excédant la somme de 175 464,05 euros sont irrecevables comme l'a jugé la cour dans son arrêt avant dire droit du 2 juin 2022 ;
- le taux de 80 % de perte de chance devra être appliqué aux préjudices indemnisés ;
- la date de consolidation est le 8 février 2016 dès lors que l'expert a considéré qu'il n'y a pas eu de rechute de l'état de santé de M. D... ;
- les préjudices qui sont en lien avec le retard de diagnostic sont uniquement un déficit fonctionnel temporaire de 10 % du 8 décembre 2015 au 8 février 2016, un déficit fonctionnel permanent de 4 %, des souffrances endurées de 1/7, un préjudice esthétique de 1,25/7, un préjudice d'agrément, un préjudice sexuel et un préjudice professionnel ;
- aucun besoin d'assistance par une tierce personne n'a été retenu ;
- la somme allouée à M. D... au titre du déficit fonctionnel permanent ne saurait excéder la somme de 4 000 euros et celle allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire ne peut excéder une base d'évaluation entre 300 à 500 euros par mois selon le référentiel de l'Oniam 2022 et 13 euros par jour selon la jurisprudence ;
- la somme de 1 098 euros sollicitée au titre des souffrances endurées devra être ramenée à de plus justes proportions ;
- la somme de 2 500 euros sollicitée au titre du préjudice esthétique devra être ramenée à de plus justes proportions ;
- l'existence du préjudice d'agrément dont l'indemnisation est sollicitée n'est pas justifiée par M. D... ;
- la somme de 6 000 euros sollicitée au titre du préjudice sexuel devra être ramenée à de plus justes proportions ;
- la somme de 471 545,06 euros sollicitée au titre de la perte de gains professionnels actuelle et future ne saurait être retenue dès lors que la perte de revenus alléguée n'est pas établie ;
- s'agissant de l'incidence professionnelle, l'expert n'a pas retenu l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle mais uniquement la perte de qualification aéronautique et M. D... et elle est déjà indemnisée par le capital invalidité versée par la caisse primaire d'assurance-maladie ;
- les indemnités journalières versées entre le 8 septembre 2015 et le 8 décembre 2015 ne peuvent être mises à la charge du CHI Robert Ballanger dès lors que, en l'absence de retard de diagnostic, il aurait subi, jusqu'au 8 décembre 2015, un déficit fonctionnel temporaire de 10 % ce qui aurait donc dû conduire la caisse primaire d'assurance-maladie à lui régler des indemnités journalières jusqu'à cette date.
Par des mémoires enregistrés les 25 octobre et 28 novembre 2023, M. D..., représenté par Me Benkirane, demande à la cour :
1°) de porter le montant que le CHI Robert Ballanger doit être condamné à lui verser à la somme totale de 1 029 725,41 euros en réparation des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2019, date de saisine du tribunal administratif ;
2°) de mettre à la charge du CHI Robert Ballanger la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative ;
3°) de mettre à la charge du CHI Robert Ballanger les dépens de première instance et d'appel.
Il soutient que :
- il est recevable à solliciter le versement d'une indemnisation excédant la somme de 175 464,05 euros ;
- il est fondé à solliciter le versement des sommes de 20 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 124 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 1 098 euros au titre des souffrances endurées, 1 500 euros au titre du préjudice esthétique, 2 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 6 000 euros au titre du préjudice sexuel, 452 955,17 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs et 546 048,24 euros au titre de l'incidence professionnelle.
Par ordonnance du 29 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été reportée au 15 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier, et notamment l'arrêt du 2 juin 2022 et les mémoires et pièces qui y sont visés.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 18 décembre 2023 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Benkirane, avocate de M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... D..., né le 14 février 1968, a été victime le 8 juin 2015 d'un accident du travail à l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle au sein d'un avion de la compagnie Air France stationné au sol dans laquelle il exerçait les fonctions de steward. Un bilan radiologique a été réalisé par le centre hospitalier intercommunal (CHI) Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois conduisant à un diagnostic de contusion aux mains et de fractures costales et à la délivrance d'un traitement antalgique. Un nouveau bilan radiologique effectué le 4 juillet 2015 à la demande d'un médecin d'Arpajon a mis en évidence une fracture avec bascule antérieure du fragment proximal de la base du cinquième métacarpien de la main droite. Le 21 juillet 2015, l'interprétation des clichés radiologiques réalisée par le chef de l'imagerie médicale du CHI Robert Ballanger a révélé l'existence dès le 8 juin 2015 de cette fracture de la main droite. Estimant que les séquelles qu'il garde de cet accident étaient imputables à sa prise en charge fautive par ce centre hospitalier, M. D... a sollicité la réparation de ces préjudices auprès du tribunal administratif de Montreuil, qui n'a que partiellement fait droit à sa demande et a rejeté les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Essonne tendant au remboursement de ses débours. Saisie en appel par la victime et l'organisme social, la cour a, par arrêt avant dire-droit du 2 juin 2022, après avoir confirmé le principe de la responsabilité de l'hôpital, constaté que les pièces et éléments recueillis ne la mettaient pas en mesure de se prononcer sur les préjudices et a ordonné une expertise. Le rapport d'expertise a été déposé le 27 juin 2023 et les parties mises à même de présenter leurs observations. L'affaire est à présent en état d'être jugée.
Sur la perte de chance :
2. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter ce dommage. La réparation, qui incombe à l'hôpital, doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
3. Il résulte du rapport d'expertise du professeur E... déposé le 27 juin 2023 que le défaut de diagnostic entrainant un retard de prise en charge des séquelles des lésions des deux mains survenues lors de l'accident du travail dont a été victime M. D... le 8 juin 2015 est à l'origine d'une perte de chance de 80 % d'obtenir un meilleur résultat fonctionnel et anatomique et de guérison. Ce taux n'est pas contesté par les parties. En conséquence, il sera fait une juste appréciation de l'ampleur de la chance d'obtenir une amélioration de son état de santé perdue par M. D... en l'arrêtant à 80 %. Il y a donc lieu de mettre à la charge du CHI Robert Ballanger la réparation de cette fraction des préjudices subis par M. D... résultant de la faute commise par cet établissement tenant à un défaut de diagnostic entraînant un retard de prise en charge de la fracture du cinquième métacarpien de la main droite, et au défaut de prise en charge adaptée des entorses des troisième, quatrième et cinquième doits de sa main gauche.
Sur l'évaluation des préjudices :
4. Il résulte du rapport de l'expert désigné par la cour que les séquelles aux deux mains dont souffre M. D... suite au défaut de diagnostic et de prise en charge thérapeutique adaptée de l'accident du travail dont il a été victime le 8 juin 2015 correspondent à une raideur modérée du poignet droit en extension et inclinaisons, à un déficit d'enroulement des doigts longs droits, sans véritable déficit de force de préhension en grasp global, à un flessumm IPP de 30° de D5, à l'absence de pince pollicidigitale unguéo-unguéale avec D4 et D5 en actif et à une voussure de la base de MS droit du fait du cal vicieux. Ces séquelles sont en relation directe et certaine avec la faute commise par le CHI Robert Ballanger à l'origine d'une perte de chance de 80 % d'obtenir un meilleur résultat fonctionnel et anatomique et de guérison. Par ailleurs, l'expert a considéré dans son rapport du 27 juin 2023 que la date de consolidation est fixée au 8 février 2016 et qu'il n'y a pas eu depuis de rechute de l'état de santé de M. D....
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux et les droits de la CPAM de l'Essonne :
S'agissant des dépenses de santé :
5. Les frais médicaux exposés par la CPAM de l'Essonne entre le 3 septembre 2015 et le 5 novembre 2015 et dont elle demande le remboursement s'élèvent à 338,92 euros. Or, il ressort du rapport d'expertise du 27 juin 2023 qu'un traitement initial adéquat après un diagnostic lésionnel complet aurait conduit à une consolidation de l'état de santé de M. D... le 8 décembre 2015. Dès lors, il n'apparaît pas que les dépenses de santé antérieures au 9 décembre 2015 puissent être regardées comme étant en lien avec la faute commise. Ainsi les frais médicaux engagés du 3 septembre 2015 au 5 novembre 2015 ne peuvent donner lieu à une indemnisation au titre de la faute commise par le CHI Robert Ballanger.
S'agissant des pertes de gains professionnels :
- quant aux pertes de gains avant consolidation :
6. A la date de l'accident du travail, dont M. D... a été victime, il exerçait la profession de steward au sein de la compagnie Air France depuis le 24 avril 1999. Il a pu reprendre son activité à temps partiel thérapeutique après la date de consolidation fixée au 30 septembre 2016 tout en souffrant de " raideur prédominant aux derniers doigts de chaque main exacerbée après l'effort " comme l'a relevé notamment le docteur C..., dans l'expertise du 27 septembre 2018. M. D..., pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail, ne justifie pas d'une perte de gains professionnels au titre de la période antérieure à la consolidation. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'état détaillé du 30 novembre 2011, de l'attestation d'imputabilité du 30 mars 2021 et du tableau précisant les éléments retenus par le médecin conseil produit pour la première fois en appel que les débours exposés par la CPAM de l'Essonne et dont elle demande le remboursement correspondent à des indemnités journalières versées pour la période comprise entre le 8 septembre 2015 et le 9 février 2016. Or, dès lors que, comme il a été indiqué précédemment il ressort du rapport d'expertise du 27 juin 2023 qu'un traitement initial adéquat après un diagnostic lésionnel complet aurait conduit à une consolidation de l'état de santé de M. D... le 8 décembre 2015, les dépenses antérieures à cette date n'apparaissent pas imputables, même partiellement, à la faute commise par le CHI Robert Ballanger. En revanche, les indemnités journalières versées du 9 décembre 2015 au 9 février 2016, pour un montant de 4 369,14 euros correspondant à 62 jours d'indemnité journalière au taux de 70,47 euros apparaissent, au vu des éléments produits en appel, comme en lien avec la faute commise. Compte tenu du taux de perte de chance de 80 % retenu au point 3 du présent arrêt, le CHI Robert Ballanger doit être condamné à verser à la CPAM de l'Essonne à ce titre la somme totale de 3 495 euros.
- quant aux pertes de gains professionnels après consolidation :
7. Postérieurement à la consolidation, M. D..., qui souffre de difficultés de préhension et de manipulation d'objets de façon prolongée, quel que soit leur poids, tant par la main droite que la main gauche a finalement été déclaré définitivement inapte à l'exercice de sa profession comme personnel navigant commercial du fait de séquelles douloureuses de fractures digitales par le conseil médical de l'aéronautique civile dans sa séance du 20 mai 2020, cette imputabilité ayant été reconnue comme imputable au service aérien. Si l'expert désigné par la cour a relevé que la perte de la qualification aéronautique de M. D... était en lien avec les soins initiaux inadéquats, il a précisé que cette perte de qualification a été prise en compte comme accident du travail imputable au service aérien. Par ailleurs, si le docteur A... a indiqué en septembre 2019 que la symptomatologie digitale a été reconnue comme une rechute imputable à l'accident de travail du 8 juin 2015, il résulte toutefois du rapport d'expertise du 27 juin 2023 qu'il n'y avait eu aucune rechute imputable à l'accident de travail du 8 juin 2015 mais une perturbation psychologique dans le cadre de la profession exigeante de personnel navigant. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction que M. D... perçoit des revenus générés par la laverie automatique dans laquelle il a investi en qualité d'auto-entrepreneur.
8. Si M. D... sollicite une indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs, il résulte de l'instruction qu'il a été déclaré inapte aux fonctions de personnel navigant commercial du fait de séquelles douloureuses de fractures digitales mais pas inapte à toute activité professionnelle. En l'absence d'inaptitude définitive à l'exercice de tout emploi et alors que M. D... ne démontre pas que ses possibilités de reconversion professionnelle seraient inexistantes, aucune indemnisation ne peut être allouée à M. D... sur ce fondement alors que les avis d'imposition produits ne font pas apparaître de perte de revenus et qu'il reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent limité à 4 %.
S'agissant de l'incidence professionnelle du dommage corporel :
9. Il résulte de l'instruction que les séquelles aux deux mains dont souffre M. D... suite au retard de prise en charge de l'accident du travail dont il a été victime le 8 juin 2015 correspondent à une raideur modérée du poignet droit en extension et inclinaisons, à un déficit d'enroulement des doigts longs droits, à un flessumm IPP de 30° de D5, à l'absence de pince pollicidigitale unguéo-unguéale avec D4 et D5 en actif et à une voussure de la base de MS droit du fait du cal vicieux. Ces séquelles sont en relation directe avec le retard de prise en charge dû à la faute commise par le CHI Robert Ballanger et ont eu une incidence sur sa carrière de steward puisqu'il a été déclaré inapte définitivement comme personnel navigant commercial en 2020, après avoir repris seulement partiellement son activité professionnelle après la date de consolidation le 8 février 2016 alors qu'il était âgé de 48 ans. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 27 juin 2023 qu'il n'a pas retrouvé d'activité professionnelle mais qu'il est en période de reconversion. M. D... précise dans ses écritures qu'il a été placé en retraite anticipée en 2020 à l'âge de 54 ans et estime que ses droits sociaux s'en sont trouvés diminués. Toutefois, le déficit fonctionnel permanent en lien avec la faute, dont M. D... reste atteint, est limité à 4 %. Il résulte de l'instruction qu'il a bénéficié du versement, par la CPAM de l'Essonne d'un capital au titre de l'invalidité dont il reste atteint du fait des conséquences de la faute commise par l'hôpital, d'un montant de 1 952,46 euros, un tel capital ayant notamment pour objet de réparer l'incidence professionnelle. Eu égard à l'âge de M. D..., au caractère très limité du déficit fonctionnel dont il reste atteint, l'intéressé ne peut être regardé comme démontrant que l'incidence professionnelle de son dommage corporel n'aurait pas été suffisamment réparée par le versement de cette somme. Il s'ensuit qu'il n'est pas fondé à demander le versement d'une somme à raison de l'incidence professionnelle de la faute commise par le CHI Robert Ballanger. La CPAM de l'Essone est, en revanche, fondée à demander, à ce titre que 80 % de la somme de 1 952,46 euros soit mise à la charge du centre hospitalier, soit la somme de 1 562 euros.
En ce qui concerne les préjudices personnels :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
10. Il résulte de l'instruction que le déficit fonctionnel temporaire a été évalué par l'expert dans son rapport du 27 juin 2023 à 10 % entre le 8 décembre 2015 et le 8 février 2016. Il sera procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à M. D... la somme de 100 euros avant l'application du taux de perte de chance précité de 80 %.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
11. Il résulte du rapport d'expertise du 27 juin 2023 que le déficit fonctionnel permanent de M. D... consécutivement aux séquelles précitées est de 4 %. A la date de consolidation de son état de santé, soit le 8 février 2016, il était âgé de 48 ans. Il sera procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en portant son évaluation à la somme de 5 400 euros avant l'application du taux de perte de chance précité de 80 %.
S'agissant du préjudice esthétique :
12. Le préjudice esthétique a été évalué à 1,25 sur une échelle de 1 à 7 par l'expert désigné par la cour. Il sera procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en l'arrêtant à la somme de 1 200 euros avant l'application du taux de perte de chance précité de 80 %.
S'agissant des souffrances endurées :
13. L'expert a évalué les souffrances endurées par M. D... à 1 sur une échelle de 1 à 7. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de la somme allouée à M. D... en la fixant à 900 euros après l'application du taux de perte de chance précité de 80 %.
S'agissant du préjudice d'agrément :
14. Si M. D... se prévaut de ce qu'il n'a pu reprendre le vélo qu'en promenade et qu'il n'a, en revanche, pas pu reprendre les activités de bricolage et de jardinage, il ne produit toutefois aucune pièce permettant d'établir qu'il pratiquait ces activités avant l'accident à l'origine des séquelles dont il sollicite l'indemnisation. Aucune somme ne peut, par suite, lui être allouée à ce titre.
S'agissant du préjudice sexuel :
15. Il résulte de l'instruction que le traitement médical suivi par M. D... à raison des conséquences de la faute commise par l'hôpital a perturbé sa libido. Dans les circonstances de l'espèce il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en lui allouant à ce titre la somme de 1 500 euros avant l'application du taux de perte de chance précité de 80 %.
16. Il résulte de tout ce qui précède que l'assiette des préjudices dont M. D... est fondé à demander la réparation s'élève, hors souffrances endurées, à la somme de 8 200 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 80 %, et de la somme de 900 euros due au titre des souffrances endurées pour lesquelles le taux de perte de chance a déjà été appliqué, le CHI Robert Ballanger doit être condamné à verser à M. D... la somme totale de 7 460 euros. La CPAM de l'Essonne est, pour sa part fondée à demander le versement d'une somme de 5 057 euros.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
17. Aux termes du neuvième aliéna de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ".
18. La CPAM de l'Essonne a droit à l'indemnité forfaitaire régie par les dispositions précitées, pour le montant de 1 191 euros fixé par l'arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et 454-1 du code de la sécurité sociale.
Sur les intérêts :
19. Il y a lieu d'assortir la condamnation prononcée en faveur de M. D... au point 17 des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de son premier mémoire devant le tribunal administratif, soit le 14 octobre 2019.
Sur les frais d'expertise :
20. En application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée le 7 juillet 2022, taxés et liquidés à la somme de 3 946,40 euros par ordonnance de taxation du 7 août 2023, à la charge définitive du CHI Robert Ballanger.
Sur les frais liés à l'instance :
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHI Robert Ballanger, partie tenue aux dépens, la somme de 2 000 euros à verser respectivement à M. D... et à la CPAM de l'Essonne au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 3 400 euros que le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger a été condamné à verser à M. D... est portée à 7 460 euros. Elle sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2019.
Article 2 : Le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne la somme de 5 057 euros au titre des débours qu'elle a exposés et la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés par l'ordonnance de taxation du 7 août 2023 à la somme de 3 946,40 euros pour le professeur E..., incluant le montant de 3 000 euros versé à titre provisionnel, sont mis à la charge définitive du CHI Robert Ballanger.
Article 4 : Le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger versera à M. D... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger versera à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le jugement n° 1911336 du 18 mai 2021 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., au centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 15 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 février 2024.
La rapporteure,
A. COLLET La présidente,
A. MENASSEYRE
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21PA04063