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26/01/2024 | FRANCE | N°22PA03276

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 26 janvier 2024, 22PA03276


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A..., agent spécialisé principal de police technique et scientifique, a demandé l'annulation de l'article 5 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 23 juin 2021 l'affectant en Nouvelle-Calédonie en tant qu'il limite cette affectation à une durée de deux ans renouvelable une fois, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de régulariser sa situation quant à la durée de son affectation en Nouvelle-Calédonie et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 150 000 fr

ancs CFP, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice admi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A..., agent spécialisé principal de police technique et scientifique, a demandé l'annulation de l'article 5 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 23 juin 2021 l'affectant en Nouvelle-Calédonie en tant qu'il limite cette affectation à une durée de deux ans renouvelable une fois, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de régulariser sa situation quant à la durée de son affectation en Nouvelle-Calédonie et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 150 000 francs CFP, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2200048 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 juillet 2022, M. C... A..., représenté par Me Claveleau, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 juin 2022 ;

2°) d'annuler l'article 5 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 23 juin 2021 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à la régularisation de l'arrêté du

23 juin 2021 et de sa situation quant à la durée de son affectation ;

4°) mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal administratif s'est substitué à l'administration qui n'a pas produit de mémoire et a ainsi méconnu le principe du contradictoire ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en se plaçant à la date de l'arrêté attaqué et non à la date du jugement pour déterminer si ce dernier était légal ;

- les premiers juges ont statué ultra petita en se prononçant sur l'article 1er du décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 qui n'était pas contesté par les parties ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dès lors que le centre de ses intérêts matériels et moraux est situé en Nouvelle-Calédonie ;

- il porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne prend pas en compte sa santé psychologique et mentale ;

- il ne prend pas en compte l'intérêt du service dès lors tous les postes n'ont pas été pourvus.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 avril 2023, le Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés en appel sont irrecevables dès lors que la requête d'appel se borne à reproduire intégralement le mémoire de première instance ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction a été fixée au 26 septembre 2023 à 12:00 heures par une ordonnance du 25 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bruston, rapporteure,

- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., agent spécialisé principal de police technique et scientifique, a été affecté au service territorial de police technique et scientifique de Nouméa du 1er septembre 2016 au 31 août 2020. Muté au sein du service régional de police technique et scientifique d'Ajaccio à compter du 1er septembre 2020, M. A... a bénéficié d'une nouvelle affectation en

Nouvelle-Calédonie à compter du 1er septembre 2021 par un arrêté du ministre de l'intérieur du 23 juin 2021. M. A... relève appel du jugement du 9 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'article 5 de cet arrêté limitant son affectation sur le territoire calédonien à une durée de deux ans renouvelable une fois.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le Haut-Commissaire de la République :

2. Aux termes des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicables à l'introduction de l'instance d'appel en vertu des dispositions de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. Contrairement à ce que fait valoir le Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, la requête d'appel de M. A... ne se borne pas à reproduire ses écritures présentées devant les premiers juges et énonce de manière précise les critiques adressées au jugement attaqué. Elle répond ainsi aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, même en l'absence de défense de l'administration, il appartenait aux premiers juges de se prononcer sur les moyens soulevés par M. A... au soutien de sa demande d'annulation. En statuant au vu des pièces du dossier, le tribunal n'a pas méconnu le principe du contradictoire.

5. En deuxième lieu, les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs ne peuvent tendre qu'à l'annulation ou à la réformation du dispositif du jugement attaqué. Par suite, n'est pas fondé, en tout état de cause, le moyen tiré de ce que le jugement se serait prononcé, dans ses motifs, sur la légalité de l'article 1er de l'arrêté contesté alors qu'il s'est borné, dans son dispositif, à rejeter la requête de M. A... dirigée contre l'article 5 du même arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. Aux termes de l'article 1er du décret du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de

Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna : " Le présent décret est applicable (...) aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'Etat, ainsi qu'aux magistrats de l'ordre judiciaire, affectés dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, qui sont en position d'activité ou détachés auprès d'une administration ou d'un établissement public de l'Etat dans un emploi conduisant à pension civile ou militaire de retraite. / Il ne s'applique ni aux personnels dont le centre des intérêts moraux et matériels se situe dans le territoire où ils exercent leurs fonctions, ni aux membres des corps de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française, ni aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale. " Aux termes de l'article 2 de ce décret : " La durée de l'affectation dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna est limitée à deux ans. / Cette affectation peut être renouvelée une seule fois à l'issue de la première affectation. / Une affectation dans l'un des territoires d'outre-mer énumérés au premier alinéa du présent article ne peut être sollicitée qu'à l'issue d'une affectation d'une durée minimale de deux ans hors de ces territoires ou de Mayotte. Toutefois, cette période de deux ans peut être accomplie dans un territoire d'outre-mer distinct du territoire d'affectation ou à Mayotte, si le centre des intérêts moraux et matériels de l'agent se situe dans l'un de ces territoires ou dans cette collectivité. ". Pour apprécier la localisation du centre des intérêts moraux et matériels d'un fonctionnaire il peut être tenu compte de son lieu de naissance, du lieu où se trouvent sa résidence et celle des membres de sa famille, du lieu où le fonctionnaire est, soit propriétaire ou locataire de biens fonciers, soit titulaire de comptes bancaires, de comptes d'épargne ou de comptes postaux, ainsi que d'autres éléments d'appréciation parmi lesquels le lieu du domicile avant l'entrée dans la fonction publique de l'agent, celui où il a réalisé sa scolarité ou ses études, la volonté manifestée par l'agent à l'occasion de ses demandes de mutation et de ses affectations ou la localisation du centre des intérêts moraux et matériels de son conjoint ou partenaire au sein d'un pacte civil de solidarité. La localisation du centre des intérêts matériels et moraux, qui peut varier dans le temps, doit être appréciée, dans chaque cas, à la date à laquelle l'administration, sollicitée le cas échéant par l'agent, se prononce sur l'application d'une disposition législative ou règlementaire.

7. M. A..., né en métropole en 1982, résidait, à la date de la décision contestée, depuis quatre ans en Nouvelle-Calédonie où il a exercé ses fonctions au service territorial de police technique et scientifique de Nouméa du 1er septembre 2016 au 31 août 2020. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. A... a conclu, en 2018, un pacte civil de solidarité avec sa conjointe, née à Nouméa et dont la localisation du centre des intérêts moraux et matériels se trouve en Nouvelle-Calédonie, et qu'il y a fait l'acquisition, en août 2018, d'un bien immobilier qui constitue désormais sa résidence principale. En outre, M. A..., qui a exprimé à de multiples reprises sa volonté d'être affecté en Nouvelle-Calédonie lors ses demandes de mutation et de ses affectations, pour ne plus être éloigné de sa conjointe, et présentait un état anxio-dépressif en raison de son éloignement du territoire, a été réaffecté sur le territoire calédonien, un an seulement après sa mutation à Ajaccio, le 1er septembre 2021 pour une durée de deux ans.

8. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. A... doit être regardé comme ayant, au moment de sa demande, transféré en

Nouvelle-Calédonie le centre de ses intérêts matériels et moraux.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'article 5 de l'arrêté du ministère de l'intérieur du 23 juin 2021 limitant la durée de son affectation en

Nouvelle-Calédonie en refusant implicitement de reconnaitre le transfert en

Nouvelle-Calédonie du centre de ses intérêts matériels et moraux.

Sur l'injonction :

10. L'exécution du présent arrêt, qui annule rétroactivement l'article 5 de l'arrêté du ministère de l'intérieur du 23 juin 2021, n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 9 juin 2022 et l'article 5 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 23 juin 2021 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- Mme Bruston, présidente assesseure,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2024.

La rapporteure,

S. BRUSTON

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03276
Date de la décision : 26/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Servane BRUSTON
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : CLAVELEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-26;22pa03276 ?
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