Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par un jugement n° 1803723 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Montreuil, saisi par Mme C... A..., épouse B..., a, notamment mis à la charge de l'État le versement au conseil de cette dernière, Me Jean-Emmanuel Nunes, d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Me Jean-Emmanuel Nunes a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'enjoindre à l'autorité compétente de prendre les mesures qu'implique l'exécution de ce jugement en lui versant la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les intérêts y afférents, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard.
Par une ordonnance du 2 avril 2021, le président du tribunal administratif de Montreuil a décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle en application de l'article R. 921-6 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2109297 du 24 mars 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 mars 2023, Me Jean-Emmanuel Nunes demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2109297 du 24 mars 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision implicite du préfet de la Seine Saint-Denis refusant d'exécuter le jugement n° 1803723 du 20 juin 2019 du tribunal administratif de Montreuil ;
3°) de condamner l'État à verser la somme de 1 500 euros, et les intérêts y afférents, à Me Jean Emmanuel Nunes, sous une astreinte définitive de 100 euros par jour de retard.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, et a été rendu en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dès lors que des pièces produites n'ont pas été transmises à la partie défenderesse ni prises en compte par la juridiction ;
- le comptable assignataire a été effectivement saisi d'une demande de paiement et n'y a pas donné suite ;
- le préfet de Seine-Saint-Denis ne peut légalement exiger la production d'un relevé d'identité bancaire afférent au compte de son conseil à la caisse des règlements pécuniaires des avocats, alors qu'un tel compte ne peut recevoir que des fonds destinés à être remis aux seuls clients d'un avocat, et en aucun cas des fonds ayant vocation à rémunérer directement ce dernier en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
La requête a été communiquée au préfet de Seine-Saint-Denis, qui n'a pas présenté d'observations en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Par ordonnance du 12 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 août 2023 à 12 heures.
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;
- la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;
- l'arrêté du 5 juil. 1996 fixant les règles applicables aux dépôts et maniements des fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients ;
- le code de justice administrative.
Vu le jugement n° 1803723 du 20 juin 2019 du tribunal administratif de Montreuil.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- et les conclusions de M. Doré, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement n° 1803723 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'État à verser à Me Jean-Emmanuel Nunes, conseil de Mme A... épouse B..., une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Les diligences accomplies auprès de l'administration en vue d'obtenir l'exécution du jugement n'ayant pas abouti, une phase juridictionnelle a été ouverte par une ordonnance du premier vice-président du tribunal du 2 avril 2021.
2. Eu égard au droit propre reconnu à l'avocat auquel la juridiction a accordé le versement d'une somme sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'intéressé peut saisir lui-même le juge administratif, dans le cadre du livre IX du code de justice administrative, aux fins d'obtenir l'exécution de la décision juridictionnelle dont s'agit. Ainsi qu'en dispose le dernier alinéa de l'article R. 811-7 du code de justice administrative : " Les demandes d'exécution d'un arrêt de la cour administrative d'appel ou d'un jugement rendu par un tribunal administratif situé dans le ressort de la cour et frappé d'appel devant celle-ci sont dispensées de ministère d'avocat. ".
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Me Nunes soutient que le jugement attaqué est irrégulier, et a été rendu en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dès lors que des pièces produites n'ont pas été transmises à la partie défenderesse ni prises en compte par la juridiction.
4. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la demande de première instance, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montreuil le 20 septembre 2020, était accompagnée d'un bordereau qui se limite à mentionner deux pièces jointes, lesquelles ne correspondent pas aux documents dont il est allégué qu'ils auraient été produits à l'instance. " L'historique de Télérecours " invoqué dans la requête et sensé établir cette allégation n'est pas produit devant la Cour. Il s'ensuit que le moyen manque en tout état de cause en fait et ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution. Toutefois, en cas d'inexécution d'un jugement frappé d'appel, la demande d'exécution est adressée à la juridiction d'appel. Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte. / (...) ". Aux termes de l'article R. 921-5 du même code : " Le président (...) du tribunal administratif saisi d'une demande d'exécution sur le fondement de l'article L. 911-4, ou le rapporteur désigné à cette fin, accomplissent toutes diligences qu'ils jugent utiles pour assurer l'exécution de la décision juridictionnelle qui fait l'objet de la demande (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 921-6 de ce code : " Dans le cas où le président estime nécessaire de prescrire des mesures d'exécution par voie juridictionnelle (...) le président (...) du tribunal ouvre par ordonnance une procédure juridictionnelle (...). L'affaire est instruite et jugée d'urgence. ".
6. Toutefois, d'autre part, aux termes de l'article L. 911-9 du code de justice administrative : " Lorsqu'une décision passée en force de chose jugée a prononcé la condamnation d'une personne publique au paiement d'une somme d'argent dont elle a fixé le montant, les dispositions de l'article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, ci-après reproduites, sont applicables : " Art. 1er. - I. Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l'État au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. / À défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement." ".
7. Il résulte de ces dispositions législatives, reprises à l'article L. 911-9 du code de justice administrative, qu'il appartient au requérant, en l'absence d'ordonnancement de la somme d'argent qu'une personne publique a été condamnée à lui verser par une décision passée en force de chose jugée, constatée à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la décision de justice, de saisir le comptable assignataire de la dépense afin qu'il procède au paiement de cette somme. Dès lors que ces dispositions permettent à la partie gagnante, en cas d'inexécution d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, d'obtenir du comptable public assignataire le paiement de la somme que l'État est condamné à lui verser à défaut d'ordonnancement dans le délai prescrit, il n'y a, en principe, pas lieu de faire droit à une demande tendant à ce que le juge prenne des mesures pour assurer l'exécution de cette décision. Il en va toutefois différemment lorsque le comptable public assignataire, bien qu'il y soit tenu, refuse de procéder au paiement.
8. Me Nunes produit, pour la première fois en appel, sa demande, adressée au directeur régional des finances publiques le 13 décembre 2019, afférente au règlement de la somme à lui due, au titre du jugement n° 1803723 du 20 juin 2019 du tribunal administratif de Montreuil, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, qui n'a reçu aucune réponse et dont est ainsi née une décision implicite de rejet. Dans ces conditions, l'intéressée établit que le comptable public assignataire, dûment saisi à cette fin, a implicitement refusé de procéder au paiement auquel il était tenu. Il suit de là que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande au motif que l'intéressé, qui pouvait obtenir le mandatement d'office de la somme due en saisissant le comptable assignataire de la dépense afin qu'il procède au paiement de cette somme, n'établit pas qu'il aurait effectué une telle demande. Le jugement attaqué doit ainsi être annulé.
9. En second lieu, et en tout état de cause, il résulte des dispositions combinées de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, des articles 240 et 241 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et des articles 8, 12 et 13 de l'arrêté du 5 juillet 1996 fixant les règles applicables aux dépôts et maniements des fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients, que la caisse des règlements pécuniaires des avocats ne peut être destinataire que des fonds reçus par les avocats pour le compte de leurs clients et destinés à leur être remis, et non des fonds à verser directement à l'avocat en application, notamment, de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dès lors que, comme en l'espèce, les sommes dues à Me Nunes en application du jugement du 20 juin 2019 du tribunal administratif de Montreuil n'ont pas vocation à être remises à un client de l'intéressé, le préfet de Seine-Saint-Denis ne pouvait légalement subordonner leur versement à la production d'un relevé d'identité bancaire afférent au compte ouvert à la caisse des règlements pécuniaires des avocats.
10. À la date du présent arrêt, le préfet de Seine-Saint-Denis n'a pas pris de mesures propres à assurer l'exécution du jugement n° 1803723 du 20 juin 2019. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer à l'encontre de l'État, à défaut pour lui de justifier de cette exécution dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 100 euros par jour jusqu'à la date à laquelle le jugement précité aura reçu exécution.
11. Par ailleurs, aux termes de l'article 1153-1 du code civil : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. (...) " ; ainsi, alors même que le jugement du 20 juin 2019 ne l'a pas prévu explicitement, la somme de 1 500 euros allouée au titre des frais non compris dans les dépens en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 est productive d'intérêts.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2109297 du 24 mars 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : Une astreinte est prononcée à l'encontre de l'État (ministère de l'intérieur et des Outre-mer) s'il ne justifie pas avoir, à compter de l'expiration d'un délai de trois mois suivant la notification de la présente décision, exécuté le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1803723 du 20 juin 2019, et jusqu'à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 100 euros par jour.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me Jean-Emmanuel Nunes et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de Seine-Saint-Denis et au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 novembre 2023.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01244