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10/01/2024 | FRANCE | N°22PA02922

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 10 janvier 2024, 22PA02922


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris, par deux requêtes distinctes, d'une part, d'annuler les décisions du 30 avril 2020 par lesquelles le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale lui a retiré son habilitation " secret défense " et a prononcé son licenciement, et d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 182 372,24 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de ces deux décisions.





Par un jugement n° 2009078/6-1, 2015763/6-1 du 13 mai 2022, le Tribunal adminis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris, par deux requêtes distinctes, d'une part, d'annuler les décisions du 30 avril 2020 par lesquelles le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale lui a retiré son habilitation " secret défense " et a prononcé son licenciement, et d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 182 372,24 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de ces deux décisions.

Par un jugement n° 2009078/6-1, 2015763/6-1 du 13 mai 2022, le Tribunal administratif de Paris, après avoir joint ces deux requêtes, a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 24 juin 2022, le 12 septembre 2022 et le 20 octobre 2023 M. A..., représenté par Me Clot, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2099078/6-1, 2015763/6-1 du 13 mai 2022 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 220 707,69 euros, dont 162 079,79 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le Tribunal a méconnu le principe du contradictoire en n'édictant pas de mesure d'instruction pour faire établir les griefs de l'administration ;

- le jugement est entaché d'une contradiction dans ses motifs ;

- les griefs qui fondent les décisions manquent en fait et entachent celles-ci d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision de retrait d'habilitation a été prise par l'officier de sécurité et non par l'autorité d'habilitation, ce vice de procédure le privant d'une garantie ;

- il ne pouvait être légalement privé de l'accès aux locaux et aux moyens d'exercer ses fonctions sans que soit prise une décision de suspension dans les conditions prévues par l'article 43 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat ;

- cette suspension irrégulière, ainsi que son changement d'affectation, constituent une sanction déguisée qui engage la responsabilité de l'Etat ;

- la décision de licenciement a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière faute de consultation de la commission consultative paritaire compétente ;

- il a été irrégulièrement licencié sans préavis ni indemnité ;

- le montant des pertes financières subies du fait de l'illégalité de ces décisions s'élève à 147 079, 79 euros, à parfaire, au 24 juin 2022 ;

- les décisions attaquées lui ont causé un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;

- il a droit à une indemnité de licenciement de 28 627,90 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2023 la Première ministre (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale) conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les moyens tirés de ce que le jugement serait irrégulier sont inopérants ;

- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité partielle des conclusions indemnitaires de la requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;

- l'arrêté du 22 mai 2018 relatif à l'organisation des fonctions d'administration générale du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale ;

- l'arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Clot pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... a été recruté en 2009, en qualité d'agent contractuel, pour exercer les fonctions de conseiller du C..., service à compétence nationale du Secrétariat général de la sécurité et de la défense nationale (SGDSN) rattaché au Premier ministre. Par une décision du 30 avril 2020 et un arrêté du même jour, le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, d'une part, lui a retiré son habilitation " secret défense " et, d'autre part, a prononcé son licenciement sans préavis ni indemnité. Par un jugement du 13 mai 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux décisions et à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices en résultant. M. A... fait appel de ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur la régularité du jugement :

2. S'il est loisible au juge saisi d'un litige relatif à une décision portant retrait d'une habilitation " secret défense " de prendre, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de l'instruction, toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur la légalité de cette décision, sans porter atteinte au secret de la défense nationale, il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu des éléments produits en défense quant aux motifs de la décision de retrait de l'habilitation de M. A..., que les premiers juges auraient méconnu le principe du contradictoire en s'étant abstenus de demander au SGDSN de produire plus d'éléments en ce qui concerne ces motifs.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. L'illégalité d'une décision administrative est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration à l'égard de son destinataire, ou de toute autre personne, si elle leur a, directement, causé un préjudice. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration s'il résulte de l'instruction soit que cette dernière aurait pris la même décision si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie la décision entachée d'erreur de droit.

En ce qui concerne l'existence d'une sanction déguisée :

4. Si M. A... soutient qu'il aurait fait l'objet d'une suspension irrégulière et d'une sanction déguisée du fait de la privation de certains de ses moyens de communication, de l'interdiction d'accès à certains locaux professionnels et de son affectation à des tâches ne correspondant pas à son poste ni à ses qualifications et ne mettant notamment pas en jeu le secret défense, d'une part, il n'a jamais cessé d'exercer des fonctions et n'a donc jamais été suspendu, et d'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que ces mesures conservatoires prises dans l'intérêt du service, qui n'ont été effectives que pendant la période de trois mois ayant précédé les deux décisions en litige, révèleraient une volonté de le sanctionner et, par suite, une sanction déguisée constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne le retrait de l'habilitation " secret-défense " :

5. M. A... soutient qu'il a été privé d'une garantie au motif que c'est l'officier de sécurité qui a pris la décision de retrait de l'habilitation " secret défense ", alors qu'une telle décision ressortit à l'autorité d'habilitation, ce cumul de fonctions par l'officier de sécurité ayant ainsi fait obstacle à une prise en compte de l'avis restrictif de la DGSI par l'autorité d'habilitation qui, en pareil cas, n'est pas tenue de refuser l'habilitation. Il résulte cependant des termes de l'instruction générale interministérielle n° 1300 approuvée par l'article 1er de l'arrêté du 30 novembre 2011, notamment ses articles 25 à 31, qu'à la différence de son octroi, le retrait de l'habilitation " secret-défense " prévue par le code de la défense nationale n'est pas soumis à l'obligation d'être précédé d'une enquête administrative. Par suite, M. A... ne peut utilement soutenir que l'Etat aurait commis une faute en l'ayant irrégulièrement privé des procédures dites de mise en garde et de mise en éveil prévues par l'article 25 de cette instruction pour l'instruction des demandes d'habilitation, ni qu'il aurait été irrégulièrement privé de la garantie que constitue le double regard sur son dossier par un enquêteur distinct de l'autorité habilitatrice, étant précisé que le retrait de l'habilitation a été prononcé à l'issue d'une procédure contradictoire au cours de laquelle M. A... a été invité à présenter ses observations par courrier du 19 mars 2020 auquel l'intéressé a répondu par courrier du 16 avril suivant, certes en estimant que les griefs étaient formulés en termes généraux.

6. Il résulte ensuite de l'instruction que la décision de retrait de l'habilitation " secret défense " a été prise aux motifs, d'une part, que M. A... entretenait une relation extra-conjugale secrète dont il n'était pas prêt à assumer la réalité auprès de son entourage à la date de la décision, le rendant vulnérable aux pressions ou au chantage de la part d'une puissance étrangère et, d'autre part, qu'il s'est exposé, sans en tenir suffisamment informée sa hiérarchie, de manière trop risquée vis-à vis d'une puissance étrangère et détenait des documents protégés par le secret de la défense nationale dont il n'avait pas besoin de connaître. A supposer que le premier de ces motifs ne soit pas suffisamment établi, M. A... ne conteste pas efficacement la matérialité du second en se bornant à faire valoir que sa hiérarchie avait connaissance de ses contacts avec cette puissance étrangère et avec une entreprise lui étant liée. Dans ces conditions, le SGDSN a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, considérer que la proximité de M. A... avec cette entreprise et cette puissance étrangère constituait une vulnérabilité justifiant le retrait de son habilitation à connaître des informations classifiées au niveau " secret défense ".

En ce qui concerne le licenciement :

7. Le troisième alinéa du IV de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, relatif aux enquêtes administratives, dispose que lorsque le résultat d'une enquête fait apparaître que le comportement d'un agent contractuel de droit public occupant un emploi relevant du domaine de la sécurité ou de la défense " est devenu incompatible avec l'exercice de ses fonctions, son employeur lui propose un emploi comportant l'exercice d'autres fonctions et correspondant à ses qualifications. En cas d'impossibilité de mettre en œuvre une telle mesure, en cas de refus de l'agent ou lorsque son comportement est incompatible avec l'exercice de toute autre fonction eu égard à la menace grave qu'il fait peser sur la sécurité publique, il est procédé, après mise en œuvre d'une procédure contradictoire, à son licenciement. ".

8. Dès lors qu'il est constant que l'emploi occupé par M. A... relevait du domaine de la défense, et que son licenciement a été prononcé à la suite d'une enquête administrative, ledit licenciement a été prononcé en application du troisième alinéa du IV de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure et, par suite, n'avait pas à être précédé, contrairement à ce que soutient

M. A..., de la consultation de la commission consultative paritaire prévue par les dispositions de l'article 1-2 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat.

9. Si l'article 46 du décret précité du 17 janvier 1986 dispose que l'agent recruté pour une durée indéterminée ainsi que l'agent qui, engagé par contrat à durée déterminée, est licencié avant le terme de son contrat, a droit à un préavis, l'article 45-7 du même décret précise que " L'article 46 ainsi que le titre XII ne sont pas applicables aux agents licenciés sur le fondement du troisième alinéa du IV de l'article L. 114-1 du même code. ". Il résulte par suite de ce qui est jugé au point 8 que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été illégalement privé d'un préavis. En outre, aux termes de l'article 45-3 de ce même décret : " (...) le licenciement d'un agent contractuel recruté pour répondre à un besoin permanent doit être justifié par l'un des motifs suivants : / (...) 6° L'incompatibilité du comportement de l'agent occupant un emploi participant à des missions de souveraineté de l'Etat ou relevant de la sécurité ou de la défense, avec l'exercice de ses fonctions, dans les conditions prévues au IV de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure et aux articles 45-6 et 45-7 du présent décret ".

10. Si M. A... soutient qu'il ne lui a été proposé, avant son licenciement, aucun emploi comportant l'exercice d'autres fonctions et correspondant à ses qualifications comme le prévoient les dispositions précitées du troisième alinéa du IV de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, il ne résulte pas de l'instruction que cette absence de reclassement aurait été pour lui à l'origine d'un préjudice direct et certain, alors qu'ainsi qu'il est mentionné au point 4, il a considéré que les fonctions qui, ne mettant pas en jeu le secret défense, lui avaient été confiées au début du mois de février 2020 à titre conservatoire, constituaient une sanction déguisée, et qu'au surplus son contrat d'engagement stipulait en son article 5 que le contrat est conclu sous la condition dite " suspensive ", en réalité résolutoire, de l'habilitation " secret défense " et que tout retrait d'habilitation entraînerait un licenciement sans préavis, ni indemnité.

11. Enfin, dès lors que le retrait de l'habilitation de M. A... était fondé, son licenciement pouvait légalement intervenir pour ce seul motif, en application des stipulations de l'article 5 précité de son contrat d'engagement lesquelles, contrairement à ce que soutient l'intéressé, ne sont pas entachées d'illégalité dès lors qu'elles se bornent à reprendre les dispositions du décret du 17 janvier 1986 mentionnées au point 9.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité d'une partie des conclusions indemnitaires, que le retrait d'habilitation et le licenciement de

M. A... n'étant entachés d'aucune illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat, le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à condamner l'Etat à lui verser des dommages-intérêts. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la Première ministre (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale).

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2024

La rapporteure,

P. HAMONLe président,

B. AUVRAY

La greffière,

L. CHANA

La République mande et ordonne au Premier ministre en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02922


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02922
Date de la décision : 10/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : CABINET CLOT AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-10;22pa02922 ?
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