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19/01/2024 | FRANCE | N°22PA04786

France | France, Cour administrative d'appel, 9ème chambre, 19 janvier 2024, 22PA04786


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 234 153,59 euros en réparation des préjudices financiers, des troubles dans les conditions d'existence, des préjudices moraux et de la perte de chance de progression professionnelle qu'il estime avoir subis en raison du mauvais calcul de sa rémunération, de l'absence fautive d'affectation et de son affectation fautive sur un poste à Arcueil, assortie des intérêts au taux légal.<

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Par un jugement n° 1810793 du 21 juillet 2022, le tribunal administratif de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 234 153,59 euros en réparation des préjudices financiers, des troubles dans les conditions d'existence, des préjudices moraux et de la perte de chance de progression professionnelle qu'il estime avoir subis en raison du mauvais calcul de sa rémunération, de l'absence fautive d'affectation et de son affectation fautive sur un poste à Arcueil, assortie des intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1810793 du 21 juillet 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande M. E....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 10 novembre 2022 et le 14 septembre 2023, M. E..., représenté par Me Deygas, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1810793 du 21 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 234 153,59 euros en réparation des préjudices financiers, des troubles dans les conditions d'existence, des préjudices moraux et de la perte de chance de progression professionnelle qu'il estime avoir subis ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et de la capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. E... soutient que :

- le jugement est entaché d'erreurs de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le tribunal administratif de Melun était incompétent pour connaitre du présent litige en application des dispositions de l'article R. 312-12 du code de justice administrative ;

- la responsabilité de l'administration est engagée pour faute dès lors qu'elle l'a indûment privé de rémunération ;

- la responsabilité de l'administration en engagée pour faute dès lors qu'elle ne lui a pas donné une affectation correspondant à son grade dans un délai raisonnable, le laissant sans affectation du 1er août 2012 au 1er mai 2018 ;

- la responsabilité de l'administration est engagée pour faute dès lors qu'il a été affecté à un poste de chargé d'études personnel à Arcueil qui ne correspond ni à son grade et ni à ses qualités professionnelles à compter du 1er mai 2018 ; cette affectation est irrégulière dès lors que la commission administrative paritaire n'a pas été préalablement saisie pour avis ; la décision du 23 février 2018 est entachée d'incompétence de son signataire ; cette affectation est brutale ; l'administration a commis une erreur de droit en lui appliquant le régime de l'affectation d'office dans l'intérêt du service à la place du régime du surnombre ;

- en indiquant qu'il est en fonction au 3ème régiment du matériel à Muret, l'administration a voulu altérer la vérité quant à sa situation professionnelle ;

- il a subi un préjudice financier en raison du non versement de sommes dues au titre des primes et indemnités de service en outre-mer pour la période du 1er août 2012 au 1er mai 2018 et des dernières fractions de l'indemnité particulière de sujétion et d'installation ;

- il a subi un préjudice moral dès lors qu'il est resté sans affectation pendant presque six ans ;

- il a enfin subi une perte de chance de progression professionnelle dès lors que sa situation administrative l'a empêché d'être nommé attaché principal alors qu'il en remplissait toutes les conditions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 août 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 50-407 du 3 avril 1950 concernant les conditions de rémunération et les avantages divers accordés aux fonctionnaires en service dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 53-1266 du 22 décembre 1953 portant aménagement du régime de rémunération des fonctionnaires de l'Etat en service dans les départements d'outre-mer ;

- le décret n° 95-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions ;

- le décret n° 2001-1226 du 20 décembre 2001 portant création d'une indemnité particulière de sujétion et d'installation ;

- le décret n° 2011-1864 du 12 décembre 2011 autorisant le ministre de la défense et des anciens combattants à déléguer certains de ses pouvoirs en matière d'administration et de gestion du personnel civil du ministère de la défense ;

- le décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 portant statut particulier du corps interministériel des attachés d'administration de l'Etat ;

- l'arrêté du 14 décembre 2011 relatif à l'application du décret n° 2011-1864 du 12 décembre 2011 autorisant le ministre de la défense à déléguer certains de ses pouvoirs en matière d'administration et de gestion du personnel civil du ministère de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Boizot,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- et les observations de Me Deygas pour M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... E..., attaché d'administration du ministère de la défense, a été placé en détachement auprès du ministre de l'intérieur et affecté à compter du 1er août 2011 pour un an au sein de la préfecture de Guyane. Il a sollicité le 1er juin 2012 sa réintégration au sein du ministère de la défense et a candidaté sur un poste de chef de mission des affaires civiles auprès des forces armées de Guyane. Par une lettre du 24 août 2012, le directeur du centre ministériel de gestion a prononcé sa réintégration. Par une lettre du 6 décembre 2012, sa candidature au poste de chef de mission des affaires civiles auprès des forces armées de Guyane a été rejetée. Par une décision du 23 février 2018, le directeur du centre ministériel de gestion de Bordeaux l'a affecté d'office au poste de chargé d'études personnel à Arcueil au sein du bureau des méthodes et de l'animation de la sous-direction de la gestion du personnel civil de la direction des ressources humaines du ministère de la défense, à compter du 1er mai 2018. Par une lettre en date du 12 septembre 2018, réceptionnée par l'administration le 21 septembre 2018, M. E... a sollicité l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison du non versement de primes du 1er août 2011 au 1er septembre 2018, de l'absence fautive d'affectation de 2012 à 2018 et du préjudice moral subi en raison de la décision fautive d'affectation du 23 février 2018. Le silence conservé par l'administration pendant deux mois sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Par un jugement n° 1810793 du 21 juillet 2022, dont M. E... interjette régulièrement appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 234 153,59 euros en réparation des préjudices financiers, des troubles dans les conditions d'existence, des préjudices moraux et de la perte de chance de progression professionnelle qu'il estime avoir subis en raison du mauvais calcul de sa rémunération, de l'absence fautive d'affectation de 2012 à 2018 et de son affectation fautive du 23 février 2018.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 312-12 du code de justice administrative : " Tous les litiges d'ordre individuel, y compris notamment ceux relatifs aux questions pécuniaires, intéressant les fonctionnaires ou agents de l'État (...) relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu d'affectation du fonctionnaire ou agent que la décision attaquée concerne. (...) Si cette décision (...) concerne (...) un agent sans affectation à la date où a été prise la décision attaquée (...) la compétence est déterminée par le lieu de la dernière affectation de ce fonctionnaire ou agent (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel se situe le lieu de la dernière affectation du fonctionnaire à la date de la décision attaquée. En l'espèce, M. E... a été affecté par une décision du 23 février 2018 du directeur du centre ministériel de gestion de Bordeaux à compter du 1er mai 2018 sur un poste de chargé d'études personnel à Arcueil qui est devenue définitive, l'intéressé s'étant désisté de son recours contre cette décision. En outre, par une décision implicite de rejet née le 21 novembre 2018, l'administration a rejeté sa demande indemnitaire préalable. Au regard de ce qui précède, à la date de la décision attaquée, M. D... était affecté dans la commune d'Arcueil située dans le ressort du tribunal administratif de Melun. En outre, contrairement à ce qu'il se borne à soutenir, l'administration pouvait, afin de mettre un terme à la situation irrégulière dans laquelle il se trouvait depuis presque six ans, l'affecter sur un emploi qu'il n'a pas demandé. Dans ces conditions, et en application des dispositions précitées et sans qu'ait d'incidence l'incompétence de l'auteur de la décision d'affectation en cause, le tribunal administratif de Melun était compétent pour connaître de ce litige.

4. En deuxième lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. D... ne peut donc utilement se prévaloir de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de l'administration :

S'agissant de la faute tirée de la privation d'éléments de la rémunération de M. E... :

5. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 3 avril 1950 concernant les conditions de rémunération et les avantages divers accordés aux fonctionnaires en service dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion : " Les conditions de rémunération des fonctionnaires en service dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion sont celles des fonctionnaires en service dans la métropole, sous réserve des dispositions particulières prévues par la présente loi. (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " Une majoration de traitement de 25 % est accordée, à partir du 1er avril 1950, à tous les fonctionnaires des départements considérés ". D'autre part, aux termes de l'article 10 du décret du 22 décembre 1953 portant aménagement du régime de rémunération des fonctionnaires de l'Etat en service dans les départements d'outre-mer : " À titre provisoire et pour compter du 1er août 1953, il est attribué aux fonctionnaires de l'Etat en service dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique et de la Réunion, un complément temporaire à la majoration de traitement instituée par l'article 3 de la loi susvisée du 3 avril 1950. Le taux de ce complément est fixé à 5 % du traitement indiciaire de base. Dans le département de la Réunion le complément dont il s'agit est payé à sa contre-valeur en monnaie locale, d'après la parité en vigueur pendant la période sur laquelle porte la liquidation ".

6. Tout d'abord, il convient de rappeler qu'un fonctionnaire n'a aucun droit au maintien de sa rémunération antérieure à l'occasion d'un détachement ou au bénéfice de primes ou de droit acquis à bénéficier d'un montant de prime. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la majoration de traitement accordée aux fonctionnaires en service dans les départements d'outre-mer sur le fondement de la loi du 3 avril 1950 ainsi que le complément temporaire de cette majoration sont seulement destinés à compenser des charges liées à l'exercice effectif des fonctions au cours du séjour de l'agent dans ce département. Par suite, ainsi que l'on considéré les premiers juges, la seule circonstance qu'à l'expiration de son affectation au sein de la préfecture de Guyane lors de son détachement du 1er août 2011 au 1er août 2012 M. E... a fixé son domicile sur ce territoire ne lui permet pas, à défaut d'exercer ses fonctions d'attaché du ministère de la défense, de bénéficier de la majoration de traitement et du complément temporaire de traitement à compter du 1er août 2012. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le requérant, la circonstance qu'il était, pendant cette période, en situation de surnombre et donc en position d'activité est sans incidence sur le bénéfice de ces primes dès lors qu'il n'a pas exercé de fonction. Enfin, s'il fait valoir une diminution de sa rémunération à l'occasion de son détachement au cours de la période mentionnée, sa demande ne peut qu'être rejetée eu égard à l'absence de droit, rappelée ci-dessus, au maintien de sa rémunération au titre de son affectation antérieure.

7. En second lieu, aux termes de l'article 1 du décret du 20 décembre 2001 portant création d'une prime spécifique d'installation : " Il est institué une prime spécifique d'installation pour les fonctionnaires de l'État et les magistrats, titulaires ou stagiaires, affectés dans un département d'outre-mer ou à Mayotte, qui reçoivent une première affectation en métropole à la suite d'une mutation ou d'une promotion, s'ils y accomplissent une durée minimale de quatre années consécutives de services. / Cette prime spécifique d'installation est également versée aux fonctionnaires dont la résidence familiale se situe dans un département d'outre-mer ou à Mayotte et qui sont affectés en métropole à la suite de leur entrée dans l'administration, s'ils y accomplissent une durée minimale de quatre années consécutives de services. Par ailleurs, aux termes de l'article 2 du même décret : " Le montant de la prime spécifique d'installation est égal à 12 mois du traitement indiciaire de base de l'agent. La prime est payable en trois fractions égales : - la première lors de l'installation du fonctionnaire dans son nouveau poste ; - la deuxième au début de la troisième année de service ; - la troisième au bout de quatre ans de services. Le taux de chacune des fractions est égal à quatre mois du traitement indiciaire de base de l'agent. Le traitement indiciaire de base à considérer est celui perçu par le fonctionnaire à la date à laquelle chaque fraction devient payable ".

8. Si conformément aux dispositions précitées de l'article 1er du décret n° 2001-1226 susvisé, les fonctionnaires affectés en Guyane pouvaient bénéficier d'une indemnité particulière de sujétion et d'installation s'ils accomplissaient une durée minimale de quatre années consécutives de services, M. E... n'a été affecté en Guyane, sur un poste relevant du ministère de l'intérieur, que pendant une durée d'un an. Il est constant que son détachement a pris fin à l'échéance du terme prévu soit un an. En conséquence, il ne remplissait pas les conditions pour percevoir les autres fractions de cette indemnité, dès lors qu'il n'a pas effectué les quatre années de services effectifs requises pour en bénéficier. La circonstance qu'il soit resté sur le territoire à l'issue de son détachement est sans incidence et ne saurait en tout état de cause lui ouvrir un droit au bénéfice de cette indemnité. En outre, si le fonctionnaire placé en situation de surnombre est considéré comme en position d'activité, il ne peut être regardé comme effectuant des services au sens des dispositions précitées dès lors qu'il n'est affecté sur aucun poste. Par suite, M. E... ne pouvait prétendre au versement des fractions de l'indemnité d'installation des deux dernières échéances puisqu'il n'a exercé qu'une seule année de service effectif en Guyane, lors de son détachement.

S'agissant de la faute tirée du défaut d'affectation du 1er août 2012 et le 1er mai 2018 :

9. Sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affection correspondant à son grade. En maintenant M. E... sans affectation effective pendant la période du 1er août 2012 au 1er mai 2018, alors qu'il lui appartenait soit de lui proposer dans un délai raisonnable, en priorité à la première vacance ou création de poste correspondant à son grade, une affectation, soit, s'il l'estimait inapte aux fonctions correspondant à son grade d'engager une procédure de licenciement pour faute professionnelle, la ministre des armées a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. S'il résulte de l'instruction que le centre de gestion dont il relevait lui a transmis, en décembre 2015, une information sur des postes à pourvoir dans trois chambres régionales des comptes, il ne lui a pas fait d'autre proposition, après refus du requérant de présenter sa candidature à ces postes, hormis une prise de contact en avril 2017 pour un point de situation, avant de l'affecter d'office, plus de deux ans après, par la décision contestée du 23 février 2018. Toutefois, si M. E... était en droit de recevoir, dans un délai raisonnable une affectation correspondant à son grade, il lui appartenait également, compte tenu de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d'un traitement sans exercer aucune fonction, d'entreprendre des démarches auprès de son administration. Il résulte de l'instruction que si M. E... a informé les services du ministère de la défense de sa volonté d'être réintégré en 2012 et a postulé à deux emplois le 19 novembre 2012 sans succès, celui-ci n'a candidaté à aucun des postes vacants dont l'administration lui a transmis les fiches en 2015 et n'a pas effectué la moindre démarche pour régulariser sa situation de 2015 à 2018. Par ailleurs, la sollicitation du ministère, en avril 2017, afin de faire le point sur sa situation administrative n'a pas abouti, l'intéressé n'ayant formulé aucun souhait d'affectation. Dans les circonstances de l'espèce, le comportement de M. E... est de nature, ainsi que l'on relevé les premiers juges, à exonérer l'Etat de la moitié de sa responsabilité.

S'agissant de la faute tirée de l'affectation sur un poste de chargé d'études " personnel " à Arcueil le 1er mai 2018 :

10. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 4 du décret du 12 décembre 2011 : " Les actes d'administration et de gestion énumérés au présent article sont exclus de la délégation prévue à l'article 1er : 1° Pour l'ensemble des fonctionnaires : (...) l) Mutation d'office dans l'intérêt du service ; ". D'autre part, en vertu des dispositions de l'article 1er de l'arrêté du

14 décembre 2011 susvisé, les directeurs des centres ministériels de gestion reçoivent délégation des pouvoirs du ministre de la défense en matière d'administration et de gestion du personnel civil et, notamment, pour ce qui concerne les actes concernant les fonctionnaires appartenant au corps des attachés d'administration du ministère de la défense, en matière de " 15. Changement d'affectation, mutation pour convenance personnelle et mutation prononcée à l'occasion de la fermeture, du transfert ou de la réorganisation du service ou de l'établissement d'emploi. ", ce qui inclut les changements d'affectation prononcé d'office dans l'intérêt du service.

11. Tout d'abord, il est constant que l'affectation d'un fonctionnaire décidée, après sa réintégration à l'expiration d'un détachement, sur un emploi du corps auquel il appartient ne constitue pas une mutation. Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'arrêté du 14 décembre 2011 que M. A... B..., administrateur civil hors classe, directeur du centre ministériel de gestion de Bordeaux, disposait d'une délégation de signature pour prononcer l'affectation du requérant sur un poste de chargé d'études " personnel " au sein du bureau des méthodes et de l'animation du département de la gestion ministérielle de la sous-direction de la gestion du personnel civil de la direction des ressources humaines du ministère des armées. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision du 23 février 2018 serait entachée d'incompétence doit être écarté.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa version alors applicable, dispose : " L'autorité compétente procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires. / Dans les administrations ou services où sont dressés des tableaux périodiques de mutations, l'avis des commissions est donné au moment de l'établissement de ces tableaux. / Toutefois, lorsqu'il n'existe pas de tableaux de mutation, seules les mutations comportant changement de résidence ou modification de la situation de l'intéressé sont soumises à l'avis des commissions ".

13. Il résulte des dispositions précitées que l'administration ne peut procéder aux mouvements des fonctionnaires, sous peine d'irrégularité de la procédure, qu'après avoir saisi pour avis, la commission administrative paritaire. Or, il résulte de l'instruction que le ministre de la défense a omis de saisir ladite commission, une telle omission constitue, par conséquent, une irrégularité de nature à entacher d'illégalité la décision litigieuse.

14. En troisième lieu, il ressort de la fiche de poste de chargé d'études " personnel " sur lequel M. E... a été affecté que les missions du poste consistaient notamment en la rédaction et la coordination des éléments de réponses au recours contentieux formés par les agents civils devant les juridicions administratives ou devant le Conseil d'Etat ainsi que des consultations juridiques à la demande des services de la DRH-MD mais également la participation à l'élaboration du feuillet " focus Rh " à l'attention de la chaîne des gestionnaires et de textes réglementaires relatifs à l'organisation de la fonction " ressources humaines ". Ce poste qui nécessite un important degré d'autonomie et d'initiative ainsi qu'un sens maîtrisé de la synthèse et des règles juridiques implique l'exercice de fonctions de conception, d'expertise et de gestion conformément aux dispositions de l'article 3 du décret n° 2011-1312 du 17 octobre 2011 susvisé définissant les missions susceptibles d'être confiées aux attachés d'administration. Si M. E... soutient qu'il ressort de la fiche de poste que le précédent titulaire du poste était une fonctionnaire de catégorie B, il résulte de l'instruction qu'elle avait atteint la classe exceptionnelle dans le corps des secrétaires administratifs. Cette seule circonstance ne suffit pas à établir que l'administration aurait porté atteinte à ses droits statutaires en l'affectant sur le poste précité. Ainsi, c'est sans commettre d'erreur au regard de l'intérêt du service que le directeur du centre ministériel de gestion de Bordeaux a pu l'affecter d'office sur un poste de chargé d'études à Arcueil.

15. En quatrième lieu, si M. E... soutient que son affectation sur Arcueil à compter du 1er mai 2018 lui a été notifiée avec brutalité, il convient de relever que l'intéressé qui est resté pendant presque six années sans affectation tout en continuant à percevoir son traitement pouvait légitiment s'attendre à être affecté sur un emploi. Par ailleurs, il résulte de la décision d'affectation en date du 23 février 2018, que la prise de poste effective était le 1er mai suivant. L'intéressé a ainsi pu se préparer pour rejoindre son affectation dans de bonnes conditions. Par suite, le moyen tiré de la brutalité de l'affectation doit être écarté.

S'agissant de la faute tirée de la méthode de gestion inadéquate de sa situation statutaire révélée par les deux arrêtés du 4 avril 2019 :

16. En unique lieu, M. E... soutient que son rattachement au 3ème régiment matériel à Muret traduit la volonté l'administration d'altérer la vérité quant à sa situation professionnelle. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment de la lettre du 24 août 2012 adressée au requérant par le centre ministériel de gestion de Bordeaux que ce rattachement a pour but de permettre d'assurer la gestion administrative et financière de la carrière de M. D... depuis la fin de son détachement et sa réintégration dans les effectifs du ministère de la défense. Par suite, ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la réparation du préjudice :

17. En premier lieu, si l'administration a commis une faute lors de l'édiction de la décision du 23 février 2018 en omettant de consulter la commission administrative paritaire, eu égard à la nécessité d'assurer la gestion administrative et financière de la carrière de M. E... depuis sa réintégration dans les effectifs du ministère de la défense, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le ministre aurait pris une mesure différente, il suit de là que le vice de procédure affectant la décision précitée ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme étant à l'origine des préjudices qu'aurait subis M. E..., lequel n'est, par suite, pas fondé à en demander réparation.

18. En deuxième lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. E... en lui accordant, compte tenu de la durée pendant laquelle il est resté sans affectation et de sa propre faute exonératoire, rappelées au point 9 du présent arrêt, une indemnité qui sera fixée à 5 000 euros.

19. En troisième lieu, M. E... n'apporte pas le moindre commencement d'élément permettant d'établir qu'il aurait eu une chance sérieuse d'être nommé attaché principal au choix s'il n'avait pas fait l'objet d'un défaut d'affectation pendant près de six ans.

20. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... est seulement fondé à demander la réformation du jugement attaqué du tribunal administratif de Melun dans la mesure prévue au point 17 du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. E... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. E... une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Article 2 : Le jugement n° 1810793 du 21 juillet 2022 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il est contraire à ce qui précède.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. E... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête de M. E... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- Mme Boizot, première conseillère,

- Mme Hamdi, première conseillère

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 19 janvier 2024.

Le rapporteur,

S. BOIZOTLe président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA04786 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04786
Date de la décision : 19/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Sabine BOIZOT
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : SCP DEYGAS PERRACHON & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-19;22pa04786 ?
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