La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2024 | FRANCE | N°23PA03891

France | France, Cour administrative d'appel, 9ème chambre, 19 janvier 2024, 23PA03891


Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2023 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement n° 2307850 du 17 août 2023 le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 12 juillet 2023 par lequel le préfet de police a prononcé le transfert de Mme A... aux autorités italiennes.

Procédure devant la Cour : Par une requête et un mé...

Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2023 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement n° 2307850 du 17 août 2023 le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 12 juillet 2023 par lequel le préfet de police a prononcé le transfert de Mme A... aux autorités italiennes. Procédure devant la Cour : Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 31 août et 9 novembre 2023 le préfet de police demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Melun.

Il soutient que : - les conclusions d'appel n'ont pas perdu leur objet ; - le moyen retenu par le tribunal est mal fondé dès lors la situation d'ensemble de Mme A... n'imposait pas la mise en œuvre de la clause discrétionnaire telle que prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 précité ; - les autres moyens avancés par Mme A... en première instance ne sont pas fondés. Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2023, Mme A..., représentée par Me Gall, conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et, dans tous les cas, à ce que la somme de 1 400 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Elle fait valoir que : - la requête est privée d'objet depuis la délivrance d'une attestation de demande d'asile et l'examen de cette demande par l'office français de protection des réfugiés et apatrides ; - la France est désormais responsable de sa demande d'asile dès lors que sa demande est en cours d'examen devant l'office français de protection des réfugiés et apatrides ; l'Italie est donc déchargée de ses obligations d'examen de sa demande de protection internationale ; - les défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant, sont établies ; - la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ; - la décision litigieuse est entachée d'un vice de procédure au regard des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 ; - elle viole l'article 6 du règlement Dublin III et les dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris en date du 16 octobre 2023. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; - la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; - le règlement (UE) n° 603/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ; - le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ; - le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ; - le code de justice administrative. Le président de la formation de jugement a décidé de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Boizot, - et les observations de Me Gall pour Mme A.... Considérant ce qui suit : 1. Mme B... A..., ressortissante ivoirienne née le 25 décembre 1994 à Danané (Côte d'Ivoire), a déposé une demande d'asile et a été mise en possession de l'attestation correspondante le 14 juin 2023. A la suite de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de cette demande d'asile, par arrêté du 12 juillet 2023, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes. Par un jugement n° 2307850 du 17 août 2023 dont le préfet de police interjette régulièrement appel, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté précité pour erreur manifeste d'appréciation au motif qu'il n'a pas été fait application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 alors que l'état de grossesse de Mme A... caractérisait une situation de vulnérabilité particulière. Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense : 2. S'il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a délivré à Mme A... le 25 septembre 2023 une attestation de demande d'asile en procédure normale et que sa demande d'asile a été enregistrée auprès de l'OFPRA, ces mesures sont intervenues en exécution du jugement du tribunal administratif de Paris du 17 août 2023 et n'excèdent pas ce qui était nécessaire à l'exécution de ce jugement. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer soulevée par Mme A... doit être écartée. Sur le bien-fondé du jugement : 3. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre État qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 (...), il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. Une attestation de demande d'asile est délivrée au demandeur selon les modalités prévues à l'article L. 521-7. Elle mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'État responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet État. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre État ". 4. Il résulte des dispositions précitées du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. 5. Par ailleurs, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017, affaire n° C-578/16 PPU, " L'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que, même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillance systémiques dans l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement n° 604/2013 ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article ". Dans une affaire n° 29217/12 du 4 novembre 2014, Tarakhel c/ Suisse, la Cour européenne des droits de l'homme a relevé que les capacités d'accueil de l'Italie étaient alors localement défaillantes, sans qu'il s'agisse pour autant d'une défaillance systémique. La Cour a considéré que cette situation n'empêchait pas l'adoption de décisions de transfert, mais obligeait le pays qui envisageait une procédure de remise, lorsqu'elle porte sur une personne particulièrement vulnérable, et notamment s'agissant d'une famille avec de jeunes enfants, de s'assurer au préalable, avant toute exécution matérielle, auprès des autorités italiennes qu'à leur arrivée en Italie, les personnes concernées seront notamment accueillies dans des structures et dans des conditions adaptées à l'âge des enfants et que l'unité de la cellule familiale sera préservée. 6. Si l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. 7. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... notamment du certificat de grossesse établi le 7 juin 2023 et de l'entretien prénatal précoce réalisé le 10 juillet 2023, que Mme A... était enceinte de sept mois environ à la date de la décision attaquée et que le terme de sa grossesse est fixé au 30 août 2023. Il est constant qu'elle a la qualité de parent isolé. Dans ces conditions, elle doit être regardée comme justifiant d'un état de vulnérabilité particulières au sens des normes qui régissent l'accueil des personnes demandant la protection internationale. 8. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités françaises aient expressément rappelé aux autorités italiennes l'état de grossesse de Mme A..., qui n'a pu selon ses dires rencontrer un médecin en Italie en dépit de ses différentes demandes afin de bénéficier d'un suivi de sa grossesse, dans la demande de prise en charge adressée le 29 juin 2023, à laquelle l'Italie a donné son accord le 10 juillet suivant. Par ailleurs, le préfet de police n'apporte, en l'absence de production de l'accusé de réception " Dublinet " émis par le point d'accès national italien, aucun élément probant permettant d'établir que les autorités italiennes auraient été correctement informées de la situation médicale de Mme A... dont le terme de la grossesse était prévu pour le 30 août dernier. Dans ces conditions, et en dépit de l'absence de défaillances systémiques en Italie à la date de la décision attaquée, il n'est pas établi que les autorités italiennes ont pris en considération la qualité de personne vulnérable de Mme A..., en conséquence, une prise en charge adaptée dès son arrivée. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, en l'absence de garanties que les autorités italiennes assureront des conditions d'accueil et de prise en charge spécifiques adaptées à la situation de particulière vulnérabilité de l'intéressée, le préfet de police, en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et en refusant ainsi d'instruire en France la demande d'asile de Mme A..., a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. 9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 12 juillet 2023 et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... en procédure normale. Mme A... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 16 octobre 2032 visée ci-dessus, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 250 euros au titre des frais exposés par Me Gall, avocat de Mme A..., à l'occasion de l'instance et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à condition qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. D E C I D E : Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.Article 2 : L'Etat versera à Me Gall, avocat de Mme A..., la somme de 1 250 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à condition qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A... est rejeté. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.Copie en sera adressée au préfet de police.Délibéré après l'audience du 5 janvier 2024 à laquelle siégeaient :- M. Carrère, président,- Mme Boizot, première conseillère,- Mme Hamdi, première conseillère.Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 19 janvier 2024.La rapporteure,S. BOIZOTLe président,S. CARRERELa greffière,E. LUCELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.N° 23PA03891 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03891
Date de la décision : 19/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Sabine BOIZOT
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : GALL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-19;23pa03891 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award