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16/11/2023 | FRANCE | N°22PA05419

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 16 novembre 2023, 22PA05419


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2022 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a décidé de son transfert aux autorités bulgares, d'enjoindre à ce préfet d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat le v

ersement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2022 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a décidé de son transfert aux autorités bulgares, d'enjoindre à ce préfet d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2222702/8 du 23 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 18 octobre 2022, a enjoint au préfet des Hauts-de-Seine de réexaminer la situation de M. B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 100 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 21 décembre 2022 et le 12 janvier 2023, le préfet des Hauts-de-Seine demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2222702/8 du 23 novembre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la requête présentée par M. B... en première instance.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit, au regard des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la décision contestée a été signée par une autorité compétente ;

- elle est suffisamment motivée ;

- la situation de l'intéressé a été examinée de manière complète ;

- la procédure de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 a été respectée, car l'entretien individuel a été réalisé avec un interprète en langue pachtou, que le requérant a déclaré comprendre et le résumé de cet entretien lui a été remis ;

- le principe du contradictoire a été respecté, car le requérant a pu formuler des observations avant l'édiction de la mesure ;

- les dispositions des articles 24 et 25 de ce règlement n'ont pas été méconnues, car les autorités bulgares ont tacitement accepté leur responsabilité et ont été informées de cette acceptation ;

- le moyen tiré de la violation de l'article 26 du même règlement est inopérant, car les irrégularités qui affectent la notification de cette décision sont sans incidence de celle-ci ;

- il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- la décision litigieuse n'a pas été prise en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que le requérant n'établit pas qu'elle l'exposerait à un risque personnel de traitement inhumain et dégradant ;

- cette décision ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2023, M. B..., représenté par Me Parfundi, demande à la Cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) de rejeter la requête présentée par le préfet des Hauts-de-Seine ;

3°) de confirmer le jugement n° 2222702/8 du 23 novembre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros, en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le jugement attaqué est bien fondé ;

- la décision litigieuse est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des défaillances systémiques des autorités bulgares dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, prévues à l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- cette décision a été prise en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au regard du risque de traitements inhumains ou dégradants encouru par le requérant en cas de transfert ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 avril 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris.

Par une lettre du 9 octobre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'existence d'un éventuel non-lieu à statuer sur les recours du préfet des Hauts-de-Seine, dans la mesure où l'arrêté de transfert de M. B... en date du 18 octobre 2022 n'est plus susceptible d'exécution à l'expiration d'un délai de six mois ayant couru à compter de la notification du jugement du tribunal administratif de Paris du 23 novembre 2022 au préfet des Hauts-de-Seine.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Jasmin-Sverdlin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant afghan, né le 10 juin 1992 est entré irrégulièrement en France et y a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 2 septembre 2022. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités bulgares le 30 juin 2022, le préfet des Hauts-de-Seine a adressé à ces autorités une demande de reprise en charge de M. B... en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités bulgares ont acceptée. Le préfet des Hauts-de-Seine a décidé du transfert de M. B... aux autorités bulgares par un arrêté du 18 octobre 2022, lequel a été annulé par un jugement du 23 novembre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris. Le préfet des Hauts-de-Seine fait appel de ce jugement.

Sur les conclusions tendant à l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision du 17 avril 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. En conséquence, il n'y a pas lieu de se prononcer sur les conclusions présentées par ce dernier tendant à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer : " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) / Lorsqu'une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 est notifiée avec la décision de transfert, l'étranger peut, dans les quarante-huit heures suivant leur notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de transfert et de la décision d'assignation à résidence. Le président du tribunal administratif statue dans un délai de quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours (...) ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, a été notifié à l'administration, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

6. Si le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 a été interrompu par l'introduction, par M. B..., d'un recours contre l'arrêté du 18 octobre 2022, un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter de la notification au préfet des Hauts-de-Seine le 23 novembre 2022, du jugement du même jour rendu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce délai aurait été prolongé, en application du paragraphe 2 de l'article 29, en raison de l'emprisonnement ou de la fuite de l'intéressé, ou que la décision de transfert aurait été exécutée à la date d'expiration de ce délai de six mois. Dès lors, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection internationale de M. B....

7. Par suite, la requête du préfet des Hauts-de-Seine tendant à l'annulation du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 18 octobre 2022 décidant le transfert de M. B... aux autorités bulgares est devenue sans objet. Dès lors, il n'y a pas lieu d'y statuer.

8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. B... tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme qu'il demande sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet des Hauts-de-Seine tendant à l'annulation du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris du 23 novembre 2022.

Article 2 : Il n'y a pas lieu à statuer sur les conclusions de M. B... tendant à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 novembre 2023.

La rapporteure,

I. JASMIN-SVERDLINLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA05419 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22PA05419
Date de la décision : 16/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Irène JASMIN-SVERDLIN
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : ANGLADE et PAFUNDI A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-11-16;22pa05419 ?
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