La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2024 | FRANCE | N°22PA05499

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 janvier 2024, 22PA05499


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association " Ensemble pour la planète " (EPLP) a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la délibération n° 787-2021/BAPS/DDDT du

26 octobre 2021, en tant qu'elle retire les requins tigres et requins bouledogues de la liste des espèces protégées figurant à l'article 240-1 du code de l'environnement de la Province Sud.



Par un jugement n° 2100436 du 27 octobre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle- Calédonie a r

ejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête enregistrée le 27 déce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " Ensemble pour la planète " (EPLP) a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la délibération n° 787-2021/BAPS/DDDT du

26 octobre 2021, en tant qu'elle retire les requins tigres et requins bouledogues de la liste des espèces protégées figurant à l'article 240-1 du code de l'environnement de la Province Sud.

Par un jugement n° 2100436 du 27 octobre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle- Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 décembre 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 11 août 2023, l'association " Ensemble pour la planète " (EPLP) représentée par Me Joannopoulos, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 27 octobre 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

2°) d'annuler la délibération n° 787-2021/BAPS/DDDT du 26 octobre 2021, en tant qu'elle retire les requins tigres et requins bouledogues de la liste des espèces protégées figurant à l'article 240-1 du code de l'environnement de la Province Sud ;

3°) de mettre à la charge de la Province Sud la somme de 5 000 francs euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la Province Sud n'était pas compétente pour prendre seule la délibération contestée retirant les requins-tigres et les requins-bouledogues de la liste des espèces protégées ;

- la délibération litigieuse est entachée d'un vice de procédure faute pour la Province Sud d'avoir sollicité l'avis du conseil coutumier concerné, par application de l'article 46 de la loi organique du 19 mars 1999, ainsi que l'avis du sénat coutumier, conformément à l'article 143 de la loi organique du 19 mars 1999 ;

- la délibération litigieuse est entachée d'un vice de procédure, faute de consultation du Comité pour la protection de l'environnement (CPPE) ;

- la délibération litigieuse est entachée d'un défaut de motivation ;

- le bureau de l'assemblée de la Province Sud, qui ne pouvait modifier les articles

110-1, 110-2, 110-5, et 110-6 du code de l'environnement de la Province Sud, lesquels rappellent au demeurant des principes à valeur constitutionnelle énoncés dans la Charte de l'environnement, a commis une erreur de droit au regard des objectifs de développement durable et de préservations du patrimoine commun visés par ces articles, en retirant les requins-tigres et les requins-bouledogues de la liste des espèce protégées ;

- la délibération attaquée méconnaît le principe de précaution ;

- le retrait des requins requins-tigres et des requins-bouledogues de la liste des espèces protégées est entaché d'erreur manifeste d'appréciation eu égard à l'importance que revêtent les requins pour l'équilibre des écosystèmes marins ;

- le retrait en cause, qui a été adopté en 2021 alors que la Province Sud avait annoncé l'année précédente renoncer à retirer les requins-tigres et les requins-bouledogues de la liste des espèces protégées à l'issue d'une première tentative de retrait qui avait avorté, est entaché de détournement de pouvoir et de procédure.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2023, la Province Sud représentée par Me Lazennec, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de l'association EPLP à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte de l'environnement ;

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- le code de l'environnement de la Province Sud ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lazennec, représentant la Province Sud.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération n° 787-2021/BAPS/DDDT du 26 octobre 2021, le bureau de l'assemblée de la Province Sud a adopté diverses dispositions, en particulier le retrait des requins tigres et requins bouledogues de la liste des espèces protégées figurant à l'article

240-1 du code de l'environnement de la Province Sud. L'association " Ensemble pour la planète " (EPLP) a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler cette délibération en tant qu'elle a retiré les requins tigres et requins bouledogues de la liste des espèces protégées. Elle relève appel du jugement du 27 octobre 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 110-1 du code de l'environnement de la Province Sud : " Les dispositions du présent code sont adoptées dans le respect des droits et devoirs de valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement ". L'article 240-1 de ce code dispose que : " Le présent titre a pour objet de préserver la biodiversité néocalédonienne en déterminant les espèces animales ou végétales endémiques, rares ou menacées qui doivent être protégées et en réglementant les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux interdictions fixées dans le cadre de cette protection. (...) Les listes des espèces animales et végétales protégées (...) peuvent être modifiées par délibération du bureau de l'assemblée de province après avis de la commission intérieure en charge de l'environnement. ". L'article 240-3 de ce code dispose que sont interdits " (..) la pêche, la mutilation, la destruction, la consommation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation des spécimens des espèces animales mentionnées à l'article 240-1, leur détention, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ". Enfin aux termes de l'article 240-5 du même code : " I. - Il peut être dérogé, par arrêté du président de l'assemblée de province, aux interdictions prévues aux articles 240-2 et 240-3. / Si elle ne nuit pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, cette dérogation peut être accordée : / (...) / 4° Lorsque des intérêts relatifs à la protection de la vie humaine le justifient et en l'absence de solution alternative satisfaisante. / (...) ".

4. L'association EPLP soutient que le retrait des requins-tigres et des requins-bouledogues de la liste des espèces protégées méconnaît le principe de précaution. La Province Sud fait valoir que les populations de ces deux espèces de requins sont abondantes comme en attestent le nombre d'attaques d'humains dont elles sont responsables, au nombre de cinq en 2020 et de six de janvier à octobre 2021, ainsi que les données empiriques résultant des campagnes de marquage et de prélèvements organisées après ces attaques, qu'aucune des conventions internationales pour la protection des requins ne concerne les deux espèces en cause et que la levée de la protection aura des effets limités dès lors que les eaux provinciales comptent des réserves naturelles où les activités de pêche sont interdites et que la mesure ne saurait être assimilée à une autorisation de pêche ou une incitation à l'extermination de ces espèces. Il ressort toutefois des pièces du dossier que préalablement à l'édiction de la mesure litigieuse, qui a donné lieu à des avis négatifs du Comité pour la protection de l'environnement (CPPE) consulté une première fois le 13 avril 2020 et du Conseil scientifique de la Province Sud (CSPPN) du 15 septembre 2021, la Province Sud n'a fait procéder à aucun recensement ni étude scientifique des populations de requins tigres et de requins bouledogues existantes, ni d'évaluation de l'impact de la mesure envisagée sur ces populations, ainsi que sur d'autres espèces protégées par le biais de captures accidentelles, alors que la mesure n'est assortie d'aucune décision relative à des quotas de prélèvement notamment en fonction de l'âge ou du sexe des sujets ou des périodes de pêche, ni de contrôle des effets de cette mesure. Par suite, la Province Sud n'établit pas que l'inscription des deux espèces de requins sur la liste des espèces protégées aurait perdu son fondement. Il en résulte qu'en supprimant une protection en vigueur, sans mettre en œuvre une procédure d'évaluation des risques et d'adoption de mesures dérogatoires proportionnées, la Province Sud a méconnu les dispositions précitées et entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que l'association EPLP est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'association EPLP, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse à de la Province Sud la somme qu'elle demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Province Sud le versement à l'association EPLP d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2100436 du 27 octobre 2022 du tribunal administratif de Nouvelle- Calédonie est annulé.

Article 2 : La délibération n° 787-2021/BAPS/DDDT du 26 octobre 2021, en tant qu'elle retire les requins-tigres et requins-bouledogues de la liste des espèces protégées figurant à l'article 240-1 du code de l'environnement de la Province Sud, est annulée.

Article 3 : La Province Sud versera une somme de 1 500 euros à l'association " Ensemble pour la planète " sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la Province Sud présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Ensemble pour la planète " et à la Province Sud.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.

La rapporteure,

M. JULLIARD Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

22PA05499 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA05499
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : JOANNOPOULOS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;22pa05499 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award