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20/11/2023 | FRANCE | N°22PA00292

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 novembre 2023, 22PA00292


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... et Mme B... F... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à leur verser la somme de 5 000 euros et de 15 000 euros chacune au titre de l'indemnisation de leur préjudice moral et d'affection, de 8 263,06 euros au titre des frais funéraires et de 3 000 euros au titre des souffrances endurées par Mme A... C... du fait de sa prise en charge par les services de l'hôpital Sainte-Périne.

Par jugement n° 2102908/6-3 du 19 nov

embre 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... et Mme B... F... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à leur verser la somme de 5 000 euros et de 15 000 euros chacune au titre de l'indemnisation de leur préjudice moral et d'affection, de 8 263,06 euros au titre des frais funéraires et de 3 000 euros au titre des souffrances endurées par Mme A... C... du fait de sa prise en charge par les services de l'hôpital Sainte-Périne.

Par jugement n° 2102908/6-3 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à Mme D... et à Mme F... la somme totale de 5 653 euros en réparation des préjudices subis par leur mère et la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 19 janvier et 20 juin 2022, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2102908 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la requête de première instance de Mme D... et Mme F....

Elle soutient que :

- le lien de causalité entre l'irrégularité de l'alimentation de la patiente durant la période de confinement et le décès de Mme C... n'est pas établi ;

- son état de santé était très précaire et son état physique a pu se dégrader du seul fait du retentissement psychique lié à la circonstance qu'à compter du début du confinement, elle n'a plus vu aucun membre de sa famille ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que sa responsabilité était engagée alors que le personnel du service ne pouvait nullement pallier l'impossibilité pour les proches de Mme C... de continuer à apporter à celle-ci des repas qu'elle affectionnait, ni se substituer à eux pour obtenir de la patiente qu'elle s'alimente correctement ;

- les établissements de santé se sont trouvés confrontés à une situation exceptionnelle avec la crise sanitaire due au coronavirus, qui a impliqué une adaptabilité et une très forte mobilisation des soignants et la suspension des visites imposée à compter du 11 mars 2020 par le gouvernement durant la première vague de pandémie ce qui a eu un retentissement sur les patients mais il serait injuste d'en faire supporter les conséquences néfastes sur le service public hospitalier.

Par ordonnance du 7 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 juin 2022.

Par une ordonnance du 22 juin 2022, le report de la clôture d'instruction a été fixée au 9 septembre 2022.

Par un courrier du 14 mars 2023, Mme D... et Mme F... ont été mises en demeure de produire des observations en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., née le 6 décembre 1933, a été hospitalisée à partir du 27 juillet 2018 en unité de soins de longue durée au sein de l'hôpital Sainte-Périne, dépendant de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris en raison d'une perte d'autonomie due à une maladie de Parkinson évoluée avec dénutrition sévère. Une prise en charge diététique a été mise en place, permettant à la patiente de reprendre plus de cinq kilos durant son séjour dans cet établissement. Mme C... est décédée le 5 avril 2020, soit pendant la période du premier confinement lié à la pandémie de covid 19. Par courrier du 14 octobre 2020, Mme D... et Mme F..., filles de Mme C..., ont adressé une demande préalable d'indemnisation à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) laquelle leur a opposé une décision implicite de rejet. Par jugement n°2102908 du 19 novembre 2021, dont l'AP-HP relève appel, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à Mme D... et à Mme F..., conjointement, la somme totale de 5 653 euros en réparation des préjudices résultant tant pour leur mère que pour elles-mêmes de la désorganisation fautive du service et la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2. Aux termes des dispositions l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

3. Il résulte de l'instruction que Mme C..., âgée de 86 ans au moment de son décès, était prise en charge depuis 20 mois au sein de l'établissement de santé Sainte-Périne et que, alors qu'elle avait un poids de 41,9 kilogrammes à son arrivée au sein de l'hôpital, dans un contexte de perte d'autonomie sur maladie de Parkinson évoluée avec troubles cognitifs et dénutrition sévères et troubles de la déglutition, le dernier relevé de poids effectué le 4 mars 2020 atteignait 46,40 kilogrammes. Son décès le 5 avril 2020 a été considéré comme étant survenu " sans pathologie intercurrente notable ". Par ailleurs, il ressort du compte-rendu d'hospitalisation que son entourage assurait une présence quasi quotidienne à ses côtés notamment autour des repas pour l'accompagner dans son alimentation et que durant la période de confinement et d'interdiction des visites, Mme D... a continué à apporter pour sa mère des déjeuners qu'elle déposait à l'accueil. Si l'hôpital Sainte-Périne indique que " la prise alimentaire était irrégulière " il précise avoir essayé de suppléer à la présence de la fille de Mme C... pendant les repas, et des contacts téléphoniques ont été organisés avec sa fille pour essayer de pallier l'absence de visites. Le compte-rendu ajoute que si le processus médical ayant conduit au décès de Mme C... n'a pas été clairement identifié, il est retenu qu'il est " très vraisemblable que le contexte inédit pour tous de l'épidémie et de la suspension des visites à l'hôpital, a eu un retentissement tant sur l'état de santé physique et psychique de Mme C..., que sur la disponibilité des équipes à reconsidérer sa prise en charge dans ce contexte ". Il ressort toutefois du même compte-rendu que le décès s'inscrit dans un processus pathologique caractérisé par une maladie de Parkinson très évoluée avec un état grabataire, une dénutrition sévère et des difficultés d'alimentation très importante, et qu'il ne saurait être exclu qu'une infection à covid asymptomatique ait eu lieu dans les jours précédant le décès.

4. Au vu de ces éléments, et alors que la cause du décès de Mme C... n'est pas établie, la seule circonstance qu'il soit survenu dans le mois qui a suivi les mesures de confinement interdisant le déplacement de toute personne hors de son domicile ne saurait suffire à démontrer qu'il serait imputable à une carence dans la prise en charge de la patiente par l'établissement hospitalier. Si les pièces du dossier font apparaître que l'accompagnement quotidien que ses filles assuraient auprès de Mme C... au moment de la prise de repas était devenu impossible du fait de ces mesures, et que cette rupture a inévitablement été préjudiciable à l'intéressée, ces éléments ne permettent pas de caractériser l'existence d'une faute qui aurait été commise dans l'organisation du service de l'hôpital Sainte-Périne et qui pourrait être regardée comme étant à l'origine du décès de Mme C... survenu le 5 avril 2020, alors que les établissements de santé devaient faire face à une situation exceptionnelle et inédite, sollicitant l'adaptabilité et une très forte mobilisation des soignants.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité de jugement, que l'AP-HP est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, elle a été condamnée à verser à Mme D... et à Mme F... la somme totale de 5 653 euros en réparation des préjudices subis par leur mère et la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il s'ensuit que, d'une part, le jugement attaqué doit être annulé et, d'autre part, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel les conclusions indemnitaires de Mme E... D... et Mme B... F... présentées en première instance doivent être rejetées en l'absence de faute établie dans la prise en charge, par les services de l'hôpital Sainte-Périne, de leur mère, Mme C..., de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2102908 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentées par Mme D... et Mme F... devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, à Mme E... D... et à Mme B... F....

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2023.

La rapporteure,

A. COLLET La présidente,

A. MENASSEYRE

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA00292


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00292
Date de la décision : 20/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TSOUDEROS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-11-20;22pa00292 ?
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