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20/10/2023 | FRANCE | N°22PA01853

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 octobre 2023, 22PA01853


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Par une demande enregistrée sous le n° 2100084, Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté n° 1245 PR du 29 décembre 2020, publié au Journal de la Polynésie française le 5 janvier 2021, portant refus de sa demande de licence de création et d'autorisation d'exploitation d'une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora.

II. Par une demande enregistrée sous le n° 2100374, Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Polyn

ésie française d'annuler, d'une part, l'arrêté n° 323 PR du 2 juin 2021, publié au J...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Par une demande enregistrée sous le n° 2100084, Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté n° 1245 PR du 29 décembre 2020, publié au Journal de la Polynésie française le 5 janvier 2021, portant refus de sa demande de licence de création et d'autorisation d'exploitation d'une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora.

II. Par une demande enregistrée sous le n° 2100374, Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler, d'une part, l'arrêté n° 323 PR du 2 juin 2021, publié au Journal de la Polynésie française le 8 juin 2021, portant refus de sa demande de licence de création et d'autorisation d'exploitation d'une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora et, d'autre part, l'arrêté n° 322 PR du 1er juin 2021, publié au Journal de la Polynésie française le 8 juin 2021, portant autorisation de la demande de licence de création et d'autorisation d'exploitation d'une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora, à Nunue, à M. D... A....

Par un jugement nos 2100084, 2100374 du 8 février 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande n° 2100084 de Mme C..., annulé l'arrêté du 1er juin 2021, rejeté le surplus des conclusions de la demande n° 2100374, mis à la charge de la Polynésie française le versement à Mme C... de la somme de 150 000 F CFP au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté les conclusions présentées par M. A... sur le fondement de ces mêmes dispositions.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 22 avril 2022 et les 4 février et 10 mars 2023, M. A..., représenté par Me Quinquis, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 février 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a annulé l'arrêté n° 322 PR du 1er juin 2021 ;

2°) de rejeter la demande de Mme C... présentée devant le tribunal administratif de la Polynésie française ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 400 000 F CFP au titre de l'article L .761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le projet de création de son officine de pharmacie répond de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de Bora Bora au regard notamment de l'importance de la population, résidente et saisonnière, qui sera desservie par l'officine ; c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur les données issues des listes électorales en méconnaissance de la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 ; seules les données issues du recensement de la population effectué par l'Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF) doivent être retenus afin de prendre en considération la population physiquement présente en vertu de la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 et des textes relatifs au recensement de la population effectué par l'ISPF ;

- il remplit également les critères de la localisation de l'officine en tenant compte de la géographie de la commune et de son accessibilité ;

- il répond au critère de l'offre de soin dans le secteur d'implantation dès lors notamment que l'implantation d'une officine dans un secteur améliore localement l'offre de soins ;

- il remplit les critères de l'activité de livraison de médicaments, des horaires d'ouverture et de l'antériorité du centre des intérêts moraux et matériels en Polynésie française et de la compréhension de la langue tahitienne fixés par l'arrêté n°610 CM du 9 mai 1989 ; le tribunal n'a pas examiné ces critères ;

- les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés ;

- le projet de création d'une officine située dans l'immeuble Alana envisagé par Mme C... est situé à proximité de l'officine de pharmacie déjà existante et ne répond donc pas de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de Bora.

Par un mémoire en défense et en appel incident et un mémoire récapitulatif, enregistrés les 24 juin et 23 septembre 2022, Mme C..., représentée par Me Millet, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. A... ;

2°) d'annuler le jugement du 8 février 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés n° 1245 PR du 29 décembre 2020 et n° 323 PR du 2 juin 2021, portant refus de ses demandes de licence de création et d'autorisation d'exploitation d'une officine ;

3°) d'enjoindre à l'administration de prendre une nouvelle décision sur sa demande dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 000 F CFP par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 500 000 F CFP au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la recevabilité de ses conclusions :

- l'ensemble de ses conclusions sont recevables dès lors que les décisions rejetant sa demande et celle autorisant la création et l'exploitation de l'officine de pharmacie de M. A... sont connexes ;

Sur les moyens soulevés par M. A... :

-les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés ;

Sur la régularité du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés n° 1245 PR du 29 décembre 2020 et n° 323 PR du 2 juin 2021 :

- les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de l'incompétence du Président de la Polynésie française pour fixer la zone d'implantation d'une pharmacie ;

Sur les moyens dirigés contre l'arrêté n° 1245 PR du 29 décembre 2020 :

- l'arrêté contesté en tant qu'il fixe le secteur d'implantation de la future officine de pharmacie de l'île de Bora Bora a été prise par une autorité incompétente ; une telle décision relève en effet de la compétence du conseil des ministres ;

- le pouvoir réglementaire ne pouvait pas, dans le même arrêté, fixer le secteur d'implantation de la future officine et rejeter sa demande au motif qu'elle ne portait pas sur ce secteur ; l'arrêté litigieux méconnaît l'article 25 de la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 ainsi que la circulaire n° 2004-440 du 13 septembre 2004 ; quand bien même cette dernière n'est pas applicable en Polynésie française, il s'agit d'une interprétation de bon sens ; l'administration l'a placée dans l'impossibilité de régulariser sa situation ;

- à titre subsidiaire, la décision fixant la zone où devra être implantée l'officine de pharmacie est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'une officine de pharmacie dans le secteur d'Anau ne répond pas de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de ce secteur ; la population de passage, constituée par le personnel des hôtels qui se rend dans la zone d'Anau, ne doit pas être prise en considération dans l'appréciation des besoins de la population en médicaments ;

- son projet d'implanter une officine de pharmacie dans le secteur de Nunue 2 répond de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de ce secteur ; elle a proposé notamment de mettre en place un service gratuit de livraison à domicile pour la population de Bora Bora et notamment pour le district d'Anau qui, au demeurant, ne figure pas au nombre des quartiers prioritaires ;

Sur les moyens communs aux arrêtés n° 1245 PR du 29 décembre 2020 et n° 323 PR du 2 juin 2021 :

- son projet d'implanter une officine de pharmacie dans le secteur de Nunue 2 répond de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de ce secteur ;

- le président de la Polynésie française ne peut légalement lui opposer le motif tiré de ce que l'officine de pharmacie envisagée serait située trop près de l'officine de pharmacie existante dès lors que la distance prévue en l'espèce de 1 250 mètres respecte les exigences fixées par l'article 26 de la délibération du 20 octobre 1988 ;

- le président de la Polynésie française a implicitement usé de la faculté prévue par l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988 pour appliquer une distance minimale différente de la distance minimum légale de 1000 mètres ; toutefois, une telle décision ne relève pas de sa compétence mais de celle du conseil des ministres ; en ne précisant pas cette distance minimum, sa décision est arbitraire ; en outre, le président de la Polynésie française ne peut légalement, dans le même arrêté, imposer une distance minimum entre l'emplacement prévu pour la future officine et l'officine existante la plus proche et refuser d'accorder l'autorisation sollicitée ;

- les arrêtés en litige sont entachés d'erreur de droit en ce que la réponse optimale aux besoins en médicaments de la population apportée par le projet envisagé a été appréciée au regard de l'ensemble de la population de Bora Bora et non au regard de la population des seuls quartiers d'accueil de l'officine de pharmacie pour laquelle l'autorisation a été sollicitée ; le président de la Polynésie française a ainsi méconnu l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988 ;

- ils sont entachés d'erreur de droit en ce qu'ils sont fondés sur des critères qui ne sont pas ceux que prévoit la loi en matière de création d'officine de pharmacie ; le critère de " besoin réel de la population " retenu par les arrêtés contestés ne doit être pris en compte que dans le cadre d'un transfert d'officine ; la notion d'" impératif de santé publique " également retenue par les arrêtés en litige n'est pas prévue par les textes ;

- ils sont entachés d'erreur d'appréciation dès lors que l'implantation d'une officine de pharmacie dans le secteur envisagé répond de façon optimale aux besoins en médicaments de la population du secteur de Nunue 2, eu égard notamment à la densité de la population dans ce secteur qui est la plus importante de Bora Bora et à la concentration de l'offre médicale proche de la zone du centre commercial " résidence Alana " ; la Polynésie française ne saurait soutenir que l'actuelle pharmacie de Bora Bora est parfaitement en mesure d'assumer seule la charge de l'ensemble des prescriptions des nombreux professionnels de santé du secteur manière totalement satisfaisante pour la population.

Par un mémoire enregistré le 8 février 2023, la Polynésie française, représentée par Mes Jourdainne et Daviles-Estines, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation du jugement du 8 février 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés n° 1245 PR du 29 décembre 2020 et n° 323 PR du 2 juin 2021 ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler le jugement du 8 février 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a annulé l'arrêté n° 322 PR du 1er juin 2021 ;

3°) de rejeter la demande de Mme C... présentée devant le tribunal administratif de la Polynésie française.

Elle soutient que :

Sur les conclusions de M. A... :

- au vu des résultats du recensement général de la population, qui doivent être pris en considération afin de quantifier l'ensemble de la population qui réside de manière stable dans une zone déterminée en lieu et place des données électorales présentées par Mme C..., et de l'importance de la population touristique et l'implantation de nombreux hôtels, le lieu d'implantation de l'officine envisagé par M. A... desservait un bassin de population important, justifiant la création d'une officine de pharmacie à cet emplacement ;

- l'intérêt de développer une offre de soin de proximité, grâce à l'ouverture d'une officine de pharmacie, à côté d'un établissement scolaire vers lequel 1 400 personnes convergent chaque jour ne peut être contesté quand bien même la réglementation ne se réfère qu'à la population résidant dans les quartiers d'accueil ;

- la localisation de l'officine de pharmacie en cause permettait de pourvoir, outre aux besoins de la population hôtelière de ce secteur, aux besoins d'une population résidente jusqu'ici non desservie ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la disponibilité d'une offre médicale à proximité d'une officine de pharmacie n'est pas au nombre des critères fixés par la réglementation ; en tout état de cause, le projet de M. A... permettrait d'assurer une bonne répartition de l'offre de soins entre le réseau officinal et médical ;

- dans un souci d'intérêt de la santé publique, l'autorité, conformément à la réglementation, a cherché l'emplacement de l'officine de pharmacie qui permettait de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population ;

- le projet de M. A... remplit les critères de l'activité de livraison de médicaments, des horaires d'ouverture et le lien du pharmacien avec la Polynésie française ; le tribunal n'a pas examiné ces critères ;

Sur les conclusions de Mme C... :

- à titre principal, les conclusions présentées par Mme C... tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement du 8 février 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française sont irrecevables dès lors qu'elles soulèvent un litige distinct de l'appel principal et qu'elles ont été présentées après l'expiration du délai de recours contentieux ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 ;

- l'arrêté n° 610 CM du 9 mai 1989 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Quinquis, avocat de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., pharmacienne, a sollicité à deux reprises, le 31 août 2020 et le 24 février 2021, la délivrance d'une licence pour la création et l'exploitation d'une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora, à Nunue, sur la terre Namaha, au centre commercial Résidence Alana. Par des arrêtés des 29 décembre 2020 et 2 juin 2021, le président de la Polynésie française a rejeté ces demandes. Par un arrêté du 1er juin 2021, la même autorité administrative a autorisé M. A... à créer et exploiter une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora, à Nunue, sur la terre Paparoa 1. Par un jugement du 8 février 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française, saisi par Mme C..., a annulé l'arrêté du 1er juin 2021 et a rejeté les conclusions à fin d'annulation des arrêtés des 29 décembre 2020 et 2 juin 2021 du président de la Polynésie française. M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé l'arrêté du 1er juin 2021 l'autorisant à créer et exploiter une officine de pharmacie dans la commune de Bora Bora. Par un mémoire intitulé " mémoire en appel incident ", Mme C... demande également à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation des arrêtés des 29 décembre 2020 et 2 juin 2021.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article 25 de la délibération de l'assemblée de la Polynésie française du 20 octobre 1988 relative à certaines dispositions concernant l'exercice de la pharmacie : " Les créations (...) d'officines de pharmacie ouvertes au public doivent permettre de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans les quartiers d'accueil de ces officines. (...) ". Aux termes de l'article 26 de la même délibération : " (...) L'ouverture d'une nouvelle officine dans une commune de plus de 5 000 habitants où une licence a déjà été accordée peut être autorisée par voie de création à raison d'une autorisation par tranche entière supplémentaire de 5 000 habitants recensés dans la commune pour la deuxième officine et à raison d'une autorisation par tranche entière supplémentaire de 7 000 habitants pour les suivantes, à l'exception de la commune de Papeete. (...) /Il ne peut être accordé plus d'une autorisation de création d'officine au même pharmacien. /La population dont il est tenu compte est la population municipale totale, telle qu'elle est issue du dernier recensement général de la population ou, le cas échéant, des recensements complémentaires, publiés au Journal officiel de la Polynésie française.(...) ".

3. Aux termes de l'article 67 de l'arrêté n° 610 CM du 9 mai 1989 portant application de la délibération du 20 octobre 1988 relative à certaines dispositions concernant l'exercice de la pharmacie : " Les critères permettant à la commission de régulation mentionnée au chapitre IV du titre II de la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 de rendre son avis sur une demande d'autorisation de création ou de transfert d'une officine de pharmacie ou d'un local secondaire au regard des besoins de la population et de l'organisation de l'accès aux prestations pharmaceutiques sont : - l'importance de la population desservie par l'officine au regard de la population résidente et saisonnière ;/ - la localisation de l'officine en tenant compte de la géographie de la commune ;/ - l'accessibilité de l'officine ;/ - l'offre de soins dans la commune ;/ - les activités proposées par l'officine ;/- les horaires d'ouverture ;/- l'antériorité des centres des intérêts matériels et moraux ;/- la maîtrise et la compréhension d'une langue polynésienne ".

4. Pour l'application des dispositions de l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988 citées au point 2, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier les effets de la création envisagée sur l'approvisionnement en médicaments du quartier de desserte de l'officine à créer. La population résidente, au sens des mêmes dispositions, doit s'entendre, outre éventuellement de la population saisonnière, de la seule population domiciliée dans ces quartiers ou y ayant une résidence stable. Enfin, le caractère optimal de la réponse apportée par le projet de création ne saurait résulter du seul fait que ce projet apporte une amélioration relative de la desserte par rapport à la situation d'origine.

En ce qui concerne la zone géographique à prendre en considération :

5. Il résulte des points 2 à 4 que les effets des projets de création d'officines de pharmacie sur la commune de Bora Bora doivent être appréciés au regard de l'approvisionnement en médicaments de la population résidant dans les quartiers de desserte de ces officines de pharmacie à créer, laquelle ne saurait se confondre avec l'ensemble de la population résidant sur l'île.

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :

6. Il ressort des termes du jugement attaqué que pour annuler l'arrêté n° 322 PR du 1er juin 2021 du président de la Polynésie française autorisant M. A... à créer et à exploiter une officine de pharmacie située sur la commune de Nunue, les premiers juges ont considéré que ce projet de création d'officine pharmaceutique ne peut être regardé comme répondant de façon optimale aux besoins en médicaments de la population de Bora Bora au sens et pour l'application des dispositions des articles 25 et 26 de la délibération du 20 octobre 1988 et que, dès lors, l'arrêté en litige est entaché d'erreur d'appréciation.

7. En premier lieu, M. A... soutient que les premiers juges ne pouvaient pas se fonder sur les données chiffrées portant sur la population de la commune de Bora Bora, notamment de la commune associée de Nunue, issues du recensement de la population émanant du service de l'état civil de la commune de Bora Bora pour l'année 2019 et retenir une répartition des habitants de la commune de Nunue en secteurs issus du découpage électoral du territoire communal alors que seuls les résultats du dernier recensement général de la population émanant de l'Institut de la statistique de la Polynésie française doivent être retenus. Toutefois, si les dispositions de l'article 26 de la délibération du 20 octobre 1988 renvoient aux chiffres du recensement, ce renvoi ne concerne que l'appréciation du nombre d'habitants pris en compte pour décider de l'ouverture d'une nouvelle officine de pharmacie dans une commune de plus de 5 000 habitants et non de son implantation. En revanche, il ne ressort pas des dispositions des articles 25 et 26 de la délibération du 20 octobre 1988, citées au point 2, que les données chiffrées portant sur la population résidant dans le quartier d'accueil du projet de création d'une officine et qui constituent au demeurant seulement un des éléments permettant d'apprécier si cette création d'officine répondra de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans ce quartier, doivent être nécessairement issues du dernier recensement général de la population. Par suite, le tribunal pouvait retenir les données résultant du recensement de la population émanant du service de l'état civil de la commune de Bora Bora pour l'année 2019 qui, bien que reprenant effectivement le découpage électoral en trois secteurs de la commune de Nunue, portaient sur le nombre d'habitants et non sur le nombre d'électeurs.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'île de Bora-Bora, Ile haute, comprend trois communes associées Nunue, Faanui et Anau et qu'elle est desservie par une route circulaire de 32 km. Il ressort de l'annexe du décret n° 2017-2017-1681 du 13 décembre 2017 authentifiant les résultats du recensement de la population 2017 de Polynésie française, publié au Journal officiel de la Polynésie française le 22 décembre 2017, que la population de la commune de Faanui s'élevait à 2 962 habitants, celle de la commune d'Anau à 1 973 habitants et que la commune de Nunue comprenait 5 614 habitants. Il ressort du dossier de demande de création d'une officine de pharmacie présentée le 17 février 2021 par M. A... que l'officine de pharmacie envisagée est située dans la partie sud de la commune de Nunue, à proximité de la pointe Matira de l'île de Bora Bora et à 4,4 km de l'unique officine existante située à Vaitape également dans la commune de Nunue. Il ressort de la carte de densité de la population de Bora Bora issue du recensement de 2017 que l'Institut de la statistique de la Polynésie française a procédé à un découpage de la commune de Nunue en deux secteurs, comprenant 3 295 habitants pour le secteur 143A et 2 319 habitants pour le secteur 143B. C'est dans ce dernier secteur, situé au sud de la commune de Nunue et s'étendant jusqu'à la pointe de Matira, qu'est envisagée la création d'une officine de pharmacie par M. A.... Pour apprécier si cette création permettra de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans les quartiers de desserte de cette officine, il convient donc de se référer à ce secteur.

9. Il ressort des données de l'Institut de la statistique de la Polynésie française que le projet de M. A... est situé dans un secteur comportant davantage d'habitants que le territoire de la commune d'Anau contrairement à ce qu'a estimé le tribunal au vu des données issues du recensement de la population émanant du service de l'état civil de la commune de Bora Bora pour l'année 2019 et qui retiennent une division de la commune de Nunue en trois secteurs, le secteur 3 dans lequel le projet de M. A... est envisagé ne comprenant alors que 1 683 habitants. Toutefois, quand bien même la population desservie par l'officine de pharmacie de M. A... serait supérieure à celle d'Anau, il ressort de l'ensemble des données de 2017 et de 2019, que l'officine de pharmacie sera implantée dans tous les cas dans le secteur le moins peuplé de Nunue.

10. En troisième lieu, M. A... et la Polynésie française soutiennent que le secteur d'implantation du projet, situé ainsi qu'il a déjà été dit à proximité de la pointe de Matira qui serait la partie la plus touristique de l'île, est fréquenté par une population saisonnière composée de nombreux touristes, clients des hôtels ou de pensions de famille situés à proximité, et des employés des hôtels. Il ressort des points 2 à 4 que la population saisonnière résidant dans le quartier de desserte du projet d'officine de pharmacie de M. A... doit être prise en considération pour apprécier les effets de cette création en approvisionnement en médicaments de ce quartier. Cependant, si M. A... et la Polynésie française se prévalent de la présence respectivement d'au moins 484 à 553 touristes dans ce secteur, ces données qui procèdent d'une simple estimation effectuée par ces derniers à partir du nombre d'hôtels et des hébergements proposés, comme en outre celle du nombre d'employés des hôtels qui n'est pas au demeurant précisé pour ce seul secteur, ne sont pas corroborées par les pièces du dossier. Dans ces conditions, la population saisonnière, incluant les touristes et les employés des hôtels n'étant pas précisément établie, les chiffres avancés ne peuvent pas être pris en considération pour apprécier la population du quartier de desserte du projet d'officine de pharmacie de M. A.... Par ailleurs, la Polynésie française ne peut utilement invoquer la construction d'un nouvel hôtel qui accueillera des touristes supplémentaires dans ce même quartier alors qu'il ressort des pièces du dossier que ce projet de construction a seulement fait l'objet d'une étude d'impact. Dans ces conditions, au vu de l'état d'avancement de ce projet, il ne peut être regardé comme présentant un caractère certain et ne peut dès lors être pris en considération.

11. En quatrième lieu, M. A... se prévaut de la population fréquentant le collège lycée de Bora Bora situé à proximité de son officine de pharmacie. Cependant, cette population de passage, même si elle comprend quarante-cinq internes, ne peut être légalement prise en considération pour apprécier la satisfaction des besoins en médicaments de la population résidant dans le quartier d'accueil de l'officine au sens des dispositions de l'article 25 de la délibération du 20 octobre 1988. Pour le même motif, M. A... ne peut utilement soutenir que la localisation du projet d'officine en pharmacie en litige constituerait un lieu de passage des habitants d'Anau et que cette population doit être prise en compte comme étant desservie par cette officine.

12. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'offre médicale de l'île est concentrée dans la zone de Nunue 2 à proximité du centre commercial " Résidence Alana ", alors que le secteur d'implantation prévu par M. A... en est dépourvu. Il ne peut être utilement invoqué par M. A... et la Polynésie française, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, le fait purement hypothétique que l'implantation du projet en cause permettrait la couverture des zones moins médicalisées de l'île et que le projet prévoit un local juxtaposé à la pharmacie ainsi que deux locaux à l'étage susceptibles d'accueillir de nouveaux professionnels de santé et ainsi améliorer l'offre de soins dans cette zone. La mise en œuvre d'un dispositif de livraison de médicaments par M. A... est sans incidence sur l'appréciation de la pertinence de l'implantation envisagée au regard des besoins en médicaments de la population du secteur de Nunue 3. Au vu de l'ensemble des éléments énoncés aux points 7 à 10, la seule circonstance que le projet de pharmacie se situe dans une zone relativement éloignée du centre urbain de l'île et de la pharmacie existante ne suffit pas à caractériser l'existence d'une desserte optimale de la population alors que, ainsi qu'il a déjà été dit, l'officine de pharmacie de M. A... est située dans le secteur le moins peuplé de la commune de Nunue. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le projet de création d'officine pharmaceutique de M. A... ne peut être regardé comme répondant de façon optimale aux besoins en médicaments de la population du quartier concerné au sens et pour l'application des dispositions mentionnées au point 3 et que l'arrêté du 1er juin 2021 était ainsi entaché d'une erreur d'appréciation.

13. Le projet de création d'officine pharmaceutique de M. A... ne pouvant être regardé comme répondant de façon optimale aux besoins en médicaments de la population desservie, l'intéressé ne peut utilement se prévaloir de ce que son projet remplissait les conditions de l'accessibilité de l'officine, des activités proposées par l'officine comme la mise en œuvre d'actions de préventions à destination des élèves du collège lycée de Bora Bora, des horaires d'ouverture, de l'antériorité des centres des intérêts matériels et moraux et de sa maîtrise et de la compréhension de la langue polynésienne prévus par l'article 67 de l'arrêté n° 610 CM du 9 mai 1989. Pour le même motif, les premiers juges n'étaient pas tenus d'examiner la demande de M. A... au regard de ces critères.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... et la Polynésie française ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'arrêté du 1er juin 2021 du président de la Polynésie française l'autorisant à créer et à exploiter une officine de pharmacie à Nunue. Par voie de conséquence, les conclusions de M. A... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie française tirée de l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident présentées par Mme C... :

15. Aux termes de l'article R. 811-5 du code de justice administrative : " Les délais supplémentaires de distance prévus à l'article R. 421-7 s'ajoutent aux délais normalement impartis (...) ". Aux termes de l'article R. 421-7 de ce même code : " Lorsque la demande est portée devant un tribunal administratif qui a son siège en France métropolitaine ou devant le Conseil d'Etat statuant en premier et dernier ressort, le délai de recours prévu à l'article R. 421-1 est augmenté d'un mois pour les personnes qui demeurent (...) en Polynésie française, (...) ".

16. Les conclusions présentées par Mme C... tendant à l'annulation du jugement du 8 février 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés n° 1245 PR du 29 décembre 2020 et n° 323 PR du 2 juin 2021, portant refus de ses demandes de licence de création et d'autorisation d'exploitation d'une officine de pharmacie soulèvent un litige distinct de l'appel principal présenté par M. A... et ont le caractère non d'un appel incident, ni même d'un appel provoqué, mais d'un appel principal. Or, il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à Mme C... le 16 février 2022. Il résulte des dispositions des articles R. 811-5 et R. 421-7 du code de justice administrative citées au point 13 que Mme C... pouvait présenter une requête d'appel jusqu'au 17 mai 2022. Or, les conclusions mentionnées ci-dessus ont été enregistrées au greffe de la cour le 24 juin 2022, soit après l'expiration du délai de recours contentieux. Par suite, la Polynésie française est fondée à soutenir que ces conclusions sont irrecevables pour tardiveté. Il s'ensuit que ces conclusions doivent être rejetées, ainsi que par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction en vue du réexamen par la Polynésie française de sa demande de création et d'autorisation d'exploitation d'une officine de pharmacie et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation et d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par Mme C... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à Mme B... C... et à la Polynésie française.

Copie en sera délivrée au Haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2023.

La rapporteure,

V. LARSONNIER La présidente,

A. MENASSEYRE

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA01853 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01853
Date de la décision : 20/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL PIRIOU QUINQUIS BAMBRIDGE-BABIN

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-20;22pa01853 ?
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