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10/11/2023 | FRANCE | N°22PA00381

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 10 novembre 2023, 22PA00381


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser, en indemnisation du préjudice de perte de chance de voir sa maladie reconnue imputable au service, la somme de 100 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter la réception de sa demande préalable.

Par un jugement n° 2003877 du 29 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

P

ar une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 25 janvier 2022 et 8 mai 2023, Mme C....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser, en indemnisation du préjudice de perte de chance de voir sa maladie reconnue imputable au service, la somme de 100 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter la réception de sa demande préalable.

Par un jugement n° 2003877 du 29 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 25 janvier 2022 et 8 mai 2023, Mme C..., représentée par Me Vojique, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'AP-HP à lui verser, en indemnisation du préjudice de perte de chance de voir sa maladie reconnue imputable au service, la somme de 100 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter de la réception de sa demande préalable ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration a commis de nombreuses fautes dans le traitement de son dossier portant sur une affection contractée dans l'exercice de ses fonctions, de nature à engager sa responsabilité ;

- le préjudice de perte de chance de voir sa maladie reconnue par l'administration comme maladie professionnelle s'élève à 100 000 euros, dont 24 139,08 euros au titre de la perte de rémunération du fait de son placement à demi-traitement entre le 15 septembre et le 14 décembre 2009, puis entre le 15 mars 2013 et le 11 septembre 2014.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 février 2023, l'AP-HP, représentée par la Selarl Minier Maugendre et associées, prise en la personne de Me Lacroix, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 800 euros soit mise à la charge de Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme C... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba ;

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Vojique, pour Mme C..., et de Me Lacroix, pour l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été recrutée en 1977 par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) en qualité d'aide-soignante. Depuis 1984, l'intéressée présente des troubles hépatiques chroniques qu'elle impute à une maladie contractée en service résultant d'un accident d'exposition au sang par une aiguille souillée survenu le 19 décembre 1983. Mme C... a adressé une demande de reconnaissance et d'indemnisation d'une maladie contractée dans l'exercice de ses fonctions auprès du directeur général de l'AP-HP par un courrier en date du 2 mars 2006. Les décisions en date des 26 novembre 2009 et 9 juillet 2012 du directeur général de l'AP-HP rejetant cette demande ont été annulées par le tribunal administratif de Paris pour des motifs d'illégalité externe, respectivement par des jugements des 23 février 2012 et 30 septembre 2013. Après avis de la commission de réforme en date du 8 avril 2014, le directeur général de l'AP-HP a, par une décision du 19 mai 2014, refusé de reconnaître et de prendre en charge la maladie déclarée par Mme C... en tant que maladie professionnelle. Par un jugement du 2 février 2015, le tribunal a rejeté la requête de la requérante tendant à l'annulation de la décision du 19 mai 2014. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 1er février 2018 de la Cour rendu à la suite d'une expertise ordonnée par un arrêt avant dire droit en date du 8 décembre 2016. Mme C... a alors demandé à l'AP-HP de l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'une perte de chance de voir sa maladie reconnue imputable au service, à hauteur de 100 000 euros. Elle a contesté devant le tribunal administratif de Paris le rejet implicite de sa demande en date du 22 octobre 2019. Elle relève appel du jugement du 29 novembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

2. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport du 20 septembre 2017 de l'expert mandaté par la Cour, suite à l'arrêt avant dire droit du 8 décembre 2016, que Mme C... a présenté à partir de 1984 des troubles hépatiques chroniques caractérisés par un taux de transaminases fluctuant et souvent supérieur à la moyenne, ainsi que par un taux de gamma GT pouvant atteindre cinq fois la limite normale. Ces troubles, qui se sont manifestés selon l'expert judiciaire par une grande fatigue et des épisodes dépressifs, n'ont pas connu d'évolution défavorable sur le plan hépatique, aucun signe de fibrose ou de cirrhose n'ayant été mis en évidence. Les résultats des derniers examens biologiques effectués par Mme C... sont normaux. Mme C... impute ces troubles hépatiques à une maladie contractée en service résultant d'un accident d'exposition au sang par une aiguille souillée le 19 décembre 1983. Après que le tribunal administratif de Paris, dans son jugement n° 1412550 du 2 février 2015, et la Cour, dans son arrêt n° 15PA01400 du 1er février 2018, ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 mai 2014 du directeur général de l'AP-HP refusant de reconnaître et de prendre en charge sa pathologie hépatique au titre d'une maladie contractée dans l'exercice de ses fonctions, elle soutient que les défaillances en matière d'information et de gestion de l'administration en ce qui concerne son état de santé l'ont privée d'une chance de voir son affection reconnue en tant que maladie professionnelle. Elle demande, au titre de cette perte de chance, à être indemnisée à hauteur de 100 000 euros. Elle précise dans son mémoire en réplique qu'elle a subi un préjudice matériel tenant au fait que les différents congés de maladie dont elle a bénéficié jusqu'à sa mise à la retraite à compter du 1er août 2014 n'ont pas été pris en charge au titre de la maladie professionnelle et qu'il en a résulté, pour elle, une perte de rémunération, qu'elle estime à un montant total de 24 139,08 euros du fait de son placement à demi-traitement entre le 15 septembre et le 14 décembre 2009, puis entre le 15 mars 2013 et le 11 septembre 2014.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des fiches de liaison du médecin du travail du 7 février et du 28 mars 1984, du formulaire d'accident du travail du 7 juin 1984 et de l'avis de prolongation d'arrêt de travail du 2 mai 1984, sur lesquels est apposée la mention " maladie contractée en service ", ainsi que des deux certificats médicaux des 22 mai et 6 juillet 1984 portant la mention " complétant la déclaration de maladie professionnelle faite par le malade ", que l'AP-HP a implicitement mais nécessairement, sur demande de Mme C..., reconnu l'imputabilité au service des troubles hépatiques, pour lesquels elle a été placée en congé de maladie du 19 décembre 1983 au 31 mai 1984, puis du 7 juin au 8 juillet 1984. La circonstance que cette décision aurait été prise sans " diagnostic précis " et sans saisine de la commission de réforme, ainsi que le souligne le docteur D..., chef du service central de médecine et de contrôle de l'AP-HP, dans sa note du 9 septembre 2006 adressée à Mme A..., chef du département prévention et santé au travail de la direction du personnel et des relations sociales de l'AP-HP, est sans incidence à cet égard. Mme C... n'établit pas ni même n'allègue qu'elle n'aurait pas, lors de ces congés, bénéficié des droits attachés à la reconnaissance de l'imputabilité au service de ses troubles hépatiques, tels que prévus à l'époque par l'article L. 855 du code de la santé publique dans sa rédaction alors en vigueur, en particulier du versement de l'intégralité de sa rémunération et du remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie.

4. En deuxième lieu, s'agissant du congé maladie dont Mme C... a bénéficié du 29 janvier au 2 mars 2003, et qui a donc duré moins de trois mois, il n'est pas établi que Mme C... n'aurait pas conservé son plein traitement, ainsi que le 2° de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, alors en vigueur, le prévoit. Au surplus, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce congé lui aurait été accordé au titre de ses troubles hépatiques ou même d'un des états dépressifs que Mme C... attribue à ces troubles, alors que dans son dire annexé au rapport d'expertise, le docteur D... indique que ce congé fait suite à une hystérectomie que Mme C... elle-même désigne, dans une lettre non datée adressée à cette période au médecin de prévention de la Pitié-Salpêtrière, le docteur B..., comme sa " maladie actuelle ". Mme C... n'établit donc ni l'existence d'un préjudice, ni en tout état de cause que l'AP-HP aurait, en 2003, remis en cause l'imputabilité au service des troubles hépatiques pour lesquels elle avait bénéficié, en 1984, d'une prise en charge au titre de la maladie contractée en service, ainsi qu'il a été dit au point 3.

5. En troisième lieu, s'agissant de la période allant du 15 septembre 2008 au 11 septembre 2014, il résulte de l'instruction que Mme C... a été successivement placée en congé de longue maladie, en mi-temps thérapeutique puis en congé de longue durée pour des troubles psychiatriques sévères, ainsi qu'en atteste le compte-rendu médical établi par un médecin du centre médico-psychologique de Villeneuve-Saint-Georges le 7 février 2014. Si Mme C... soutient dans son mémoire en réplique que les troubles psychiatriques dont elle souffre résultent des " démarches administratives et judiciaires qu'elle mène depuis 2003 pour voir sa maladie reconnue comme contractée en service ", et ont de ce fait un lien direct avec ses troubles hépatiques contractés en service, elle ne l'établit pas, alors que le rapport d'expertise du 20 septembre 2017 mentionne une " dépression nerveuse suite à un décès familial ayant entraîné un congé de longue maladie et la non reprise du travail depuis 2008 " et relève ensuite que s'il est vrai que la fatigue chronique et la dépression sont des symptômes de l'hépatite C, " [la] biographie [de Mme C...] est émaillée d'évènements qui auraient pu générer ces symptômes ".

6. Il résulte de ce qui précède que Mme C... ne justifie d'aucun préjudice en lien avec les fautes et la perte de chance qu'elle invoque. Par suite, et en tout état de cause, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

8. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... le versement à l'AP-HP d'une somme de 1 000 euros au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Mme C... versera à l'AP-HP une somme de 1 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E... épouse C... et à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,

- M. Perroy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 10 novembre 2023.

La rapporteure,

C. VRIGNON-VILLALBALa présidente,

H. VINOT

La greffière,

A. MAIGNAN

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA00381


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00381
Date de la décision : 10/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : SCP MAUGENDRE MINIER AZRIA LACROIX SCHWAB

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-11-10;22pa00381 ?
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