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27/10/2023 | FRANCE | N°21PA05704

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 27 octobre 2023, 21PA05704


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Electricité Conseil et Expertise du Pacifique (ECEP) a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie (CCI-NC) à lui verser la somme globale de 80 506 643 francs CFP correspondant à diverses prestations et rémunérations complémentaires ainsi qu'au préjudice qu'elle estime avoir subi, au titre de la période transitoire et au titre du marché de maîtrise d'œuvre n° 2011-INV-001 conclu le 30 juin 2011 dans le cadre

de l'extension et du réaménagement de l'aérogare de l'aéroport international ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Electricité Conseil et Expertise du Pacifique (ECEP) a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie (CCI-NC) à lui verser la somme globale de 80 506 643 francs CFP correspondant à diverses prestations et rémunérations complémentaires ainsi qu'au préjudice qu'elle estime avoir subi, au titre de la période transitoire et au titre du marché de maîtrise d'œuvre n° 2011-INV-001 conclu le 30 juin 2011 dans le cadre de l'extension et du réaménagement de l'aérogare de l'aéroport international de Nouméa.

Par un jugement n°2000277 du 9 septembre 2021, le tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie a condamné la CCI-NC à verser à la SARL ECEP la somme de 18 150 327 francs CFP.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 novembre 2021, le 30 mars 2022 et le 29 septembre 2022, la SARL ECEP, représentée par la SELARL Tehio, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du 9 septembre 2021 en tant qu'il a limité à 18 150 327 francs CFP la condamnation de la CCI-NC ;

2°) de condamner la CCI-NC à lui verser la somme globale de 68 821 814 francs CFP au titre de diverses prestations et rémunérations complémentaires ainsi que du préjudice qu'elle estime avoir subi, au titre de la période transitoire et au titre du marché de maîtrise d'œuvre

n° 2011-INV-001 conclu le 30 juin 2011 ;

3°) de mettre à la charge de la CCI-NC la somme de 12 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les fins de non-recevoir tirées des articles 12-1-4 et 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles

(CCAG-PI) sont infondées ;

- la CCI-NC et la société d'équipement de Nouvelle-Calédonie (SECAL), assistant à maître d'ouvrage (AMO), ont caché au groupement de maîtrise d'œuvre 2011-INV-001 la réalité précise des prestations accomplies par le groupement de maîtrise d'œuvre 2005-INV-001, afin de ne pas lui révéler l'ampleur des prestations restant à réaliser ;

- elle a dû faire face à des sujétions rendues imprévisibles à la date de son marché du fait de l'absence d'information du maître d'ouvrage sur l'état d'avancement des prestations du groupement de maîtrise d'œuvre 2005-INV-001 et les défaillances de ce dernier ;

- la CCI-NC a commis des fautes dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché ainsi que dans l'estimation de ses besoins et la mise en œuvre du marché ; notamment, elle est responsable des carences de la SECAL, ainsi que de celles du groupement de maîtrise d'œuvre 2005-INV-001 et de l'entreprise en charge de l'ordonnancement, du pilotage et de la coordination (OPC) ;

- le rapport d'expertise n'a pas analysé les conditions de reprise du marché de maîtrise d'œuvre ;

- la CCI-NC n'ignorait pas que de nombreuses prestations incombant au groupement de maîtrise d'œuvre 2005-INV-001 n'étaient pas réalisées à la date du 1er juillet 2011 et les a fait prendre en charge abusivement par le groupement de maîtrise d'œuvre 2011-INV-001, en supprimant la clause de durée du contrat ;

- le maître d'ouvrage n'a jamais fourni l'état des lieux des prestations réalisées par le groupement de maîtrise d'œuvre 2005-INV-001, prévu à l'article 1.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), distinct de celui des ouvrages exécutés qui ne nécessitait en réalité pas un constat d'huissier ;

- la mauvaise foi de la CCI-NC dans l'inexécution de son obligation d'établir l'état des lieux contradictoire constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- l'ensemble des prestations ne concernant pas la mission de suivi de chantier, pour laquelle seule elle était missionnée, caractérisent des prestations supplémentaires ;

- la CCI-NC a sciemment supprimé la clause de durée du marché pour éviter de rémunérer des prestations supplémentaires ;

- la CCI-NC s'est abstenue fautivement de l'informer en toute transparence de la nécessité de refondre intégralement la phase AOR en 35 phases de réception au lieu des quatre prévues initialement ;

- les fautes commises par la CCI-NC ont été relevées par la Cour dans ses deux arrêts

nos 14PA01062, 14PA01167, 14PA01398, 14PA01831 et nos 14PA02456, 14PA02643, 14PA02718, 14PA02740, 14PA02767 du 2 décembre 2016, rendus sur requête de deux des entreprises du chantier ;

- les prestations réalisées au-delà de la durée contractuelle du chantier doivent être rémunérées à hauteur de 27 825 000 francs CFP HT, dès lors que l'allongement des délais est imputable aux carences du groupement de maîtrise d'œuvre 2005-INV-001 ainsi qu'aux fautes du maître d'ouvrage ;

- le renforcement des équipes lié au surcroît de travail imputable aux prestations non achevées par le groupement de maîtrise d'œuvre 2005-INV-001 doit être rémunéré à hauteur de 17 652 000 francs CFP HT au titre de prestations supplémentaires intervenues hors marché ;

- la modification du poste " Assistance aux opérations de réception " (AOR), passant de quatre phases à 35 phases, constitue une modification des prestations au sens du décret du

29 novembre 1993 que la CCI-NC lui a imposé insidieusement après la conclusion du contrat, et qui devra être rémunérée à hauteur de 4 195 000 francs CFP HT ;

- la mission relative aux travaux provisoires de consolidation de toiture ainsi que les études et le suivi de travaux de VRD (Voirie et réseaux divers) constituent des prestations supplémentaires qui devront être rémunérées à hauteur de 2 684 314 francs CFP HT ;

- le préjudice d'atteinte à la notoriété et à la réputation de la société sera évalué à la somme de 10 000 000 francs CFP HT ;

- les frais d'assistance juridique générés par l'expertise judiciaire ainsi qu'au titre des diverses instances auxquelles elle été attraite abusivement par la CCI-NC doivent être remboursés à hauteur de 6 465 500 francs CFP HT.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2022, la chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie (CCI-NC), représentée par la société LexCity Avocats, conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de la SARL ECEP la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que la réclamation de la SARL ECEP n'a pas été présentée par le mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre en méconnaissance des stipulations de l'article 12-1-4 du CCAG-PI ;

- la requête est irrecevable dès lors que la réclamation de la SARL ECEP a été présentée tardivement, en méconnaissance de l'article 37 du CCAG-PI ;

- les demandes de rémunération complémentaire de la société requérante ne sont pas fondées.

Par un mémoire en intervention volontaire, enregistré le 10 octobre 2023, la SELARL Mary Laure Gastaud, en qualité de mandataire liquidateur de la SARL Engineering Coordination et Economie du Pacifique (ECEP), anciennement SARL Electricité Conseil et Expertise du Pacifique, représentée par la SELARL Tehio, s'associe aux conclusions de la SARL ECEP.

Elle soutient que son intervention est recevable et que les moyens soulevés par la SARL ECEP sont fondés.

Des pièces ont été enregistrées pour la chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie (CCI-NC) le 9 octobre 2023 qui n'ont pas été communiquées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- la loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009 ;

- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 ;

- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

- le code de justice administrative dans sa version applicable en Nouvelle-Calédonie.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La chambre de commerce et d'industrie de la Nouvelle-Calédonie (CCI-NC) a entrepris, en qualité de maître d'ouvrage, d'importants travaux d'extension et de réaménagement de l'aérogare passagers de l'aéroport international de Nouméa, La Tontouta. La conduite de l'opération a été assurée par la société d'équipement de Nouvelle-Calédonie (SECAL) et la maîtrise d'œuvre du projet a été confiée, en vertu d'un marché n° 2005-INV-001 signé le

1er mars 2005, à un groupement solidaire constitué par la société Jacques Rougerie Architecte et la société OTH Méditerranée, aux droits de laquelle est venue la société Egis Bâtiments Méditerranée. Après avoir procédé à la résiliation amiable de ce marché, la CCI-NC a, par un marché n° 2011-INV-001 signé le 1er juillet 2011, confié la poursuite de cette mission de maîtrise d'œuvre à un nouveau groupement solidaire constitué par la SARL Archipel, mandataire, la SAS Jacques Rougerie Architecte, la SARL ECEP et la SARL CAPSE NC, pour un montant total de 76 143 500 francs CFP HT, dont 26 500 000 francs CFP HT au profit de la SARL ECEP. Ce second marché de maîtrise d'œuvre a également été résilié par lettre reçue par la société Archipel le 24 juillet 2014. A la suite de sa désignation par ordonnance du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 19 août 2016, sur requête de la CCI-NC, M. A... a rendu un rapport d'expertise relatif à l'ensemble de l'opération de travaux précitée le

23 avril 2018. Par un mémoire en réclamation du 3 juin 2020, reçu le même jour par la CCI-NC, la SARL ECEP a demandé une somme de 84 538 770 francs CFP HT au titre des prestations supplémentaires qu'elle estime avoir réalisées, tant pendant la période transitoire entre la résiliation du marché n° 2005-INV-001 et l'entrée en vigueur du marché n° 2011-INV-001 qu'au titre de l'exécution de ce dernier. Par un jugement du 9 septembre 2021, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, d'une part, condamné la CCI-NC à verser à la SARL ECEP la somme de 18 150 327 francs CFP HT, d'autre part, mis à sa charge une somme de 150 000 francs CFP à verser à cette même société sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, rejeté le surplus des demandes présentées par les parties. La SARL ECEP relève appel de ce jugement.

Sur l'intervention de la SELARL Mary Laure Gastaud :

2. La SELARL Mary Laure Gastaud, mandataire judiciaire désigné en vue de la liquidation judiciaire de la SARL Engineering Coordination et Economie du Pacifique (ECEP), anciennement SARL Electricité Conseil et Expertise du Pacifique, par un jugement du tribunal mixte de commerce de Nouméa du 27 juillet 2023, justifie d'un intérêt suffisant, eu égard à la nature et à l'objet du litige objet de la présente instance, pour intervenir au soutien des conclusions présentées par la SARL ECEP. Il y a lieu, par suite, d'admettre son intervention.

Sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de la SARL ECEP :

3. La CCI-NC reprend en appel, en des termes identiques, la fin de non-recevoir soulevée en première instance à l'encontre de la réclamation préalable de la SARL ECEP et, en conséquence, de sa demande devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie. Cependant, elle ne développe au soutien de cette fin de non-recevoir aucun argument de droit ou de fait nouveau de nature à remettre en cause l'analyse et la motivation retenues par le tribunal administratif. Il y a lieu, dès lors, d'écarter cette fin de non-recevoir par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.

Sur le bien-fondé des demandes contractuelles de la SARL ECEP :

4. La SARL ECEP soutient sans être contredite que, à la suite de la résiliation du marché n° 2011-INV-001, aucun décompte de résiliation n'a été établi. En l'absence de décompte général devenu définitif, il appartient au juge du contrat de statuer sur les réclamations pécuniaires présentées par les parties.

5. D'une part, il résulte des dispositions des articles 9 de la loi n° 85-704 du

12 juillet 1985 et 30 du décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993 que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seule une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Ainsi, la prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage.

6. D'autre part, le maître d'œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si le maître d'œuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat.

En ce qui concerne la demande au titre de l'allongement de la durée des travaux :

7. En premier lieu, la SARL ECEP demande l'indemnisation des prestations accomplies au titre de l'allongement de la durée du chantier au-delà de son terme, fixé ainsi qu'elle le soutient dans son mémoire en réclamation par ordre de service de la CCI-NC au

15 septembre 2012 alors que la réception des travaux a eu lieu le 6 novembre 2013, soit une période supplémentaire de presque quatorze mois. Il résulte toutefois des principes rappelés au point 5 que l'allongement de la durée des travaux, indépendamment d'une modification du programme de ces travaux, n'ouvre pas par lui-même droit à indemnisation du maître d'œuvre. Or si la SARL ECEP soutient que la CCI-NC et l'assistant à maîtrise d'ouvrage, la SECAL, faute d'avoir établi un état des lieux contradictoire de l'état des prestations réalisées par le groupement de maîtrise d'œuvre titulaire du marché n° 2005-INV-001, ainsi que le prévoyait l'article 1.1 du CCAP, lui ont caché la réalité de ces prestations et lui ont imposé, outre de nouvelles contraintes, une modification substantielle des conditions d'exécution du marché, elle a néanmoins signé, le 1er juillet 2011, l'acte d'engagement de ce marché. Ce faisant, la SARL ECEP doit être regardée comme ayant accepté l'ensemble des stipulations contractuelles du marché, nonobstant l'absence de cet état des lieux en annexe du marché. Si sa signature sur l'acte d'engagement est accompagnée de la mention " avec réserves suivant courrier du

27 juin 2011 ", une telle mention, qui n'a été contresignée par aucune autre des parties, doit être regardée comme dépourvue de toute portée.

8. En second lieu, il résulte de l'article 3.1 de l'acte d'engagement du marché

n° 2011-INV-001 que " l'offre de prix (...) comprend les éléments de mission définis à l'article 1.5 du CCAP ". Il résulte en outre de ce même CCAP que, d'une part, il ne comportait aucune clause de durée ni aucun terme précis s'agissant des prestations de la maître d'œuvre et que, d'autre part, son article 1.5 mentionnait que " le présent marché a pour objet de confier au Maître d'œuvre une nouvelle mission de maîtrise d'œuvre en phase travaux (concernant) le réaménagement et la restructuration de l'aérogare passagers de l'aéroport de Nouméa-La Tontouta " et que " la mission du maître d'œuvre comprend la mise à jour, le suivi et la gestion de tous les actes, documents qui résultent des missions VISA, DET, AOR depuis le début du chantier ". Il en résulte que la SARL ECEP n'établit pas que la prolongation de la mission du groupement de maîtrise d'œuvre, à la supposer même établie, aurait porté sur des missions différentes de celles indiquées à l'article 1.5 et aurait donc été consécutive à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage, alors en outre que le marché ne comportait pas de terme calendaire précis. Par suite, la SARL ECEP, qui n'a d'ailleurs fait aucune demande de modification de sa rémunération forfaitaire sur le fondement de l'article 9.6 du CCAP, n'est pas fondée à soutenir que les prestations accomplies au-delà du 15 juin 2012 caractériseraient des prestations supplémentaires indispensables à la réalisation de l'ouvrage.

9. En second lieu, il n'est pas davantage établi que l'allongement de la durée du chantier alléguée aurait été la conséquence de sujétions imprévues auxquelles aurait été confrontée la SARL ECEP dans l'exécution du marché n° 2011-INV-001, cet allongement ne revêtant pas par lui-même un caractère exceptionnel et imprévisible, compte tenu de ce qui a été dit au point 7.

10. Enfin, la SARL ECEP invoque la faute du maître d'ouvrage dans la conception et la mise en œuvre du marché, l'estimation de ses besoins et ses pouvoirs de contrôle et de direction de celui-ci. Elle soutient à cet égard que la CCI-NC est, d'une part, responsable des carences de l'assistant à maîtrise d'ouvrage, la société SECAL et, d'autre part, qu'en s'abstenant de réaliser l'état des lieux contradictoire des prestations réalisées par le groupement de maîtrise d'œuvre

n° 2005-INV-001, prévu à l'article 1.1 du CCAP, qui est distinct de l'état des lieux des ouvrages exécutés, elle ne lui a pas permis de prendre connaissance, en toute transparence, de la consistance de l'engagement souscrit au titre de ses prestations. Elle fait ainsi valoir que cette abstention, qui s'apparente à une rétention dolosive d'informations sur les contraintes de reprise du marché n° 2005-INV-001 et qui l'a contrainte à réaliser des prestations bien au-delà de celles qu'elle s'attendait légitimement à accomplir, constitue une faute contractuelle de nature à engager la responsabilité de la CCI-NC. Toutefois, à supposer même établie une faute contractuelle du maître d'ouvrage de ne pas avoir procédé à l'état des lieux des prestations effectuées par le titulaire du marché n° 2005-INV-001, cette faute est sans lien de causalité avec le préjudice allégué lié à l'allongement du chantier, la SARL ECEP s'étant en tout état de cause engagée contractuellement à la date de signature du marché à réaliser l'ensemble des prestations prévues à l'article 1.5 du CCAP, alors même que l'état des lieux précité n'était pas annexé au marché ainsi qu'il a été dit.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 10 que la SARL ECEP n'est pas fondée à demander l'indemnisation du préjudice subi au titre de l'allongement de la durée du chantier.

En ce qui concerne la demande au titre du renforcement des équipes :

12. La SARL ECEP demande l'indemnisation du coût de renforcement des équipes nécessaire, selon elle, d'une part, pour réaliser l'ensemble des prestations dont le maître d'ouvrage lui a caché l'existence et, d'autre part, qui résultent directement des carences du titulaire du marché n° 2005-INV-001 qui ont été relevées par le rapport d'expertise. Toutefois et ainsi qu'il a été dit au point 10, la SARL ECEP s'est engagée contractuellement, pour un montant forfaitaire, à réaliser l'ensemble des prestations prévues à l'article 1.5 du CCAP, soit la mise à jour, le suivi et la gestion de tous les actes et documents résultant des missions VISA, DET et AOR depuis le début du chantier, ainsi que les missions complémentaires constituées par le coordination du Système Sécurité Incendie (SSI) et la mission Ordonnancement-Pilotage-Coordination (OPC). Par suite, la SARL ECEP, qui n'a d'ailleurs pas fait de demande de modification de sa rémunération au titre de l'article 9.6 du CCAP, ne saurait prétendre à une indemnisation liée à la mobilisation d'effectifs supplémentaires, qui ne peut être regardée comme imprévisible ou en lien avec des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation de l'ouvrage, et ne saurait par ailleurs résulter de la faute du maître d'ouvrage pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10.

En ce qui concerne la modification du phasage des opérations de réception :

13. La SARL ECEP invoque le fait qu'alors qu'il était prévu initialement quatre phases distinctes concernant la mission d'assistance aux opérations de réception (AOR), elle a dû finalement réaliser 35 opérations préalables à la réception. Elle fait valoir dans son mémoire en réclamation que cette situation l'a obligée à mobiliser des effectifs supplémentaires correspondant au détachement d'un nouveau chargé d'affaires, dont elle demande l'indemnisation. Toutefois et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, dès lors que la SARL ECEP s'est engagée contractuellement, pour un montant forfaitaire, à réaliser l'ensemble des prestations prévues à l'article 1.5 du CCAP, notamment " l'assistance au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de parfait achèvement : AOR (comprenant en particulier la constitution du dossier des ouvrages exécutés : DOE) et le suivi de la levée des réserves d'opérations réceptionnées avant la signature du présent marché ", elle ne saurait prétendre à une indemnisation de ce chef, qui ne peut être regardée comme imprévisible ou en lien avec des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation de l'ouvrage. Par ailleurs, si la SARL ECEP soutient que la CCI-NC a manqué de bonne foi dans la conclusion et l'exécution du marché litigieux dès lors qu'elle savait dès l'origine sans l'en informer que le phasage de la mission AOR serait démultiplié à 35 reprises, d'une part, elle ne l'établit pas et, d'autre part et en tout état de cause, ce comportement fautif, à le supposer même établi, est sans lien de causalité avec le préjudice allégué dès lors qu'elle s'est en tout état de cause engagée, à la date de signature du marché, à réaliser l'ensemble des prestations d'AOR prévues à l'article 1.5 du CCAP.

En ce qui concerne la modification du projet :

14. La SARL ECEP demande l'indemnisation de prestations relatives aux lots dits " fluides " et aux lots techniques dits " gros-œuvre / structure / VRD ", pour des montants respectifs de 1 000 958 francs CFP HT et de 1 683 356 francs CFP HT. Elle soutient que ces sommes correspondent à des modifications de prestations décidées par le maître de l'ouvrage, qui ont été formalisées par des fiches de travaux modificatifs (FTM) et qui justifient une augmentation de sa rémunération forfaitaire. Ces FTM sont attestées par le rapport d'expertise qui fixe à 9 % du total général la proportion de ces fiches relevant du groupement titulaire du marché n° 2011-INV-001. Par suite et en l'absence de toute contestation précise de la CCI-NC relative à cette demande, il y a lieu d'y faire droit et de condamner cette dernière à verser de ce chef à la SARL ECEP la somme globale de 2 684 314 francs CFP HT.

En ce qui concerne les frais de justice générés :

15. La SARL ECEP demande l'indemnisation de frais d'avocat à hauteur de 6 465 500 francs CFP HT, en soutenant qu'ils ont été générés par un positionnement systématique de la CCI-NC lui imputant, à tort, l'entièreté des responsabilités au titre de " dizaines de contentieux " relatives à l'opération de travaux, ainsi que par sa mise en cause abusive et sans fondement dans toutes les instances engagées par les entreprises, outre l'assistance juridique imposée pour les opérations d'expertise et au titre du mémoire en réclamation. Toutefois, la circonstance que la CCI-NC aurait mis en cause de manière systématique et abusive le groupement titulaire du marché n° 2011-INV-001 dans les différents contentieux relatifs aux travaux objets du présent litige, à la supposer même établie, est en tout état de cause sans lien avec le présent litige qui concerne exclusivement l'exécution de ce marché de maître d'œuvre, les frais générés par ce litige relevant dès lors du seul article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette demande ne peut, par suite, qu'être rejetée.

En ce qui concerne le préjudice d'image professionnelle et au titre de la notoriété :

16. La SARL ECEP invoque un préjudice d'image professionnel qui serait lié, ainsi qu'elle le fait valoir dans son mémoire en réclamation, " à l'image déplorable colportée par la gestion de cette opération largement véhiculée par la presse calédonienne et le qu'en dira-t-on local ". Elle soutient en outre qu'elle a été injustement mise en accusation par la CCI-NC voulant se " dédouaner de ses propres responsabilités ", situation aggravée du fait de la résiliation du marché n° 2011-INV-001 qui a permis à la CCI-NC de lui faire porter abusivement la responsabilité de ses propres fautes en qualité de maître d'ouvrage. Toutefois, les comportements fautifs de la CCI-NC invoqués ci-dessus, à les supposer même établis, sont en tout état de cause sans rapport avec le présent litige, comme le sont également d'ailleurs les motifs de la résiliation du marché n° 2011-INV-001 ainsi que les appels en garantie formés par la CCI-NC à l'encontre de la SARL ECEP dans le cadre des contentieux engagés par les entreprises. Par suite, la demande de la SARL ECEP au titre de ce préjudice doit être rejetée.

17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SARL ECEP est seulement fondée à soutenir que la somme mise à la charge de la CCI-NC par le jugement attaqué doit être augmentée de la somme de 2 684 314 francs CFP HT. La condamnation de la CCI-NC doit, dès lors, être portée à la somme de 20 834 641 francs CFP HT.

Sur les frais de l'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SARL Electricité Conseil et Expertise du Pacifique, devenue la SARL Engineering Coordination et Economie du Pacifique (ECEP), qui n'est pas dans la présente instance partie perdante, le versement de la somme que la chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie (CCI-NC) demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, de mettre à la charge de la CCI-NC la somme de 1 500 euros à verser à la SARL ECEP au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens de la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention volontaire de la SELARL Mary Laure Gastaud est admise.

Article 2 : La somme de 18 150 327 francs CFP fixée par l'article 1er du jugement n° 2000277 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 9 septembre 2021 est portée à la somme de 20 834 641 francs CFP HT.

Article 3 : L'article 1er du jugement n° 2000277 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 9 septembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent arrêt.

Article 4 : La chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie versera à la SARL Engineering Coordination et Economie du Pacifique (ECEP) la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Engineering Coordination et Economie du Pacifique (ECEP), à la SELARL Mary Laure Gastaud et à la chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie.

Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 13 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Briançon, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 octobre 2023.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

C. BRIANÇON La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21PA05704


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA05704
Date de la décision : 27/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRIANÇON
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : TEHIO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-27;21pa05704 ?
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