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15/11/2023 | FRANCE | N°23PA01088

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 15 novembre 2023, 23PA01088


Vu la procédure suivante :

La société Les Paillotes de la Ouenghi a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie :

- à titre principal, de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser une somme de 800 000 000 XPF en réparation des préjudices nés de l'aggravation des risques d'inondation de son terrain générée par la construction en 2016 d'un nouveau pont et du rehaussement de la route territoriale n° 1 et une somme de 8 500 000 XPF en remboursement des frais d'expertise privée qu'elle a dû engager préalablement à l'introduction de sa requête ;
r>- à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire droit, une expertise afin d'établir l...

Vu la procédure suivante :

La société Les Paillotes de la Ouenghi a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie :

- à titre principal, de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser une somme de 800 000 000 XPF en réparation des préjudices nés de l'aggravation des risques d'inondation de son terrain générée par la construction en 2016 d'un nouveau pont et du rehaussement de la route territoriale n° 1 et une somme de 8 500 000 XPF en remboursement des frais d'expertise privée qu'elle a dû engager préalablement à l'introduction de sa requête ;

- à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire droit, une expertise afin d'établir la réalité de l'aggravation des risques d'inondation et d'évaluer l'étendue des préjudices subis.

Par un jugement n° 2200215 du 12 décembre 2022, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 15 mars 2023, la société Les Paillotes de la Ouenghi, représentée par Me Elmosnino, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200215 en date du 12 décembre 2022 du Tribunal administratif de Nouvelle -Calédonie ;

2°) à titre principal, de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser une somme de 800 000 000 XPF en réparation des préjudices nés de l'aggravation des risques d'inondation de son terrain et somme de 8 500 000 XPF en remboursement de ses frais d'expertise privée ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise pour déterminer l'origine de l'aggravation des risques d'inondation de son terrain, les travaux permettant de remédier aux désordres générés par les inondations et pour donner tous éléments permettant de chiffrer ses pertes d'exploitation et à la perte de valeur vénale de son terrain ;

4°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 500 000 XPF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que les travaux publics résultant du rehaussement de la route territoriale n° 1 et de la construction d'un nouveau pont entrepris en 2016 par la Nouvelle-Calédonie à proximité de son domaine hôtelier et de son golf sont à l'origine de préjudices anormaux et spéciaux en raison de l'obligation dans laquelle elle se trouve de faire chaque année des travaux de mise hors d'eau de son terrain, de la diminution de son activité professionnelle et de la perte de valeur patrimoniale de son fonds de commerce.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2023, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, représenté par Me Lécuyer, conclut au rejet de la requête.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie fait valoir que :

- la requête est irrecevable faute de contenir des moyens d'appel ;

- la créance réclamée par la requête pour un préjudice intervenu suite au cyclone Cook de 2017 est prescrite depuis le 31 décembre 2021 ;

- la réalité de l'aggravation des risques d'inondation et les préjudices allégués ne sont pas établis alors que le terrain de la requérante se trouve dans une zone inondable et exposée aux cyclones ;

- l'inondation récurrente du domaine de la requérante est imputable à la rupture de la digue que la société a fait édifier pour se protéger des inondations et qui ne répond pas aux préconisations de l'étude réalisée par la société Sogreah après le cyclone Anne de 1988.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Les Paillotes de la Ouenghi exploite, depuis 1987, une activité hôtelière dans un complexe comprenant notamment 15 bungalows, un restaurant, une piscine, deux terrains de tennis, un parcours de golf de 18 trous, sur un terrain de 63 ha, protégé par des digues mais longé à l'est et au sud par la rivière de la Ouenghi et situé dans une zone classée à aléa d'inondation sur le territoire de la commune de Boulouparis. En 2016, non loin du domaine des Paillottes de la Ouenghi, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a entrepris des travaux de rehaussement de la route territoriale n° 1 et de construction d'un nouveau pont afin de préserver ses voiries des crues de la Ouenghi. L'année suivante, en 2017, le cyclone Cook a entraîné une montée des eaux dans le lit majeur de la Ouenghi jusqu'à affleurement de la crête de la digue protégeant la partie est du parcours de golf du domaine hôtelier et un débordement des eaux le long de la route municipale n° 7 qui permet l'accès au restaurant et a entraîné une inondation de la partie ouest du parcours du golf. Par une lettre parvenue au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le 24 janvier 2022, estimant que ces travaux publics étaient directement à l'origine de l'inondation d'une partie de son parcours de golf en 2017, la société Les Paillotes de la Ouenghi a sollicité le versement d'une somme de 800 millions de francs CFP en réparation des préjudices liés au risque récurrent d'inondation de son domaine et de la somme de 8,5 millions de francs CFP en remboursement du coût de l'expertise privée qu'elle a commandée à la société Bâti conseil. En l'absence de réponse du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, la société Les Paillottes de la Ouenghi a saisi le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'une requête indemnitaire. Par un jugement du 12 décembre 2022, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande. La société Les Paillottes de la Ouenghi relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie :

Sur le lien de causalité entre les constructions de 2016 et le sinistre de 2017 :

2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers en raison de leur existence ou de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Lorsque le tiers victime fait état de faits de nature à établir que les dommages subis sont inhérents à l'existence même de l'ouvrage et ne présente pas de caractère accidentel, il doit en outre démontrer le caractère grave et spécial des dommages subis.

3. Se fondant sur un rapport d'expertise qu'elle a commandé en 2020 à la société Bâti conseil, la requérante critique l'étude d'impact des travaux de construction du nouveau pont de la Ouenghi, réalisée en 2008, par le cabinet d'études EGIS pour le compte du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Elle soutient que le cabinet EGIS aurait commis plusieurs erreurs dans sa simulation des écoulements d'eau multidirectionnels, établie selon la méthode dite des " casiers ". Ainsi, selon elle, la distribution de certains casiers serait inadaptée au regard de la topographie du terrain. De plus, l'impact très faible des travaux de construction du nouveau pont sur les crues de la Ouenghi, évalué à un maximum de 4 centimètres pour les crues décennales, 5 centimètres pour les crues vicennales et 2 centimètres pour les crues centennales, serait d'une précision suspecte. Enfin, le cabinet EGIS aurait omis de prendre en compte la coexistence de l'ancien pont de la RT1 avec le nouveau pont dont la construction est intervenue en 2016. Il ressort toutefois de l'expertise de Bâti conseil que ce cabinet d'expertise n'a pas été en mesure d'effectuer sa propre étude hydrologique ni de quantifier l'aggravation du risque d'inondation qui aurait été générée par le rehaussement de la RT1 et la construction du nouveau pont. En outre, alors même qu'il reprend les données recueillies dans le cadre de précédentes études hydrologiques effectuées par les cabinets Sogreah de 1988 et Soproner de 2008, le cabinet Bâti conseil ne produit aucune donnée chiffrée de nature à corroborer un lien de causalité entre les travaux de rehaussement de la RT1, la construction du nouveau pont et l'aggravation des crues de la Ouenghi. Par ailleurs, le cabinet Bâti conseil omet de faire état de la violence du cyclone tropical Cook qui a généré dans la seule journée du 10 avril 2017 plus de 200 mm de précipitation en 24 heures sur le secteur de Boulouparis, ce qui correspond à un cumul de pluie mesuré en moyenne une fois tous les dix ans. Enfin, l'expertise du cabinet Bâti conseil ne rend pas compte de la fréquence réelle des submersions de la digue du golf de la Ouenghi alors que M. C..., le propriétaire du domaine des Paillottes, a déclaré en 2008 au bureau d'études Soproner avoir subi des inondations non seulement lors du cyclone Cliff en 1981 et du cyclone Anne en 1988 mais également lors du cyclone Erica en 2003 et, ce en dépit des travaux de consolidation et de rehaussement de ses digues est et sud réalisés cinq ans plus tôt, soit en 1988. Dans ces conditions, la requérante en produisant le seul rapport du cabinet Bâti conseil ne démontre ni que les travaux de rehaussement de la RT1 et de construction d'un nouveau pont sur la rivière Ouenghi seraient de nature à accroître de façon certaine pour l'avenir les risques d'inondation du domaine des Paillotes de la Ouenghi ni que le domaine subitrait des dommages chaque année, du fait de la récurrence des inondations depuis 2017.

Sur les préjudices :

4. La requérante sollicite le versement d'une somme globale de 800 millions de francs pacifique en réparation des préjudices qu'elle subirait chaque année depuis 2017 du fait des inondations récurrentes de son terrain. Ses préjudices correspondraient au coût des travaux de mise hors d'eau du parcours de golf et des bâtiments, à la perte de chiffre d'affaires générée par la diminution de son activité professionnelle et à la perte de valeur patrimoniale de son fonds de commerce. Elle ne produit, toutefois, aucun élément comptable pour établir le montant de la somme demandée. En particulier, elle ne justifie pas des dépenses qu'elle aurait exposées en 2017 pour mettre hors d'eau son parcours de golf, ni de la réalité des dommages et des dépenses qu'elle aurait été amenée à exposer pour remettre en état ses installations au cours des années postérieures à 2017. Dans ces conditions, elle n'établit pas davantage avoir subi un préjudice grave et spécial.

Sur les conclusions aux fins d'expertise :

5. Faute pour la requérante de justifier de préjudices en lien avec les inondations récurrentes alléguées, la demande subsidiaire présentée par cette dernière tendant à la désignation d'un expert aux fins de déterminer l'origine de l'aggravation des risques d'inondation de son terrain, les travaux permettant de remédier aux désordres générés par les inondations et pour donner tous éléments permettant de chiffrer ses pertes d'exploitation et la perte de valeur vénale de son terrain est dépourvue d'utilité et doit être rejetée.

6. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir et l'exception de prescription quadriennale opposées par l'intimé, que la société Les Paillottes de la Ouenghi n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Les Paillottes de la Ouenghi demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Les Paillottes de la Ouenghi une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête présentée par la société Les Paillottes de la Ouenghi est rejetée.

Article 2 : La société Les Paillottes de la Ouenghi versera la somme de 1 500 euros au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Les Paillottes de la Ouenghi et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente de la formation de jugement,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Isabelle Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2023.

La rapporteure,

I. A...La présidente,

M. B...

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA01088


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01088
Date de la décision : 15/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : ELMOSNINO

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-11-15;23pa01088 ?
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