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24/10/2023 | FRANCE | N°22PA04172

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 24 octobre 2023, 22PA04172


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice a demandé au Conseil d'Etat, par une requête que celui-ci a transmise au tribunal administratif de Montreuil, d'annuler la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) du 2 avril 2019 en tant qu'elle interdit la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation d'implants mammaires à enveloppe macro-texturée et d'implants mammaires recouverts de p

olyuréthane des sociétés Arion, Sebbin, Nagor, Eurosilicone et Polytech, et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice a demandé au Conseil d'Etat, par une requête que celui-ci a transmise au tribunal administratif de Montreuil, d'annuler la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) du 2 avril 2019 en tant qu'elle interdit la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation d'implants mammaires à enveloppe macro-texturée et d'implants mammaires recouverts de polyuréthane des sociétés Arion, Sebbin, Nagor, Eurosilicone et Polytech, et retiré ces produits du marché.

La société Polytech health et aesthetics GmbH (" Polytech ") a demandé au Conseil d'Etat, par une requête que celui-ci a transmise au tribunal administratif de Montreuil, d'annuler la même décision du 2 avril 2019 en tant qu'elle interdit la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation d'implants mammaires à enveloppe macro-texturée et d'implants mammaires recouverts de polyuréthane qu'elle fabrique, et retiré ces produits du marché.

Par un jugement nos 2004682, 2103871 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ces demandes.

Procédure devant la Cour :

I. Sous le n° 22PA04172, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 12 septembre 2022, 20 octobre 2022, 6 juillet 2023 et 25 septembre 2023, le syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice (SNCPRE), représenté par Me Lorit, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 juillet 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision du directeur général de l'ANSM du 2 avril 2019 en tant qu'elle interdit la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation d'implants mammaires à enveloppe macro-texturée et d'implants mammaires en polyuréthane, et retiré ces produits du marché, à l'exception des implants mammaires du laboratoire Allergan ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision litigieuse est entachée d'incompétence en raison du caractère total de la délégation de signature consentie par le directeur général de l'ANSM à la directrice générale adjointe ;

- la décision litigieuse est entachée d'un vice de procédure faute qu'il ait été préalablement consulté, ainsi que la société savante de chirurgie esthétique et reconstructrice, pour faire valoir le point de vue des usagers des prothèses, en violation de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique ;

- interdisant la quasi-totalité des implants macro-texturé et en polyuréthane et non pas seulement les implants hyper-texturés pour lesquels le risque de lymphome anaplasique à grandes cellules associé aux implants mammaires (LAGC-AIM) a été clairement identifié, la décision litigieuse est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne le caractère macro-texturé ou recouvert de polyuréthane des prothèses interdites, le lien de causalité entre ces prothèses et l'apparition de lymphomes à grandes cellules, la dangerosité de ces prothèses, les conditions de survenance du LAGC-AIM et les alternatives à l'emploi de ces prothèses ;

- la décision litigieuse méconnaît le principe d'égalité devant la loi dès lors que les autres laboratoires distribuant ou mettant sur le marché des prothèses mammaires macro texturées ou en polyuréthane auraient dû se voir appliquer par l'ANSM un traitement juridique identique à celui des laboratoires Sebbin, Arion, Polytech, Nagor et Eurosilicone.

Par des mémoires en défense enregistrés le 1er juin 2023 et le 31 juillet 2023, et une pièce complémentaire enregistrée le 4 septembre 2023, l'ANSM conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du syndicat appelant la somme de 3 600 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

II. Sous le n° 22PA04173, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les

12 septembre 2022 et 31 juillet 2023, la société Polytech, représentée par Me Darcet-Felgen, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 juillet 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision du 2 avril 2019 par laquelle le directeur général de l'ANSM a interdit la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation d'implants mammaires à enveloppe macro-texturée et d'implants mammaires en polyuréthane, et retiré ces produits du marché ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler cette décision en tant qu'elle concerne les implants qu'elle fabrique ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué méconnaît le principe du respect du contradictoire, dès lors que le rapport sur le colloque mondial consacré au LAGC-AIM en 2021, évoqué lors de l'audience du 28 juin 2022 et mentionné dans les écritures de l'ANSM, ne lui a pas été communiqué ;

- le jugement attaqué n'analyse ni ne mentionne le moyen tiré de ce que la notion d'hyper texturation évoquée par l'ANSM n'a jamais été définie ;

- le jugement attaqué est également insuffisamment motivé dès lors qu'il ne cite pas les sources selon lesquelles le nombre des cas de LAGC-AIM serait sous-estimé, ni les études selon lesquelles le risque de développer un LAGC-AIM serait évalué à un niveau compris entre 1 sur 3000 et 1 sur 4000 avec les implants macro-texturés ;

- la décision du 2 avril 2019 est insuffisamment motivée, en violation des articles

L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, au regard des arguments qu'elle avait développés dans son courrier du 13 mars 2019 ;

- cette décision n'est pas nécessaire dès lors que le LAGC-AIM ne constitue pas un danger grave pour la santé humaine, que son taux d'incidence chez les femmes n'ayant porté que des implants POLYtxt et Microthane, fabriqués par la société Polytech, est particulièrement bas, que ces implants ne présentent pas de dangerosité et ne peuvent être considérés comme équivalents aux implants Biocell de la marque Allergan et qu'enfin, il n'existe pas de preuve du lien entre la surface des implants et le risque de développement du LAGC-AIM ;

- cette décision n'est pas proportionnée dès lors qu'elle ne prend en compte ni les avantages des implants texturés et en polyuréthane, ni l'absence de solution alternative satisfaisante à la pose d'implants dans le cadre des reconstructions mammaires, ni les conséquences des mesures qu'elle édicte sur les patientes, ni l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté de circulation des marchandises au sein de l'Union européenne.

Par des mémoires en défense enregistrés les 8 juin 2023, 13 juin 2023 et 28 septembre 2023, l'ANSM conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Polytech la somme de 3 600 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- les observations de Me Lorit, et du docteur A..., représentant le syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice,

- les observations de Me Darcet-Felgen, représentant la société Polytech health et aesthetics GmbH,

- et les observations de Me Bonichot, et de Mme B..., représentant l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 2 avril 2019, prise sur le fondement des articles

L. 5312-1 et L. 5312-3 du code de la santé publique, le directeur de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a interdit la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation de onze implants mammaires à enveloppe macro-texturée et de deux implants mammaires recouverts de polyuréthane, et ordonné le retrait de ces produits du marché. Le syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice (SNCPRE) et la société Polytech health et aesthetics GmbH (société Polytech) ont demandé, par deux requêtes distinctes, au tribunal administratif de Montreuil d'annuler en tout ou partie la décision du 2 avril 2019. Par un jugement du 12 juillet 2022, dont le SNCPRE et la société Polytech relèvent appel, le tribunal a rejeté leurs demandes.

2. Les requêtes du SNCPRE et de la société Polytech sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 732-1 du code de justice administrative : " Après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement ou par le magistrat mentionné à l'article R. 222-13, le rapporteur public prononce ses conclusions lorsque le présent code l'impose. Les parties peuvent ensuite présenter, soit en personne, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales à l'appui de leurs conclusions écrites ".

4. La société Polytech soutient que le tribunal a méconnu le principe du contradictoire, dès lors qu'un rapport présenté au congrès mondial consacré au lymphome anaplasique à grandes cellules associé aux implants mammaires (LAGC-AIM) qui s'est tenu à Rome en octobre 2021, évoqué par l'ANSM lors de l'audience du 28 juin 2022 et mentionné dans les écritures de cette dernière, ne lui a pas été communiqué. Toutefois, d'une part, il ressort du dossier de première instance n° 2004682 que les mémoires en défense enregistrés les 16 décembre 2019,

16 novembre 2020 et 25 mai 2021, présentés par l'ANSM, ont tous été communiqués à la société Polytech, et que si le mémoire de l'agence enregistré le 24 juin 2022 se réfère à ce congrès en y renvoyant par un lien hypertexte, ce mémoire enregistré dans le dossier n° 2103871 n'avait pas à lui être communiqué. D'autre part, le jugement attaqué ne se fonde pas sur le document en cause. Par suite, la société Polytech n'es pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier pour le motif qu'elle invoque.

5. En deuxième lieu, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments des parties, ont suffisamment répondu au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation quant à l'existence d'un risque grave pour la santé humaine résultant de l'usage des implants mammaires concernés par la décision litigieuse. Par suite, contrairement à ce que soutient la société Polytech, ils n'ont pas entaché d'irrégularité leur jugement faute d'analyse et de réponse à l'argument tiré de ce que la notion d'hyper-texturation évoquée par l'ANSM n'aurait jamais été définie.

6. En troisième lieu, la société Polytech reproche au jugement attaqué de ne pas citer les sources selon lesquelles le nombre des cas de LAGC-AIM serait sous-estimé, ni les études selon lesquelles le risque de développer un LAGC-AIM serait évalué à un niveau compris entre 1 sur 3000 et 1 sur 4000 avec les implants macro-texturés. Toutefois, le jugement, qui précise à son point 7 celles des publications versées au dossier sur lesquelles le tribunal a entendu se fonder, ne peut être regardé comme insuffisamment motivé au regard des écritures des parties.

Sur la légalité de la décision litigieuse :

En ce qui concerne la légalité externe de la décision litigieuse :

7. En premier lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 3 de leur jugement, d'écarter le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'incompétence.

8. En deuxième lieu, aux termes du 2 de l'article 19 de la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, en cas de décision consistant à refuser ou à restreindre la mise sur le marché ou imposant le retrait des dispositifs du marché, " le fabricant ou son mandataire doit avoir la possibilité de soumettre son point de vue préalablement, à moins qu'une telle consultation ne soit pas possible en raison de l'urgence de la mesure à prendre " et en vertu du dernier alinéa de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique, qui assure la transposition de ces dispositions, sauf en cas d'urgence, la personne physique ou morale concernée doit être mise à même de présenter ses observations avant l'intervention des mesures de suspension, d'interdiction ou de restriction prises sur le fondement de cet article.

9. Le syndicat appelant soutient que la décision litigieuse est irrégulière faute d'avoir été précédée de sa consultation préalable, pour faire valoir le point de vue des usagers des prothèses, et de celle de la société française de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique (SOFCPRE). Toutefois, si les dispositions précitées faisaient obligation, sauf urgence, au directeur général de l'ANSM d'inviter les personnes concernées, en l'espèce, les fabricants des prothèses mammaires ou leurs mandataires visés par la mesure d'interdiction litigieuse, à présenter leurs observations avant l'intervention de cette mesure, ainsi qu'ils ont été invités à le faire, elles n'imposaient pas à l'ANSM de recueillir au préalable les observations du SNCPRE ou de la SOFCPRE. Au surplus, les représentants de ces deux organisations ont été auditionnés en février 2019 par le comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) chargé de la " consultation publique sur la place et l'utilisation des implants mammaires texturé en chirurgie esthétique et reconstructrice ", réuni par l'ANSM après l'annonce, en novembre 2018, de la décision qu'elle envisageait de prendre. Le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure contradictoire préalable à l'adoption de la décision litigieuse doit ainsi être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ".

11. La décision litigieuse vise les dispositions légales dont elle fait application, notamment les articles L. 5312-1 et L. 5312-3 du code de la santé publique, et expose de façon précise et circonstanciée les éléments de faits sur lesquels l'ANSM s'est fondée, en particulier les données scientifiques l'ayant conduite à considérer que les implants mammaires visés par la mesure d'interdiction sont soupçonnés de présenter un danger grave pour la santé humaine. En outre, l'ANSM n'était pas tenue de répondre à chacun des arguments développés par la société Polytech dans sa lettre d'observation du 13 mars 2019. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision litigieuse doit être également écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision litigieuse :

12. Aux termes de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique : " L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut soumettre à des conditions particulières, restreindre ou suspendre les essais, la fabrication, la préparation, l'importation, l'exploitation, l'exportation, la distribution en gros, le conditionnement, la conservation, la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la publicité, la mise en service, l'utilisation, la prescription, la délivrance ou l'administration d'un produit ou groupe de produits mentionné à l'article L. 5311-1, non soumis à une autorisation ou un enregistrement préalable à sa mise sur le marché, sa mise en service ou son utilisation, lorsque ce produit ou groupe de produits, soit présente ou est soupçonné de présenter, dans les conditions normales d'emploi ou dans des conditions raisonnablement prévisibles, un danger pour la santé humaine, soit est mis sur le marché, mis en service ou utilisé en infraction aux dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables. La suspension est prononcée, soit pour une durée n'excédant pas un an en cas de danger ou de suspicion de danger, soit jusqu'à la mise en conformité du produit ou groupe de produits en cas d'infraction aux dispositions législatives ou réglementaires. / L'agence peut interdire ces activités en cas de danger grave ou de suspicion de danger grave pour la santé humaine. (...) ". L'article L. 5311-1 du même code mentionne les dispositifs médicaux. Enfin, l'article L. 5312-3 de ce code permet à l'ANSM, dans les cas mentionnés à l'article L. 5312-1, d'enjoindre à la personne physique ou morale responsable de la mise sur le marché, de la mise en service, de la mise à disposition sur le marché ou de l'utilisation de procéder au retrait du produit ou groupe de produits en tout lieu où il se trouve.

13. Il ressort des termes de la décision litigieuse, prise sur le fondement des dispositions des articles L. 5312-1 et L. 5312-3 du code de la santé publique, qu'elle vise à interdire la mise sur le marché, la distribution, la publicité et l'utilisation des implants mammaires à enveloppes macro-texturées et les implants mammaires recouverts de polyuréthane cités en annexe, au vu du danger rare mais grave de survenue du LAGC-AIM que leur implantation est susceptible de présenter pour les femmes utilisatrices dans le cadre des chirurgies à visées reconstructrice ou esthétique, ainsi qu'à ordonner leur retrait du marché.

14. En premier lieu, le SNCPRE et la société Polytech soutiennent que cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que la dangerosité supposée des prothèses concernées ne serait pas démontrée.

15. Il ressort, d'une part, des pièces du dossier que, selon les données de matériovigilance issues du réseau national Lymphopath disponibles à la date de la décision litigieuse, 56 cas de LAGC-AIM avaient alors été identifiés en France, dont 70,5% impliquaient un implant texturé et 1,1 % un implant en polyuréthane - le type de surface d'enveloppe n'étant pas connu dans les autres cas -, et trois patientes au moins étaient décédées de cette pathologie. Si le nombre de femmes ayant développé un LAGC-AIM reste très limité, il s'agit toutefois d'une pathologie grave, notamment en cas de forme infiltrante, dans laquelle des traitements lourds, en particulier de chimiothérapie, peuvent être nécessaires et le pronostic vital peut être engagé, et sa survenue s'accroît.

16. D'autre part, si la majorité des femmes chez qui ce lymphome avait été diagnostiqué étaient porteuses d'implants Biocell de la marque Allergan, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision litigieuse, les cas répertoriés de LAGC-AIM impliquaient au moins deux implants de la marque Arion, deux implants de la marque Eurosilocone et que la société Polytech avait reconnu un cas de lymphome impliquant un implant texturé POLYtxt et cinq cas impliquant un implant Microthane dont quatre en Europe et un en Australie. En outre, afin de déterminer les caractéristiques communes aux implants responsables de la survenue du lymphome, l'ANSM a fait réaliser en 2016 une étude par l'Institut européen des membranes (IEM) intitulée " Définition d'une gamme de texturation pour les implants mammaires " à partir des 78 échantillons d'implants fabriqués par neuf sociétés différentes (les sociétés Arion, Allergan, Mentor, Sebbin, Silimed, Eurosilicone, Nagor, Polytech et Establishment Lab) présentes sur le marché français, qui a permis, au-delà des différences des processus de fabrication, d'associer chaque type d'implants testés à une famille de texturation de sa surface, lisse ou texturée, les implants en silicone texturés étant eux-mêmes subdivisés en implants micro ou macro-texturés et les implants en polyuréthane étant classés séparément, et de parvenir à une classification, dont la pertinence a été admise par les membres du CSST mentionné au point 9, réuni par l'agence en 2018. Cette classification comptait au nombre des prothèses macro-texturées les implants de la société Polytech regardés comme tels par la décision litigieuse et sa pertinence n'a pas été remise en cause par la révision, en juillet 2018, de la norme ISO 14607 (Implants chirurgicaux non actifs - Implants mammaires - Exigences particulières). Il ressort également de la décision litigieuse que l'ANSM a pris en compte de nombreux avis scientifiques, en particulier l'avis du CSST précité des 7 et 8 février 2019 recommandant d'interdire le recours à la texture Biocell d'Allergan et " la plus grande prudence " en ce qui concerne les implants mammaires de texture équivalente et les implants en polyuréthane, l'avis du comité d'experts de l'Institut national contre le cancer sur le LAGC-AIM du 15 février 2019 selon lequel il existe " une association " entre les implants macro-texturés et la survenue d'un LAGC-AIM, ainsi que de nombreuses publications scientifiques internationales. Si l'ensemble des éléments statistiques et scientifiques réunis par l'ANSM ne permet pas de considérer comme certain le lien de causalité entre la macro-texturation des implants mammaires et l'apparition du LAGC-AIM, il ressort toutefois des pièces des dossiers que les implants macro-texturés et les implants en polyuréthane sont soupçonnés de provoquer une inflammation chronique des tissus mammaires, à l'origine d'un risque de LAGC-AIM. Enfin, le syndicat requérant, qui soutient que seules les prothèses " hyper-texturées " auraient dû faire l'objet d'une mesure d'interdiction, ne conteste pas qu'eu égard à leurs caractéristiques, les prothèses regardées comme macro-texturées par la décision litigieuse pouvaient effectivement être considérées comme telles.

17. Par suite, l'ANSM n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'utilisation des prothèses considérées présentait une suspicion de danger grave pour la santé humaine.

18. En deuxième lieu, si la société Polytech fait valoir que le pronostic des femmes atteintes du LAGC-AIM serait bon en cas de diagnostic précoce, ce lymphome, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, peut imposer des traitements lourds et engager le pronostic vital. En outre, si la société Polytech soutient que la décision litigieuse ne prend pas en compte l'absence, dans le cadre des reconstructions mammaires, de solution alternative satisfaisante à la pose des implants visés par la mesure d'interdiction, il ressort des pièces du dossier que la décision litigieuse ne vise que 30 % des implants mammaires présents sur le marché français en 2018 et, en particulier, n'interdit pas l'utilisation d'implants mammaires micro-texturés, présentant des avantages très proches de ceux des implants mammaires concernés par l'interdiction, sans favoriser le développement de la maladie. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'ANSM aurait fait une inexacte application du deuxième alinéa de l'article L. 5312-1 et de l'article L. 5312-3 du code de la santé publique en prenant une mesure d'interdiction de la mise sur le marché, de la distribution, de la publicité et de l'utilisation des implants qu'elle mentionne et en ordonnant leur retrait du marché.

19. En troisième lieu, compte tenu des objectifs de protection de la santé publique poursuivis par la décision critiquée, laquelle s'applique sans considération du lieu du siège des sociétés concernées, les moyens tirés de la méconnaissance de la liberté du commerce et de l'industrie et, en tout état de cause, de la méconnaissance de la libre circulation des marchandises, garantie par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doivent également être écartés.

20. Enfin, si le syndicat appelant soutient que la décision litigieuse est entachée d'une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, la circonstance que d'autres prothèses mammaires macro-texturées ou recouvertes de polyuréthane que celles visées par la mesure d'interdiction présenteraient un danger équivalent, à la supposer établie, est sans incidence sur la légalité de cette décision.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le SNCPRE et la société Polytech ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de la décision litigieuse, que ce soit dans sa totalité ou en tant qu'elle concerne certains implants seulement.

Sur les frais liés à l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'ANSM, qui n'est pas la partie perdante, verse aux appelants la somme qu'ils demandent au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge du SNCPRE et de la société Polytech une somme de 1 500 euros chacun à verser à l'ANSM en application de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Les requêtes du SNCPRE et de la société Polytech sont rejetées.

Article 2 : Le SNCPRE et la société Polytech verseront, chacun, une somme de 1 500 euros à l'ANSM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat national de chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice, à la société Polytech health et aesthetics GmbH et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Copie en sera adressée au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Pascale Fombeur, présidente de la Cour,

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.

La rapporteure,

M. C...La Présidente,

P. FOMBEUR

Le greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 22PA04172, 22PA04173


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04172
Date de la décision : 24/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : CABINET LERINS et BCW

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-24;22pa04172 ?
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