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31/01/2024 | FRANCE | N°22PA02144

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 31 janvier 2024, 22PA02144


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société de la gare routière de Rungis (SOGARIS) a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (SEMMARIS) à lui verser la somme de 3 517 310,91 euros au titre de l'occupation irrégulière du domaine public depuis le 24 février 2017, ainsi que la somme de 75 807,34 euros pour chaque mois supplémentaire d'occupation sans titre, indexée selon les moda

lités définies à l'article 4.2 de la convention du 11 janvier 1996.



Par un jugemen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société de la gare routière de Rungis (SOGARIS) a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (SEMMARIS) à lui verser la somme de 3 517 310,91 euros au titre de l'occupation irrégulière du domaine public depuis le 24 février 2017, ainsi que la somme de 75 807,34 euros pour chaque mois supplémentaire d'occupation sans titre, indexée selon les modalités définies à l'article 4.2 de la convention du 11 janvier 1996.

Par un jugement n° 1804016 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête et trois mémoires enregistrés les 9 mai 2022, 27 mars 2023, 2 juin 2023 et 13 juillet 2023 sous le numéro 22PA02144, le syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS, représenté par Me Sabattier, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 10 mars 2022 ;

2°) de condamner la SEMMARIS à verser à la SOGARIS la somme de 4 574 819,67 euros au titre de l'occupation irrégulière du domaine public depuis le 24 février 2017, ainsi qu'une indemnité mensuelle de 75 536,34 euros pour chaque mois d'occupation supplémentaire, indexée selon les modalités définies à l'article 4.2 de la convention du 11 janvier 1996 ;

3°) de mettre à la charge de la SEMMARIS la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a intérêt à demander l'annulation du jugement attaqué et la condamnation de la SEMMARIS ;

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le décret du 4 décembre 1972 avait opéré une mutation domaniale, dès lors que l'ensemble des conditions n'en étaient pas réunies ; aucun désaccord n'est ainsi intervenu quant à l'installation du marché carné sur une partie du domaine public concédé à la SOGARIS ; la SEMMARIS n'est pas une personne publique ; aucune décision expresse de transfert de gestion n'a été prise ; en tout état de cause, il n'est pas établi qu'une telle décision aurait été prise par une autorité compétente ; la SEMMARIS occupe donc sans titre, depuis février 2017, une partie du domaine public concédé à la SOGARIS ;

- à titre subsidiaire, la SOGARIS doit être indemnisée de la perte de revenus qu'elle aurait pu tirer de la gestion et de la valorisation du domaine dont elle a été évincée ;

- le préjudice de la SOGARIS doit être déterminé au regard du montant de la redevance versée par la SEMMARIS jusqu'en 2017.

Par un mémoire enregistré le 30 juin 2022, la SOGARIS, représentée par Me Donniou, demande à la cour de joindre la requête à celle qu'elle a introduite contre le même jugement, enregistrée sous le numéro 22PA02165.

Elle soutient que les deux requêtes présentent entre elles un lien de connexité.

Par quatre mémoires en défense enregistrés les 22 novembre 2022, 28 avril 2023, 23 juin 2023 et 15 septembre 2023, la SEMMARIS, représentée par Me Skovron, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens soulevés par le syndicat ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 5 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique s'associe aux écritures produites par la SEMMARIS.

Il soutient que la SEMMARIS a la qualité de gestionnaire des dépendances du domaine public.

La clôture de l'instruction a été fixée au 5 janvier 2024.

II) Par une requête et trois mémoires enregistrés les 10 mai 2022, 27 mars 2023, 2 juin 2023 et 4 janvier 2024 sous le numéro 22PA02165, la SOGARIS, représentée par Me Fornacciari, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 10 mars 2022 ;

2°) de condamner la SEMMARIS à lui verser la somme de 6 304 771,48 euros au titre de l'occupation irrégulière du domaine public du 24 février 2017 au 31 janvier 2024, ainsi qu'une indemnité mensuelle de 89 633,93 euros pour chaque mois d'occupation sans titre supplémentaire, indexée selon les modalités définies à l'article 4.2 de la convention du 11 janvier 1996 ;

3°) d'assortir les sommes susmentionnées des intérêts au taux légal à compter de la date d'émission de chaque facture, ainsi que de la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de la SEMMARIS la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'est pas suffisamment motivé ;

- elle est fondée, en sa qualité de gestionnaire du domaine public irrégulièrement occupé par la SEMMARIS, à obtenir l'indemnisation par cette dernière de son préjudice financier ;

- le droit d'occupation octroyé à la SEMMARIS à compter du 1er juillet 1971 ne résulte que de la convention de sous-concession conclue avec cette dernière le 11 janvier 1996 ; ce droit a pris fin le 23 février 2017, faute de renouvellement de la convention ;

- aucune mutation domaniale n'a pu intervenir du fait de l'édiction du décret du 4 décembre 1972, faute de désaccord du propriétaire et de son concessionnaire quant à l'installation du marché carné sur le domaine public ; une telle mutation ne peut être mise en œuvre qu'au profit de l'État, par une décision expresse ; l'affectation du domaine public au bénéfice du marché carné a résulté des seuls arrangements contractuels conclus en 1981 et 1996 entre elle et la SEMMARIS, non d'une mutation domaniale qui aurait été implicitement opérée par l'État en 1972 ;

- à titre subsidiaire, elle doit être indemnisée de la perte d'avantages qu'elle aurait pu retirer de la gestion du domaine public ;

- son préjudice doit être évalué au regard du montant de la redevance versée par la SEMMARIS jusqu'au 23 février 2017 ; il pourrait être réévalué, après expertise, en tenant compte des redevances réclamées aux commerçants par la SEMMARIS.

Par quatre mémoires en défense enregistrés les 21 novembre 2022, 28 avril 2023, 23 juin 2023 et 4 janvier 2024, la SEMMARIS, représentée par Me Skovron, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SOGARIS au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, faute d'intérêt à agir de la SOGARIS ;

- les moyens soulevés par la SOGARIS ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 5 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique s'associe aux écritures produites par la SEMMARIS.

Il soutient que la SEMMARIS a la qualité de gestionnaire des dépendances du domaine public.

La SEMMARIS a produit un mémoire le 11 janvier 2024, après la clôture de l'instruction intervenue en application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le décret-loi du 5 juin 1940 relatif au domaine,

- le décret n° 53-959 du 30 septembre 1953,

- le décret n° 58-767 du 25 août 1958,

- le décret n° 61-836 du 22 juillet 1961,

- le décret n° 62-795 du 13 juillet 1962,

- le décret n° 65-325 du 27 avril 1965,

- le décret du 9 septembre 1970 portant dévolution de biens, droits et obligations de l'ancien département de la Seine et création d'un syndicat interdépartemental associant la ville de Paris et les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne,

- le décret du 4 septembre 1972 portant modification des limites des zones A et B du marché d'intérêt national de Paris-Rungis,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- les observations de Me Fornacciari, représentant la SOGARIS,

- et les observations de Me Skovron, représentant la SEMMARIS.

Une note en délibéré a été produite pour la SEMMARIS le 12 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS et la SOGARIS relèvent appel du jugement du 10 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de cette dernière tendant à la condamnation de la SEMMARIS à lui verser la somme de 3 517 310,91 euros au titre de l'occupation irrégulière du domaine public depuis le 24 février 2017, ainsi que la somme de 75 807,34 euros pour chaque mois supplémentaire d'occupation sans titre, indexée selon les modalités définies à l'article 4.2 de la convention du 11 janvier 1996.

Sur la jonction :

2. Les deux requêtes visées ci-dessus tendent à l'annulation du même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu par suite de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la recevabilité de la requête du syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS et la portée de ses écritures :

3. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. ". Doit être regardée comme une partie à l'instance la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre cette décision. Aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : " Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. ".

4. Le syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS a présenté des observations à l'appui de la demande présentée par la SOGARIS devant le tribunal administratif de Melun, instance au cours de laquelle il ne disposait pas de la qualité de partie. S'il fait valoir qu'il doit être regardé comme ayant alors eu cette qualité, dès lors que le jugement attaqué, par ses motifs, préjudicierait à ses droits, notamment en raison de ses conséquences financières, ledit jugement rejette la demande de la SOGARIS et ne saurait pour cette raison préjudicier à aucun droit de personnes demeurées étrangères à l'instance, l'existence d'un droit lésé s'appréciant au regard du dispositif de la décision juridictionnelle contestée et non celui de ses motifs. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la SEMMARIS à la requête du syndicat interdépartemental doit être accueillie.

5. En revanche, comme le demande le syndicat à titre subsidiaire, les écritures qu'il a présentées peuvent être regardées comme une intervention au soutien de la requête d'appel formée par la SOGARIS. Le syndicat justifiant d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions de cette requête, notamment en sa qualité de propriétaire des parcelles du domaine public concernées par le litige et d'actionnaire principal de la SOGARIS, il y a lieu d'admettre son intervention.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué et les conclusions indemnitaires :

6. Aux termes de l'article 3 du décret du 25 août 1958 portant organisation générale des marchés d'intérêt national et portant cahier des clauses et conditions générales des concessions d'emplacement sur lesdits marchés : " Le marché est clos ; ses limites sont fixées par décret. ". Aux termes de l'article 9 du même décret : " Les marchés d'intérêt national peuvent être gérés : / soit par un établissement public ; / soit par un organisme créé à cet effet et doté de la personnalité morale ; / soit par une société d'économie mixte ; / soit, en régie, par une collectivité locale. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 13 juillet 1962 : " Il est créé dans la région parisienne un marché d'intérêt national implanté sur le territoire des communes de Rungis et Chevilly-Larue. Sa dénomination est Marché d'intérêt national de Paris - Rungis. ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Les limites de ce marché sont celles de la zone A figurant au plan au 1/10.000 joint au présent décret. (...) ", et aux termes de son article 5, abrogé à compter du 22 juillet 2022 : " L'ensemble des transactions, portant sur les produits qui seront vendus dans l'enceinte du marché d'intérêt national créé par l'article 1er ci-dessus et actuellement réalisées aux Halles centrales de Paris, sera, à partir du 3 mars 1969 transféré dans ce marché d'intérêt national. ". Enfin, aux termes de l'article 7 dudit décret, modifié par un décret du 27 avril 1965 : " (...) une société d'économie mixte assurera l'aménagement et la gestion du marché d'intérêt national créé par l'article 1er ci-dessus ; (...) ".

7. Par une convention conclue le 23 février 1967 en vue de la mise en œuvre des dispositions précitées, l'État a mis à disposition de la SEMMARIS, d'une part, des terrains acquis par lui au terme de procédures d'expropriation pour cause d'utilité publique, et, d'autre part, des terrains appartenant au département de la Seine et concédés à l'État par une convention du 17 décembre 1964.

8. Par ailleurs, par une convention conclue le 28 octobre 1960, d'autres terrains appartenant au département de la Seine ont été, par ce dernier, mis à disposition de la société anonyme SOGARIS à compter du 1er novembre 1960, pour une durée de soixante ans, en vue de la création et de l'exploitation d'une gare routière de marchandises, service public à caractère industriel et commercial, sise à Rungis, lieu-dit " La Belle-Épine ", de part et d'autre de l'aqueduc des eaux de la Vanne. Le département de la Seine ayant été supprimé à compter du 1er janvier 1968, le syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS, créé par un décret du 9 septembre 1970, est venu aux droits du département de la Seine ; l'article 2 de ce décret prévoit ainsi le transfert au syndicat de la propriété des " terrains d'une superficie de 53 hectares, concédés par l'ancien département de la Seine à la SOGARIS ", et son article 3 indique que " le syndicat a pour objet d'assurer la gestion des biens désignés à l'article 2 ainsi que d'exercer les droits et d'assumer les obligations qui y sont rattachés, et notamment ceux qui découlent de la convention du 28 octobre 1960 et des avenants qui l'ont modifiée ". En raison de la transformation de la SOGARIS en société d'économie mixte le 8 juillet 1975, le syndicat interdépartemental étant devenu majoritaire dans son capital, une nouvelle convention de concession a été conclue le 20 décembre 1977 ; elle a été modifiée par plusieurs avenants, en dernier lieu le 16 novembre 2023, prolongeant sa durée jusqu'au 31 octobre 2024.

9. Si la majeure partie du marché se tenant jusqu'alors au sein des Halles centrales de Paris a été transféré entre le 27 février et le 1er mars 1969 sur les terrains mentionnés au point 7 du présent arrêt, le marché dit " des produits carnés " a dans un premier temps rejoint le site de Paris - La Villette. Il résulte de l'instruction qu'a été décidé, au cours du second semestre de l'année 1970, le prochain déplacement du marché des produits carnés. À cette fin, une partie des terrains concédés à la SOGARIS en vertu de la convention précitée du 28 octobre 1960, a été mise à disposition de la SEMMARIS à compter du 1er juillet 1971, le transfert du marché des produits carnés ayant été effective à compter du 15 janvier 1973. Cette mise à disposition a été autorisée par une délibération du conseil d'administration du syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS en date du 5 juillet 1973, précisant le montant du loyer annuel dû par la SEMMARIS au titre de la sous-concession des terrains, ainsi que ses modalités de révision. Par une convention conclue le 16 juin 1981, la SOGARIS et la SEMMARIS ont modifié, à compter du 1er janvier 1980, les modalités de calcul et de révision du loyer dus par cette dernière à la SOGARIS au titre des terrains mis à sa disposition pour la gestion du marché des produits carnés. Enfin, par un contrat de sous-concession conclu le 11 janvier 1996, la SOGARIS et la SEMMARIS ont fixé le terme de la mise à disposition des terrains, consentie depuis le 1er juillet 1971, au 23 février 2017, et ont convenu du montant annuel du loyer correspondant ainsi que de ses modalités de révision.

10. Il résulte de l'instruction que le contrat de sous-concession conclu le 11 janvier 1996 entre la SOGARIS et la SEMMARIS n'a pas été renouvelé, alors que la SEMMARIS a poursuivi au-delà du 23 février 2017 la gestion d'une partie du marché d'intérêt national sur les terrains concédés à la SOGARIS par le syndicat interdépartemental.

11. Contrairement à ce que soutient la SEMMARIS, l'intervention du décret du 4 décembre 1972 portant modification des limites des zones A et B du marché d'intérêt national de Paris - Rungis, et intégrant dans la zone A les terrains, appartenant au syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS, sur lesquels a ensuite été implanté le marché des produits carnés, ne saurait avoir eu pour effet d'avoir conduit l'État à opérer implicitement une mutation domaniale unilatérale à son propre profit ou au profit de la SEMMARIS, ce décret ayant eu pour seul effet de modifier les limites des zones au sein desquelles la SEMMARIS assure ses missions d'aménageur et de gestionnaire du service public que constitue le marché d'intérêt national de Paris - Rungis, sans remettre en cause la concession de ces terrains à la SOGARIS ni en modifier la propriété. À cet égard, si le Premier ministre ou les ministres intéressés tiennent des principes généraux qui régissent le domaine public le pouvoir de décider unilatéralement, pour un motif d'intérêt général, de changements d'affectation d'une dépendance du domaine public, la procédure en étant alors régie, en ce qui concerne le domaine public des collectivités locales, par l'article 16 du décret-loi du 5 juin 1940 abrogé par un décret du 14 mars 1986, ce pouvoir n'a pas été mis en œuvre en l'espèce, en 1972, dès lors notamment qu'il est constant qu'aucun désaccord n'est apparu lors de la mise à disposition de la SEMMARIS des terrains en cause, l'affectation de ces terrains aux besoins du service public que constitue le marché d'intérêt national de Paris - Rungis ayant été réglée par voie amiable, et formalisée par les conventions conclues le 16 juin 1981 puis le 11 janvier 1996 entre la SOGARIS et la SEMMARIS.

12. Par ailleurs, si un rapport de 1971, produit par la SEMMARIS et portant " sur les problèmes fonciers du Centre Routier " devant être créé et exploité par la SOGARIS, envisageait l'éventualité d'une modification du " régime domanial des terrains d'assiette du marché de la viande ", après une reprise par le syndicat interdépartemental de la disposition des terrains concédés à la SOGARIS et l'indemnisation de cette dernière, cette circonstance est sans incidence sur ce qui vient d'être exposé, dès lors que les solutions évoquées dans ce rapport n'ont pas été suivies d'actes les mettant en œuvre. Le montant cumulé des loyers versés par la SEMMARIS à la SOGARIS entre 1971 et 2017 ne sauraient à cet égard être regardé comme constituant " l'indemnité d'éviction " qui y était envisagée. Contrairement à ce que soutient en outre la SEMMARIS, la circonstance que la convention de concession conclue entre le syndicat interdépartemental et la SOGARIS prévoit qu'au terme de cette dernière, la SOGARIS devra remettre les bâtiments, constructions et installations fixes en bon état de conservation et d'entretien, n'est pas incompatible avec la conservation de sa qualité de concessionnaire.

13. Enfin, la SEMMARIS ne peut davantage se prévaloir, pour la première fois en appel, de la nullité de la convention signée le 20 décembre 1977 entre le syndicat interdépartemental et la SOGARIS, au motif qu'elle serait constitutive d'une libéralité d'une personne publique au bénéfice d'une personne privée et d'une aide d'État contraire au droit de l'Union européenne, dès lors notamment que la SEMMARIS est tiers à l'égard de cette convention. La SEMMARIS, qui gère le marché d'intérêt national de Paris - Rungis également sur des terrains mis à sa disposition par l'État dans les conditions prévues par la convention mentionnée au point 7 du présent arrêt, n'apporte en tout état de cause aucun élément précis de nature à établir ses allégations, qui ne résultent pas de l'instruction.

14. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la SEMMARIS occupe sans droit ni titre depuis le 24 février 2017, en vue de l'exercice de sa mission d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de Paris - Rungis, des terrains concédés à la SOGARIS par le syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS. Il est par ailleurs constant qu'elle ne s'est pas acquittée des indemnités d'occupation réclamées par cette dernière depuis le 24 février 2017. Eu égard au montant des sommes qui auraient dû être versées par la SEMMARIS si elle avait été placée dans une situation régulière, lesquelles peuvent, dans les circonstances particulières de l'espèce et sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise, être déterminées par référence au montant appliqué jusqu'au 23 février 2017, en tenant compte de la révision annuelle dont les modalités sont définies à l'article 4.2 de la convention du 11 janvier 1996, le préjudice subi par la SOGARIS doit être évalué, pour la période allant du 24 février 2017 au 31 janvier 2024, date de mise à disposition du présent arrêt, à la somme de 6 304 771,48 euros. Le caractère éventuel du préjudice invoqué par la SOGARIS au titre de la période postérieure au 31 janvier 2024 fait en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux demandes qu'elle formule pour l'avenir.

15. Enfin, faute de justifier de la date de réception par la SEMMARIS des courriers, intitulés " factures ", par lesquels la SOGARIS a réclamé le paiement mensuel d'indemnités d'occupation à compter du 24 février 2017, l'appelante n'est pas fondée à demander que le versement des sommes en cause soit assorti des intérêts au taux légal à compter de la date d'émission de ces " factures ". Il doit en revanche être fait droit à sa demande, en tant qu'elle porte sur la somme initialement sollicitée de 1 069 080,07 euros, à compter du 16 mai 2018, date d'enregistrement de la demande indemnitaire auprès du tribunal administratif de Melun ; les intérêts produits seront capitalisés à compter du 16 mai 2019 pour produire eux-mêmes intérêts au taux légal, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure jusqu'au versement. La somme initiale susmentionnée de 1 069 080,07 euros, sur laquelle portera ainsi le calcul des intérêts puis leur capitalisation annuelle, sera en outre régulièrement majorée, pour chaque mois écoulé à compter du 16 juin 2018, de la somme due au titre de l'indemnité d'occupation concernant le mois qui précède, déterminée en application de ce qui a été exposé au point 14 du présent arrêt.

16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que la SOGARIS et le syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a estimé que la SOGARIS n'était pas fondée ni, en tout état de cause, recevable, à demander à la SEMMARIS le paiement d'indemnités au titre de l'occupation irrégulière du domaine public. Il résulte également de ce qui précède que la SEMMARIS doit être condamnée à verser à la SOGARIS la somme de 6 304 771,48 euros, ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation des intérêts selon les modalités précisées au point 15 du présent arrêt, et que le surplus de ses conclusions indemnitaires doit être rejeté.

Sur les frais liés aux litiges :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SOGARIS et du syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, le versement à la SEMMARIS d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 1 500 euros à la SOGARIS sur le fondement des mêmes dispositions. Les conclusions présentées au même titre par le syndicat interdépartemental doivent être rejetées dès lors que, comme il a été dit au point 5, il a dans la présente instance la qualité d'intervenant et non de partie.

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention du syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS est admise.

Article 2 : Le jugement n° 1804016 du 10 mars 2022 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 3 : La SEMMARIS est condamnée à verser à la SOGARIS la somme de 6 304 771,48 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts selon les modalités précisées au point 15 du présent arrêt.

Article 4 : La SEMMARIS versera la somme de 1 500 euros à la SOGARIS en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS et de la SOGARIS est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de la SEMMARIS tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat interdépartemental pour la gestion des terrains concédés à la SOGARIS, à la société de la gare routière de Rungis (SOGARIS), à la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (SEMMARIS), au préfet du Val-de-Marne, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2024.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 22PA02144, 22PA02165


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02144
Date de la décision : 31/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : BDGS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-31;22pa02144 ?
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