Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite du 18 avril 2019 et la décision du 21 septembre 2021 par lesquelles le ministre de l'intérieur a refusé d'abroger son arrêté d'expulsion du 4 octobre 1994, et d'enjoindre à ce ministre de d'abroger cet arrêté d'expulsion et de lui délivrer un visa de retour et un titre de séjour mention " vie privée et familiale " à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1913537 du 19 décembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 11 janvier 2022, des mémoires enregistrés les 8 septembre 2022 et 12 juin 2023, une pièce enregistrée le 15 juin 2023, et un mémoire récapitulatif produit le 7 juillet 2023 après l'invitation prévue par l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, M. B... A... représenté par Me Iclek, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures résultant de son mémoire récapitulatif :
1°) d'annuler le jugement n° 1913537 du 19 décembre 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision implicite du 18 avril 2019 et la décision du 21 septembre 2021 par lesquelles le ministre de l'intérieur a refusé d'abroger son arrêté d'expulsion du 4 octobre 1994 ;
3°) d'enjoindre à ce ministre d'abroger cet arrêté d'expulsion, et de lui délivrer un visa de retour et un titre de séjour mention " vie privée et familiale " à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Il soutient que :
- la décision litigieuse est insuffisamment motivée ;
- le ministre de l'intérieur n'a pas examiné la situation personnelle du requérant ;
- la procédure est irrégulière au regard des dispositions de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que la commission d'expulsion a été saisie tardivement et sans qu'il ait été informé qu'il était susceptible de bénéficier de l'aide juridictionnelle ;
- la décision litigieuse méconnait l'article L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en l'absence d'une menace grave pour l'ordre public de nature à justifier le rejet de la demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion et alors qu'il présente des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale en Algérie ou en France ;
- la décision litigieuse méconnait les stipulations de l'article 8 Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juin 2023, le ministre de l'intérieur et des Outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une décision du 17 mai 2022, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, a admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- et les conclusions de M. Doré, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 6 octobre 1967 et de nationalité algérienne, est entré régulièrement sur le territoire français en 1971. Il a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion du 4 octobre 1994, et en a demandé l'abrogation à plusieurs reprises. Par un jugement du 12 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de rejet de sa demande, en date du 10 mars 2017, d'abrogation dudit arrêté et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer cette demande dans un délai de trois mois. Par une décision du 18 avril 2019, le ministre de l'intérieur a, implicitement, refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion puis, par une décision du 15 octobre 2020, contestée durant le cours de la première instance, il a procédé au retrait de cette décision et a repris l'examen de la situation de M. A.... En l'absence de décision expresse de rejet, une nouvelle décision implicite de rejet de la demande du requérant est née au plus tard le 23 août 2021, laquelle a ensuite été confirmée par une décision expresse du 21 septembre 2021. Les premiers juges ont à bon droit considéré que M. A... doit être regardé comme demandant tant l'annulation de la décision de retrait du 15 octobre 2020 que du refus exprès d'abrogation qui lui a été opposé le 21 septembre 2021.
2. Aux termes de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au présent litige : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article L. 522-1, devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter. ". L'article L. 524-2 du même code dispose que : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 524-1, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de l'arrêté. L'étranger peut présenter des observations écrites. / À défaut de notification à l'intéressé d'une décision explicite d'abrogation dans un délai de deux mois, ce réexamen est réputé avoir conduit à une décision implicite de ne pas abroger. Cette décision est susceptible de recours. Le réexamen ne donne pas lieu à consultation de la commission prévue à l'article L. 522-1 ". Aux termes de l'article L. 524-3 dudit code : " Il ne peut être fait droit à une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion présentée plus de deux mois après la notification de cet arrêté que si le ressortissant étranger réside hors de France. / (...) ". L'article R. 524-1 de ce code dispose en outre que : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé par l'autorité qui l'a pris. L'abrogation d'un arrêté d'expulsion pris, avant l'entrée en vigueur du décret n° 97-24 du 13 janvier 1997, par le ministre de l'intérieur, sur le fondement des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, désormais codifiées à l'article L. 521-1, et après accomplissement des formalités prévues par les dispositions de l'article 24 de la même ordonnance, désormais codifiées à l'article L. 522-1, relève de la compétence du préfet du département dans le ressort duquel l'étranger avait sa résidence à la date de l'arrêté d'expulsion. À Paris, le préfet compétent est le préfet de police. " et, en vertu de l'article R. 524-2 du même code, le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion vaut décision de rejet.
3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public sont de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée.
4. En premier lieu, et comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, la décision de refus d'abrogation du 21 septembre 2021 mentionne les éléments de fait et de droit sur lesquels elle est fondée ; elle est donc suffisamment motivée. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit donc être écarté comme manquant en fait.
5. En deuxième lieu, et comme l'ont également relevé à bon droit les premiers juges, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n'a pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de l'intéressé. Le moyen tiré du défaut d'examen de la situation du requérant doit donc également être écarté comme manquant en fait.
6. En troisième lieu, et comme l'ont aussi relevé à bon droit les premiers juges, d'une part, il ressort des pièces du dossier que la commission d'expulsion, réunie le 4 mars 2021 a rendu un avis défavorable à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 4 octobre 1994 et, d'autre part, la circonstance que l'administration n'a pas respecté le délai de trois mois qui lui était imparti pour statuer sur la demande en vertu des dispositions, alors applicables, de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2 est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; enfin, si le requérant soutient qu'il n'aurait pas été informé de pouvoir bénéficier de l'aide juridictionnelle dans le cadre de la procédure devant la commission d'expulsion, cette allégation est démentie par le bulletin, en date du 16 février 2021, de convocation à la réunion de cette instance prévue pour le 4 mars suivant, qui comporte expressément la mention de la possibilité de bénéficier de cette aide. Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant la commission d'expulsion doit donc être écarté dans ses différentes branches.
7. En quatrième lieu, M. A..., entré régulièrement sur le territoire français en 1971 à l'âge de quatre ans, a fait l'objet de plusieurs condamnations pénales entre 1988 et 1992 pour des faits d'usage de stupéfiants, de recel d'objet enlevé, détourné ou obtenu à l'aide d'un crime ou d'un délit, de vol, de refus, par un conducteur d'un véhicule, d'obtempérer à une sommation de s'arrêter et contrefaçon ou falsification d'un document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité, et pour vol avec violence en récidive et attentat à la pudeur commis avec violence ou surprise, pour un quantum total de peines de neuf ans et dix mois d'emprisonnement ; il a en outre été condamné le 29 janvier 1996 à trois mois d'emprisonnement pour soustraction à l'exécution d'un arrêté d'expulsion. Si le requérant n'a pas fait l'objet ultérieurement de condamnations en Algérie, il ressort des pièces du dossier qu'il ne présente aucune garantie de réinsertion professionnelle ou sociale en France, dès lors qu'il ne justifie d'aucun élément démontrant qu'il y exercerait une quelconque activité professionnelle. Dans ces conditions, en dépit de l'ancienneté des faits à l'origine de l'expulsion, qui révèlent néanmoins la réitération d'infractions répétées et de gravité croissante, la menace pour l'ordre public que la présence de l'intéressé en France est susceptible de constituer n'a pas diminué. Ainsi, et comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, le ministre n'a pas commis d'erreur d'appréciation en refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion.
8. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. D'une part, Il ressort des pièces du dossier que M. A... est arrivé d'Algérie à l'âge de quatre ans en France où il a vécu jusqu'à son expulsion en 1996, avant de s'établir de nouveau en Algérie où il s'est marié en 2000 et a eu un enfant en 2002. S'il ressort des pièces du dossier que le requérant a en France huit frères et sœurs de nationalité française ou disposant d'un titre de séjour en France, sa vie familiale peut se poursuivre en Algérie avec son épouse et son enfant. Dans ces conditions, en prononçant une mesure d'expulsion à son encontre, le ministre de l'intérieur n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant au regard des buts en vue desquels la décision attaquée a été prise.
10. D'autre part, et en tout état de cause, la persistance de la menace contre l'ordre public susceptible de résulter de la présence en France de l'intéressé est de nature, en application du second alinéa de l'article 8 précité de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, à fonder la décision de refus d'abrogation de la mesure d'expulsion prise à son encontre.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite du 18 avril 2019 et la décision du 21 septembre 2021 par lesquelles le ministre de l'intérieur a refusé d'abroger son arrêté d'expulsion du 4 octobre 1994 et d'enjoindre à ce ministre d'abroger cet arrêté d'expulsion, et de lui délivrer un visa de retour et un titre de séjour mention " vie privée et familiale " à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard. Ses conclusions d'appel qui tendent à l'annulation dudit jugement et de ces décisions doivent donc être rejetées.
12. Dès lors que M. A... est la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de la requête fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative et sur l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 novembre 2023.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00145