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24/10/2023 | FRANCE | N°22PA02679

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 24 octobre 2023, 22PA02679


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La régie autonome des transports parisiens (RATP) a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 28 260 822,80 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable le 29 novembre 2018 et de la capitalisation des intérêts échus à compter du 29 novembre 2019, puis à chaque échéance annuelle, en réparation des préjudices consécutifs aux travaux de rénovation de la place de la République à Paris.
>Par un jugement n° 1927551/5-3 du 13 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a reje...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La régie autonome des transports parisiens (RATP) a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 28 260 822,80 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable le 29 novembre 2018 et de la capitalisation des intérêts échus à compter du 29 novembre 2019, puis à chaque échéance annuelle, en réparation des préjudices consécutifs aux travaux de rénovation de la place de la République à Paris.

Par un jugement n° 1927551/5-3 du 13 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 10 juin 2022, 27 septembre 2022 et 13 septembre 2023, la RATP, représentée par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 avril 2022 ;

2°) de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 28 260 822,80 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable le 29 novembre 2018 et de la capitalisation des intérêts échus à compter du 29 novembre 2019, puis à chaque échéance annuelle, en réparation des préjudices consécutifs aux travaux de rénovation de la place de la République à Paris ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 40 090,18 euros, augmentée des intérêts au taux légal, au titre du remboursement des dépens exposés en première instance ;

4°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;

- il est également irrégulier dès lors que sa minute n'est pas signée ;

- sa demande de première instance n'était pas tardive dans la mesure où la ville de Paris n'a pas accusé réception de sa demande indemnitaire préalable, comme le prévoient les dispositions de l'article R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration, qu'elle peut invoquer en sa qualité de tiers ; c'est donc à tort et en méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'en méconnaissance de son droit à réparation, constituant un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que les premiers juges ont rejeté sa demande comme irrecevable ;

- la responsabilité sans faute de la ville de Paris est engagée du fait des travaux publics de rénovation de la place de la République ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité est engagée pour fautes commises dans la conception et l'exécution des travaux ;

- elle a subi un préjudice qui doit être évalué à la somme de 28 260 822,80 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 mars 2023, la ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la RATP en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la RATP ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule,

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- les observations de Me Uzan-Sarano, représentant la RATP,

- et les observations de Me Falala, représentant la ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. La place de la République, à Paris, a fait l'objet à partir de 2012 de travaux publics de réaménagement, sous la maîtrise d'ouvrage de la ville de Paris. La RATP, estimant que les ouvrages appartenant au réseau du métro, situés sous cette place et dont elle assure la gestion et l'exploitation, ont été affectés par l'opération de réaménagement, a, par un courrier du 28 novembre 2018, reçu le 29 novembre 2018 par la ville de Paris, demandé à cette dernière d'indemniser ses préjudices à hauteur de 28 952 600 euros. Cette demande a été implicitement rejetée le 29 janvier 2019. La RATP demande à la cour d'annuler le jugement du 13 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la ville de Paris à lui verser cette somme.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des écritures de première instance que la RATP a soutenu, devant le tribunal, que l'absence d'obligation d'information quant aux voies et délais de recours à l'encontre de la décision implicite rejetant sa demande préalable indemnitaire portait atteinte à son droit au recours effectif. Or, le jugement attaqué ne répond pas à ce moyen. Il est, par suite, entaché d'irrégularité et doit donc être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de régularité de la requête.

3. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions indemnitaires de la RATP.

Sur les conclusions indemnitaires :

4. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. ". Et aux termes de l'article R. 421-5 dudit code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".

5. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception. (...) " et aux termes de l'article R. 112-5 de ce code : " L'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 comporte les mentions suivantes : / 1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d'une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ; / 2° La désignation, l'adresse postale et, le cas échéant, électronique, ainsi que le numéro de téléphone du service chargé du dossier ; / 3° Le cas échéant, les informations mentionnées à l'article L. 114-5, dans les conditions prévues par cet article. / Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision. Dans le second cas, il mentionne la possibilité offerte au demandeur de se voir délivrer l'attestation prévue à l'article L. 232-3. ". Aux termes de l'article L. 112-6 du même code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. (...) ". Aux termes de l'article L. 100-1 dudit code : " Le présent code régit les relations entre le public et l'administration en l'absence de dispositions spéciales applicables. (...) ". Et aux termes de l'article L. 100-3 de ce code : " Au sens du présent code et sauf disposition contraire de celui-ci, on entend par : / 1° Administration : les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ; / 2° Public : / a) Toute personne physique ; / b) Toute personne morale de droit privé, à l'exception de celles qui sont chargées d'une mission de service public lorsqu'est en cause l'exercice de cette mission. ".

6. La RATP soutient que ses conclusions indemnitaires, enregistrées le 24 septembre 2019 devant le tribunal administratif de Paris, ne sont pas tardives dès lors que la décision implicite de rejet de sa demande préalable, née le 29 janvier 2019 du silence gardé par la ville de Paris, n'a pas fait l'objet d'un accusé de réception, comme le prévoient les dispositions précitées des articles L. 112-3 et R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 100-1 du même code que ces dispositions ne sont pas applicables à la RATP, établissement public industriel et commercial, qui ne relève ni de la catégorie " administration ", ni de la catégorie " public ", au sens de l'article L. 100-3 dudit code et pour l'application de celui-ci. Si elle se prévaut de sa qualité de tiers à l'égard des travaux publics menés par la ville de Paris, cette circonstance, qui permet de déterminer le régime de responsabilité dont relève sa demande, est sans incidence sur l'application des règles définies par le code des relations entre le public et l'administration. Par suite, contrairement à ce que soutient la requérante, la ville de Paris n'était pas tenue, pour que soit opposable le délai de recours contentieux, d'accuser réception de sa demande préalable indemnitaire en mentionnant les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision prise sur cette demande.

7. Par ailleurs, comme le fait valoir la RATP, les dispositions de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, relatives aux conditions de naissance d'une décision implicite, ne lui sont pas davantage applicables, pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être exposés. En vertu cependant d'une règle générale de procédure, en l'absence de texte réglant les effets du silence gardé pendant plus de deux mois par l'administration sur une demande, un tel silence vaut décision implicite de rejet susceptible de recours. Une telle décision étant née en l'espèce le 29 janvier 2019, la RATP disposait, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de cette dernière date, en application des dispositions de l'article

R. 421-2 du code de justice administrative. L'absence de respect, par la ville de Paris, des dispositions précitées de l'article R. 421-5 de ce code ne peut à cet égard utilement être invoquée par la RATP, la règle qu'elles énoncent ne pouvant par définition trouver à s'appliquer à une décision implicite, qui n'est pas notifiée. Il en résulte que le délai de recours de deux mois ayant expiré le 1er avril 2019, les conclusions indemnitaires de la requérante, enregistrées le

24 septembre de la même année, sont tardives et par suite irrecevables.

8. Enfin, la circonstance que le délai de recours contre une décision implicite puisse, comme en l'espèce, être opposable alors même que cette dernière n'a pas fait l'objet d'un accusé de réception ou d'une notification mentionnant les voies et les délais de recours, ne saurait porter atteinte au droit de la RATP à un recours juridictionnel effectif, garanti par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans la mesure où ces voies et délais, ainsi que la règle générale de procédure énoncée au point 7 du présent arrêt, ne pouvaient être ignorés de l'établissement public requérant, eu égard à sa situation particulière liée à sa qualité de personne publique. Pour les mêmes motifs, le droit à réparation de la RATP ne saurait avoir été méconnu par cette circonstance ; la requérante n'est par suite pas fondée à invoquer une violation des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions indemnitaires de la RATP doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la RATP et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la RATP le versement de la somme de 1 500 euros à la ville de Paris sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1927551/5-3 du 13 avril 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de la RATP sont rejetées.

Article 3 : La RATP versera la somme de 1 500 euros à la ville de Paris en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Régie autonome des transports parisiens et à la ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02679


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02679
Date de la décision : 24/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU ET UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-24;22pa02679 ?
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