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12/01/2024 | FRANCE | N°21PA03986

France | France, Cour administrative d'appel, 9ème chambre, 12 janvier 2024, 21PA03986


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris :

- d'annuler les décisions des 17 mai 2019 et 20 juin 2019 modifiant son contrat de travail, ensemble la décision du 19 octobre 2019 rejetant implicitement son recours gracieux ;

- d'annuler les cinq décisions du 19 septembre 2019 rejetant sa demande de reconnaissance d'accident de travail et le plaçant en congé de maladie ordinaire aux mois de juin, juillet, août et septembre 2019, ensemble l

a décision du 7 novembre 2019 rejetant son recours gracieux ;

- de condamner Sorbonn...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris :

- d'annuler les décisions des 17 mai 2019 et 20 juin 2019 modifiant son contrat de travail, ensemble la décision du 19 octobre 2019 rejetant implicitement son recours gracieux ;

- d'annuler les cinq décisions du 19 septembre 2019 rejetant sa demande de reconnaissance d'accident de travail et le plaçant en congé de maladie ordinaire aux mois de juin, juillet, août et septembre 2019, ensemble la décision du 7 novembre 2019 rejetant son recours gracieux ;

- de condamner Sorbonne Université à lui verser la somme de 70 000 euros en raison du préjudice subi, portant intérêt au taux légal à compter de la réception de la demande préalable le 21 septembre 2019.

Par un jugement n° 1927283 du 14 mai 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé les cinq décisions du 19 septembre 2019 par lesquelles le président de Sorbonne Université a rejeté sa demande de reconnaissance d'accident de travail et l'a placé en congé de maladie ordinaire aux mois de juin, juillet, août et septembre 2019, a condamné Sorbonne Université à lui verser la somme de 5 000 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2019 et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et des mémoires, enregistrés les 15 juillet 2021, 27 septembre 2021 et 26 avril 2022, l'établissement public Sorbonne université, représenté par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 mai 2021 en tant qu'il a fait droit partiellement à la demande de M. A... ;

2°) de rejeter la requête présentée par M. A... en première instance ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le jugement contesté méconnaît les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- contrairement à ce que le tribunal a retenu, la requête de première instance de M. A... a été présentée tardivement et était par suite irrecevable ;

- le jugement est irrégulier pour avoir relevé d'office un moyen d'erreur de droit, qui n'était pas d'ordre public et sans en avoir informé les parties ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit ;

- le délai de quinze jours, prévu à l'article 47-3 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 est applicable aux agents contractuels ;

- le jugement est entaché d'une irrégularité dès lors qu'il a fait droit à la demande indemnitaire dont il était saisi sans répondre à la fin de non-recevoir opposée en défense ;

- la demande d'indemnisation présentée au titre de l'illégalité des décisions prises par l'administration est irrecevable en l'absence de liaison du contentieux ;

- c'est à tort que les juges de première instance ont fait droit partiellement à la demande indemnitaire de M. A... ;

- les décisions des 17 mai 2019 et 20 juin 2019 ne sont entachées d'aucune illégalité ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les décisions du 19 septembre 2019 étaient entachées d'une erreur de droit ;

- à supposer que les décisions prises soient illégales, elles ne sont à l'origine d'aucun préjudice indemnisable ;

- les conclusions de M. A... présentées par la voie de l'appel incident et qui tendent à remettre en cause les motifs du jugement attaqué par lesquelles le tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires présentées au titre d'un harcèlement moral, soulèvent un litige distinct de celui de l'appel principal et sont irrecevables ;

- à titre subsidiaire, les conclusions présentées à ce titre ne sont pas fondées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Morandi, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête d'appel ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 mai 2021 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de Sorbonne université à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral qu'il estime avoir subi ;

3°) de condamner Sorbonne université à lui verser cette somme ;

4°) de mettre à la charge de Sorbonne université la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par l'établissement Sorbonne université ne sont pas fondés ;

- les juges de première instance ont entaché leur jugement d'une erreur de droit et d'une erreur de fait en retenant que les agissements de la direction de Sorbonne université ne pouvaient être qualifiés de harcèlement moral ;

- les agissements dont il a été victime sont constitutifs d'une situation de harcèlement moral qui devra être indemnisée par le versement de la somme de 70 000 euros.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lorin,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- et les observations de Me Coudray, représentant Sorbonne université.

Considérant ce qui suit :

1. Par contrat à durée indéterminée du 22 août 2016, l'université Paris-Sorbonne a recruté M. A..., en qualité d'agent contractuel, pour occuper le poste de directeur du patrimoine. Après la fusion le 1er janvier 2018, de l'université Paris-Sorbonne et de l'université Pierre et Marie Curie, qui a donné naissance à Sorbonne Université, le contrat de M. A... a été reconduit. Par deux décisions du 17 mai et du 20 juin 2019, M. A... a été nommé directeur de projet auprès du directeur général des services. Par cinq décisions du 19 septembre 2019, le président de Sorbonne Université a rejeté la demande de reconnaissance d'accident du travail présentée par M. A... et l'a placé en congé de maladie ordinaire du 31 mai 2019 au 30 septembre 2019. A la même date, M. A... a présenté une demande préalable tendant à l'indemnisation du préjudice qu'il estimait avoir subi à raison des décisions prises par l'établissement Sorbonne Université et d'une situation de harcèlement moral. Cette demande a été rejetée par une décision du 28 octobre 2019. L'établissement Sorbonne Université relève régulièrement appel du jugement du 14 mai 2021 en tant que le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé les décisions du 19 septembre 2019 et, d'autre part, fait droit partiellement à la demande indemnitaire présentée par M. A... à raison de l'illégalité fautive des décisions prises par l'établissement. Par la voie de l'appel incident, M. A... demande à la Cour de réformer ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'établissement à l'indemniser du préjudice résultant du harcèlement moral qu'il estime avoir subi.

Sur l'appel principal :

2. En vertu des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, seule la minute du jugement doit être signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Il ressort de l'examen de la copie de la minute du jugement contesté qu'elle comporte les signatures du président, du rapporteur qui n'était pas le président de la formation de jugement et du greffier. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article manque en fait.

Sur la recevabilité de la requête de première instance :

3. Si l'établissement Sorbonne Université soutient que la requête de première instance était irrecevable dès lors que le recours contentieux de M. A... dirigé contre les décisions contestées, a été introduit tardivement, il ressort des pièces du dossier que les décisions du 19 septembre 2019 annulées par les juges de première instance et seules susceptibles d'être contestées par l'appelant, ont fait l'objet d'un recours gracieux présenté par M. A..., qui a été reçu le 7 octobre 2019 par l'établissement et rejeté le 7 novembre 2019. Par suite, sa requête contentieuse tendant à l'annulation de ces décisions n'était pas tardive à la date à laquelle il a saisi le tribunal administratif de Paris le 19 décembre 2019. Par ailleurs, et à supposer que la recevabilité de la demande indemnitaire présentée par M. A... à l'appui de cette même requête soit également contestée, aucune tardiveté ne peut être relevée dès lors que sa requête contentieuse a été introduite dans le délai de deux mois suivant le rejet de cette demande intervenu par une décision du 28 octobre 2019.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

Sur la régularité du jugement :

4. En premier lieu, il ressort du point 7 du jugement contesté que le tribunal a retenu que les décisions du 19 septembre 2019 étaient entachées d'une erreur de droit dès lors que l'établissement Sorbonne Université avait opposé à la demande de reconnaissance d'accident du travail présentée par M. A..., le délai fixé par les dispositions de l'article 47-3 du décret

n°86-442 du 14 mars 1986 inapplicables aux agents contractuels. Il ressort toutefois des écritures de première instance présentées par M. A..., que ce dernier avait soulevé le moyen tiré de l'erreur de droit dont étaient entachées les décisions en litige au motif que les dispositions de ce décret n'étaient pas opposables aux agents contractuels. Par suite, et alors que les seules dispositions opposées à la demande de M. A... étaient précisément celles de l'article 47-3 de ce décret, l'établissement Sorbonne Université n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait relevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public,sans en avoir préalablement informé les parties.

5. En second lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, l'établissement Sorbonne université ne peut utilement soutenir que les juges de première instance auraient entaché leur jugement d'erreurs de droit.

Sur le bien-fondé du jugement :

6. Aux termes de l'article 2 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application de l'article 7 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat alors applicable : " La réglementation du régime général de sécurité sociale ainsi que celle relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles sont applicables, sauf dispositions contraires, aux agents contractuels visés à l'article 1er du présent décret (...) ". Il ne ressort ni de ce décret, ni d'aucune autre disposition législative ou règlementaire, que la procédure relative aux accidents de service des agents contractuels de l'Etat suive le régime de celle applicable aux fonctionnaires. Par suite, l'établissement Sorbonne université ne pouvait opposer à M. A... la procédure prévue par les dispositions de l'article 47-3 du décret du 14 mars 1986 relatif au régime de congés de maladie des fonctionnaires et rejeter pour ce motif sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service des arrêts de travail qui lui avaient été prescrits. Par voie de conséquence, c'est à bon droit que les juges de première instance ont annulé cette décision et celles prises le même jour plaçant M. A... en congé de maladie ordinaire au titre de la période des mois de juin à septembre 2019.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :

Sur la régularité du jugement :

7. Il ressort du mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif de Paris, que l'établissement Sorbonne université a opposé une fin de non-recevoir à la demande indemnitaire de M. A... au titre du préjudice tenant à l'illégalité des décisions prises par cet établissement.

8. Le tribunal administratif, qui pourtant l'a visée, a omis de statuer sur cette fin de

non-recevoir. Par suite, son jugement doit, dans cette mesure, être annulé.

9. Dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. A... tendant à la réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi.

Sur la recevabilité de la demande indemnitaire :

10. Il résulte de la demande préalable présentée par M. A... par un courrier du 19 septembre 2019 que ce dernier, après avoir exposé les illégalités dont il estimait entachées les décisions en litige, et les faits qui, selon lui, étaient constitutifs de harcèlement moral, a sollicité l'indemnisation d'un préjudice financier et moral évalué à la somme de 70 000 euros à raison des fautes et du harcèlement moral allégué dans ses écritures. Par suite et contrairement à ce que soutient l'établissement Sorbonne Université, cette demande tendait à la réparation d'un préjudice résultant tant des décisions dont la légalité était contestée, que du harcèlement moral allégué. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de liaison du contentieux se rapportant à l'illégalité des décisions prises par l'établissement Sorbonne université, doit être écartée.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'établissement Sorbonne université :

11. En premier lieu, si M. A... soutient que la décision du 17 mai 2019 par laquelle l'établissement Sorbonne université l'a nommé directeur de projet à compter de cette même date, est entachée d'illégalités fautives, il résulte de l'instruction que cette décision a implicitement mais nécessairement été rapportée par la décision prise ultérieurement le 20 juin 2019 ayant le même objet. Cette seconde décision, qui comportait la mention des voies et délais de recours, n'a pas été contestée dans le délai de recours contentieux dès lors que le courrier adressé à l'établissement Sorbonne université le 5 août 2019 ne présentait pas le caractère d'un recours gracieux dirigé contre cette décision, faute d'y faire référence, et ne pouvait par voie de conséquence avoir prorogé le délai de recours contentieux. Par suite, cette décision était devenue définitive, lorsque M. A... a saisi le tribunal administratif de Paris le 19 décembre 2019 pour en obtenir l'annulation. Il suit de là que la décision du 17 mai 2019 avait elle-même disparu de l'ordonnancement juridique avant même l'enregistrement de cette requête devant le tribunal administratif et était donc dépourvue d'objet dès l'origine. Dès lors, à la supposer même établie, l'illégalité de la décision du 17 mai 2019 sur laquelle est fondée l'action indemnitaire de M. A..., est dépourvue de tout lien de causalité avec le préjudice invoqué dès lors que la position de l'administration n'a pas été arrêtée par cette décision, mais par celle du 20 juin 2019.

12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que cette décision du 20 juin 2019 affectant M. A... sur le poste de directeur de projet auprès du directeur général des services, à titre conservatoire et dans l'intérêt du service, porte effet rétroactivement à la date du

17 mai 2019. Cette décision qui modifiait ses fonctions, n'a pu avoir pour effet de régulariser sa situation et ne pouvait disposer que pour l'avenir. Elle est par suite entachée d'une rétroactivité illégale. Par voie de conséquence et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués, M. A... est fondé à soutenir que cette décision est illégale en tant qu'elle comporte des effets pour la période s'étendant du 17 mai 2019 à la date à laquelle il en a reçu notification. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement Sorbonne université.

13. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été énoncé au point 6 du présent arrêt que les décisions prises par l'établissement Sorbonne université le 19 septembre 2019 sont entachées d'une illégalité fautive susceptible d'engager sa responsabilité.

14. En quatrième lieu et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'appel incident, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, applicable aux agents contractuels en application du II de l'article 32 de la même loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ".

15. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

16. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

17. Pour établir l'existence d'une situation de harcèlement moral, M. A... soutient que ses attributions ont été illégalement réduites par sa nomination en qualité de directeur de projet, que ce changement de poste a porté atteinte à sa dignité et à sa réputation professionnelle et a eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail et une situation d'isolement professionnel. Il fait valoir également le caractère vexatoire d'un courriel adressé le 16 mai 2019 par le directeur général des services ainsi qu'une perte financière résultant du refus de versement de la prime d'intéressement depuis 2018 et d'un moins-perçu pendant deux mois consécutifs au dernier trimestre de l'année 2019.

18. Toutefois, il résulte de l'instruction que ce changement d'affectation a été décidé à la suite du constat d'une situation très dégradée au sein de la direction du patrimoine qu'il dirigeait, en particulier au sein du service de la maîtrise d'ouvrage qui a donné lieu à plusieurs signalements de risques psycho-sociaux, à l'intervention de la médecin du travail, à la mise en place d'un coaching extérieur et à un audit interne qui n'ont pu remédier à la situation extrêmement conflictuelle impactant le bon fonctionnement de ce service. Les rapports, échanges de courriels et attestations produites par l'établissement Sorbonne Université démontrent que M. A... entretenait des relations très dégradées avec les agents placés sous sa responsabilité, qui ont été à l'origine des graves dysfonctionnements au sein de la direction du patrimoine et ont révélé des carences dans son management. Si M. A... soutient que sa nomination en qualité de chef de projet a eu pour effet de réduire ses attributions, il ne le démontre pas par la seule circonstance qu'il n'aurait plus d'agent placé sous son autorité, alors d'une part, que des défaillances caractérisaient ses attributions managériales et, d'autre part, que ce poste relevait de la même catégorie et répondait au même niveau d'expertise que les fonctions confiées aux ingénieurs de recherche. En l'absence de toute autre précision ou de toute pièce justificative, il n'apparaît aucunement que les attributions et responsabilités attachées au poste de chef de projet auraient été moindres que celles qui lui étaient confiées au titre de ses fonctions à la direction du patrimoine ou que cette nomination en qualité de chef de projet aurait porté atteinte à son statut ou à sa réputation professionnelle. De même, rien n'indique que ses conditions de travail auraient été dégradées pendant qu'il a exercé ses fonctions de chef de projet. Il ne saurait davantage arguer d'un isolement professionnel, au seul motif que son changement de poste s'est accompagné d'un changement de bureau. Par ailleurs, il est constant que, dans un courriel du 16 mai 2019, le directeur général des services lui a indiqué, d'une part, que sa déclaration d'accident du travail comportait un problème de dates et lui était renvoyée et, d'autre part, que sa présence à une réunion prévue le lendemain pour annoncer les nouvelles mesures qui allaient être mises en place au sein de la direction du patrimoine, n'était pas nécessaire, tout en le laissant juge de l'opportunité d'y assister. Toutefois la teneur de ce message ne présente aucun caractère vexatoire. Enfin, s'agissant de l'interruption du versement d'une prime d'intéressement depuis 2018, aucune des pièces produites n'établit que le versement de cette prime aurait été de droit. Par suite, cette mesure n'est pas davantage un indice de malveillance. Enfin, il n'est pas contesté que les rémunérations qui ne lui ont été pas versées aux mois d'octobre et novembre 2019, ont donné lieu à un rattrapage au mois de décembre suivant.

19. Par suite, les agissements rappelés ci-dessus ne faisant pas présumer, pris dans leur ensemble ou isolément, l'existence d'un harcèlement moral, les conclusions indemnitaires présentées à ce titre par M. A... à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les autres préjudices :

20. M. A... se prévaut d'un préjudice moral résultant de l'attitude générale de l'établissement Sorbonne Université qui l'aurait conduit à présenter sa démission. Ainsi qu'il a été dit aux points 12 et 13 du présent arrêt, seules les illégalités fautives des décisions des

20 juin 2019 et 19 septembre 2019 portant affectation sur un poste de directeur de projet auprès du directeur général des services, rejetant sa demande de reconnaissance d'accident du travail et le plaçant en congé de maladie ordinaire, sont de nature à engager la responsabilité de l'établissement. Pour établir le lien direct et certain avec l'illégalité fautive de ces décisions et le préjudice moral invoqué, M. A... se prévaut de deux certificats médicaux. Si le médecin de prévention a constaté dans un certificat du 15 mai 2019 une dégradation de son état de santé lié à son activité professionnelle, ce constat médical est antérieur à toute décision de changement d'affectation ou de refus de prise en charge de son arrêt de travail au titre de la législation sur les accidents de service. Il est toutefois contemporain de l'annonce de ce changement de poste, laquelle date au plus tard du 15 mai 2019, ainsi qu'il ressort des propres écritures de l'intéressé faisant état d'un état de stress élevé à l'origine de la prescription d'un arrêt de travail. Le second certificat établi par un médecin psychiatre le 29 juin 2019 retient que M. A... a présenté un état anxio-dépressif répondant à un contexte de souffrance au travail. Toutefois, ce certificat attribue certes la dégradation de l'état de santé de l'intéressé à son changement de poste, et au refus de prise en charge de ses arrêts de travail au titre d'un accident de service mais également au contexte global de tensions de la structure de travail, et à la modification de fonctions de M. A... consécutif à la fusion engagée depuis plusieurs années entre les universités Paris IV et Paris VI. Pour autant, Il résulte ainsi de ces certificats médicaux que si de l'état de santé de M. A... n'a pas exclusivement pour origine les décisions fautives prises par l'établissement Sorbonne université, la dégradation de son état de santé présente un lien direct et certain avec son changement d'affectation et de certaines de ses modalités. Les décisions du

19 septembre 2019 l'ont privé par ailleurs de la prise en charge éventuelle de sa souffrance au travail au titre d'un accident de service. Dès lors, et dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A... en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.

Sur les conclusions d'appel incident :

21. Ainsi qu'il a été énoncé aux points 18 et 19 du présent arrêt, il ne résulte pas de l'instruction que les agissements dénoncés par M. A... soient constitutifs d'une situation de harcèlement moral. Par ailleurs, la circonstance que l'établissement Sorbonne Université ait introduit la présente requête à l'encontre du jugement de première instance, ne saurait révéler ou présumer l'existence d'une intention de nuire constitutive d'une telle situation. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que les juges de première instance ont rejeté à tort la demande indemnitaire présentée à ce titre.

Sur les intérêts :

22. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En l'absence de production de l'accusé de réception de la demande préalable adressée par M. A..., la somme qui lui est allouée portera intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2019, date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif de Paris de sa requête indemnitaire.

Sur les frais liés à l'instance :

23. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes présentées par chacune des parties au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er: Le jugement n° 1927283 du 14 mai 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions à fin d'indemnisation de M. A....

Article 2 : L'établissement Sorbonne université est condamné à verser à M. A... la somme de 5 000 euros, avec intérêts aux taux légal à compter du 19 décembre 2019.

Article 3 : La requête de l'établissement Sorbonne université est rejetée.

Article 4 : Les conclusions incidentes présentées par M. A... sont rejetées.

Article 5 : Les conclusions présentées par l'établissement Sorbonne université et par M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à l'établissement Sorbonne université.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Soyez, président,

- Mme Boizot, première conseillère,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 12 janvier 2024.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

J.-E SOYEZ

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA03986


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03986
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SOYEZ
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;21pa03986 ?
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