La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/11/2023 | FRANCE | N°22PA01658

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 novembre 2023, 22PA01658


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Conseil d'Etat, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Paris par ordonnance du 15 juillet 2021, d'annuler la décision du 13 novembre 2020 par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire dans un office à créer à la résidence de Quiberon, Chantemerle-sur-la-Soie, Cognac, Olonne-sur-Mer, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Andernos-les-Bains, Arcachon, Pau, Vieux-Boucau-les-Bains, Cauterets, Saint-Jean-le-Vieux,

Poullan-sur-Mer, La Turballe, Talmont-sur-Gironde, Sainte-Marie-de-Ré o...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Conseil d'Etat, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Paris par ordonnance du 15 juillet 2021, d'annuler la décision du 13 novembre 2020 par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire dans un office à créer à la résidence de Quiberon, Chantemerle-sur-la-Soie, Cognac, Olonne-sur-Mer, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Andernos-les-Bains, Arcachon, Pau, Vieux-Boucau-les-Bains, Cauterets, Saint-Jean-le-Vieux, Poullan-sur-Mer, La Turballe, Talmont-sur-Gironde, Sainte-Marie-de-Ré ou Tonnay-Boutonne, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 2 février 2021.

Par une ordonnance n° 2115695/6-2 du 26 août 2021, la vice-présidente de la 6ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire additionnel enregistrés les 11 avril 2022 et 24 juillet 2022, M. B... représentée par Me Icard, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2115695 du 26 août 2021 de la vice-présidente de la 6ème section du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 13 novembre 2020 du garde des Sceaux, ministre de la justice ;

3°) d'enjoindre au garde des Sceaux, ministre de la justice de procéder au réexamen de sa demande sous astreinte de cinq cents euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ses recours en première instance et en appel sont recevables ;

- l'ordonnance attaquée est irrégulière, ne pouvait être prise au motif que sa demande était irrecevable, dès lors qu'une demande de régularisation aurait dû lui être adressée et qu'il a pu valablement motiver sa demande par référence à la lettre adressée le 5 octobre 2020 ;

- la décision attaquée est entachée d'une inexacte qualification juridique de sa situation dès lors qu'il remplit les critères d'honorabilité exigés par l'article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- elle est également entachée d'une erreur de fait ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le ministre de la justice ne pouvait pas porter une appréciation entre les demandeurs remplissant les conditions générales d'aptitude, lesquels disposent, en vertu de la loi, d'un égal droit à être nommé.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 octobre 2022, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient, à titre principal, que l'ordonnance attaquée est régulière et, à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 12 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 octobre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jayer,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui sut :

1. Le 1er février 2019, à la suite de la publication par un arrêté du 3 décembre 2018 du garde des Sceaux, ministre de la justice d'une carte d'offices de notaires créés, M. B... a candidaté en vue de sa nomination dans l'un de seize d'entre eux. Sa candidature aux fins de nomination en qualité de titulaire de l'office notarial créé à la résidence de Rochefort a été tirée au sort en rang utile. Le 28 août 2020, le chef du bureau de gestion des officiers ministériels de la direction des affaires civiles et du sceau l'a informé qu'une décision de rejet de sa candidature était envisagée compte tenu de son comportement au sein d'un autre office ayant donné lieu à un jugement du 5 février 2013 du tribunal de grande instance de Saintes confirmé par un arrêt du 20 février 2014 de la cour d'appel de Poitiers, faisant état de manquements répétés de sa part à ses obligations professionnelles, révélant son inaptitude à exercer de façon normale ses fonctions et portant atteinte aux intérêts de ses clients. Un manquement à l'obligation d'honorabilité exigée par l'article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire a été, en outre, regardé comme caractérisé et comme faisant obstacle à sa nomination en qualité de titulaire d'un office notarial. Invité à présenter des observations, M. B... a adressé un courrier au bureau de gestion des officiers ministériels le 5 octobre suivant. Le 13 novembre 2020, ses demandes de nomination ont été rejetées par le garde des Sceaux, ministre de la justice. Le recours gracieux dirigé contre ce refus ayant été implicitement rejeté, M. B... a saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'annulation des décisions du 13 novembre 2020 et portant rejet de recours gracieux. Cette demande a été transmise au tribunal administratif de Paris par ordonnance du 15 juillet 2021 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat. M. B... relève appel de l'ordonnance du 26 août 2021 par laquelle la vice-présidente de la 6ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme irrecevable.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; / (...) 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à

leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. ". Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. Les dispositions du 7° de l'article R. 222-1 précité permettent ainsi le rejet par ordonnance, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé après la production de ce mémoire, des requêtes qui, bien qu'assorties, avant l'expiration du délai de recours, d'un ou plusieurs moyens, ne peuvent qu'être rejetées, dès lors qu'il est manifeste qu'aucun des moyens qu'elles comportent n'est assorti des précisions permettant au juge d'en apprécier le bien-fondé. Une ordonnance rejetant une requête sur ce fondement, à la différence d'une ordonnance prise en vertu de l'article R. 411-1, la rejette comme non fondée et non comme irrecevable.

4. Il ressort des pièces du dossier que la requête adressée par le requérant au tribunal renvoyait aux observations de l'intéressé du 5 octobre 2020 faisant état de ce qu'il n'avait pas été sanctionné, de ce que les juges judiciaires avaient relevé son honnêteté et sa compétence mais nul manquement de sa part à ses obligations d'honneur et de probité. Toutefois, un requérant ne pouvant utilement critiquer une décision administrative en se bornant à renvoyer le juge aux écritures qu'il a présentées lors de la procédure contradictoire préalable à son adoption, une telle argumentation était inopérante ainsi que l'a d'ailleurs relevé le premier juge. Cependant, dès lors qu'une argumentation, même inopérante, était invoquée, la requête ne pouvait être regardée comme ne contenant l'exposé d'aucun moyen et, dès lors, irrecevable. Par suite, si la vice-présidente de la 6ème section du tribunal administratif de Paris aurait pu rejeter la requête, comme non fondée, sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, elle ne pouvait la rejeter comme irrecevable, sur celui du 4° du même article. Par suite, le requérant est, pour ce motif, fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

5. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande de M. B....

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

6. Il ressort des pièces du dossier, qu'en cause d'appel, au soutien de ses conclusions aux fins d'annulation de la décision litigieuse, M. B... invoque, en les assortissant désormais de précisons suffisantes, les moyens tirés de l'erreur de fait, de l'erreur de droit et de l'inexacte qualification juridique de sa situation au regard des critères d'honorabilité exigés par l'article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973.

7. Aux termes de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I. - Les notaires (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. / Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de

l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce. (...) / A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices de notaire (...) apparaît utile. / (...) / II. Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité de notaire (...), le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire (...) créé. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa. ". Il résulte de ces dispositions qu'un notaire dont la candidature à nomination en tant que titulaire dans un office créé a été retenue conformément aux dispositions du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels, dispose d'un droit à être nommé, sous réserve de souscrire aux conditions tenant notamment à l'honorabilité.

8. Aux termes de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire : " Nul ne peut être nommé notaire s'il ne remplit les conditions suivantes : (...) 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 49 du même décret : " Peuvent demander leur nomination sur un office à créer les personnes qui remplissent les conditions générales d'aptitude aux fonctions de notaire ".

9. Lorsqu'il vérifie le respect, par un candidat à nomination en qualité de titulaire d'un office notarial, de la condition tenant au fait de n'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité, il appartient ainsi au ministre de la justice d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination.

10. Il ressort des pièces du dossier qu'une procédure aux fins de démission d'office de M. B..., alors unique associé d'une société titulaire d'un office de notaire, a été mise en œuvre par le garde des Sceaux, ministre de la justice à compter du 17 octobre 2014. Cette procédure a été diligentée en conséquence d'un jugement du 5 février 2013, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 20 février 2014, par lequel le tribunal de grande instance de Saintes, se fondant notamment sur un rapport d'inspection de la chambre des notaires de la Charente-Maritime pour l'année 2012, a constaté l'inaptitude de l'officier public ministériel à assurer l'exercice normal de ses fonctions. La matérialité des faits opposés à l'intéressé par le garde des Sceaux, ministre de la justice avait également été regardée comme établie par la cour d'appel de Poitiers dans un précédent arrêt du 4 juillet 2013. Il résulte notamment de ces décisions du juge judiciaire qu'en percevant de manière injustifiée des émoluments de formalités et d'honoraires, en ne respectant pas des règles concernant l'exécution de formalités de dépôts des actes à la conservation des hypothèques -service de publicité foncière- à l'enregistrement, en étant déficient dans la gestion des comptes clients créditeurs et en ayant donné des procurations à son épouse au mépris des règles légales d'interdiction d'instrumenter, M. B... a manqué à ses obligations professionnelles et a porté atteinte aux intérêts de ses clients en conduisant son étude en état virtuel de cessation de paiement. Des comptes rendus d'inspection ont par ailleurs révélé que plus d'une centaine de clients de l'étude s'était plainte auprès des instances ordinales de carences et de manque de diligence de la part de M. B... dans le règlement de successions, avec parfois pour conséquence des pénalités infligées aux clients de l'étude par l'administration fiscale. De tels manquements ont perduré. Il résulte ainsi clairement des pièces du dossier que, si la procédure de démission d'office initiée fin

2014 n'a pas abouti, c'est au seul motif que dans ce contexte, le requérant avait demandé au garde des Sceaux son retrait de la société titulaire de l'office au sein duquel il exerçait, retrait qui a été accepté par arrêté du 25 novembre 2015. Il s'en infère que, M. B... pouvait être regardé comme ne présentant plus les garanties d'aptitude nécessaires au fonctionnement normal d'un office de notaire et ayant manqué à ses obligations professionnelles et déontologiques d'honneur et de probité, ce quand bien même aucune sanction disciplinaire n'a en définitive prononcée. Dès lors, c'est sans commettre d'erreur de fait, de droit, de qualification juridique et d'appréciation des faits que le garde des Sceaux, ministre de la justice a refusé de le nommer dans l'office créé à la résidence de Rochefort.

11. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 13 novembre 2020 du garde des Sceaux, ministre de la justice. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles portant sur les frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2115695 du 26 août 2021 de la vice-présidente de la 6ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des Sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Menasseyre, présidente,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2023.

La rapporteure,

M-D JAYERLa présidente,

A. MENASSEYRE

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA01658


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01658
Date de la décision : 20/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : ICARD

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-11-20;22pa01658 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award