Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 10 juin 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, l'a interdite de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée.
Par un jugement n° 2210079 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 11 mai 2023 et le 14 septembre 2023, Mme B..., représentée par Me Macarez, demande à la Cour :
1°) d'infirmer le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 11 avril 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le jugement contesté a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, à défaut de capacité de son mandataire assurant sa représentation en cours d'instance et en l'absence de convocation régulière à l'audience ;
- l'arrêté attaqué a été pris en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et méconnaît les articles L. 435-1 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de fait ;
- la durée de cette interdiction est disproportionnée et porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit d'observations en défense.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- et les observations de Me Macarez, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante serbe née le 2 août 1962, a présenté le 3 octobre 2019 une demande d'admission exceptionnelle au séjour, laquelle a été rejetée par un arrêté du 11 mai 2020. Par un jugement n° 2012957 du 5 mai 2021, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de réexaminer sa situation en saisissant au préalable la commission de titre de séjour. A la suite de ce réexamen, le préfet de la Seine-Saint-Denis a, par un arrêté du 10 juin 2022, rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par la présente requête, Mme B... relève régulièrement appel du jugement du 11 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il est constant que Mme B..., dont l'examen de la situation a fait l'objet d'un avis favorable de la commission du titre de séjour, réside de manière continue en France depuis au moins douze ans à la date de l'arrêté attaqué. Il ressort des pièces du dossier que ses attaches privées et familiales sont durablement établies sur le territoire français où elle est hébergée et prise en charge par son fils, lui-même né en France en 1982 et de nationalité française. Elle justifie par ailleurs participer activement à l'éducation de ses cinq petits-enfants nés entre 2003 et 2007. A la date d'édiction de l'arrêté en litige, trois de ses frères et sœurs résidaient régulièrement en France sous couvert de titres de séjour d'une durée de dix ans, l'un d'eux étant toutefois décédé au mois d'octobre 2022. Il n'est pas contesté que Mme B..., dont le concubin et père de son fils français est également décédé en France en 2013, ne dispose plus d'aucune attache familiale proche en Serbie. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'arrêté du 10 juin 2022 a porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué et sur les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Les motifs du présent jugement impliquent nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2210079 du tribunal administratif de Montreuil du 11 avril 2023 et l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 10 juin 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B..., une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Soyez, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 10 novembre 2023.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA02057 2