Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sur les hauts revenus auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 à 2014.
Par un jugement n° 2000590 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Paris a déchargé Mme A... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à sa charge au titre de l'année 2014 correspondant à la différence d'imposition entre le produit de 300 000 euros soumis à l'impôt sur le revenu et celle résultant de son imposition en tant que plus-value à long terme au taux de 16 %, dans la limite du montant de 118 672 euros, et rejeté le surplus de ses conclusions à fin de décharge.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires complémentaires dont le dernier n'a pas été communiqué, enregistrés les 25 mars et 9 septembre 2022 ainsi que le 22 septembre 2023, Mme A..., représentée par Me Dimey, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 2000590 du 25 janvier 2022 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté, au titre de l'année 2014, sa demande tendant à ce que la plus-value à long terme soit taxée sur une base de 252 160 euros ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de rejeter le recours incident du ministre ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le montant de la plus-value à long terme s'élève à la somme de 252 160 euros et non de 300 000 euros, ainsi que cela résulte du courrier des services fiscaux du 17 mai 2016 ; du reste, la charge exceptionnelle de 47 840 euros était légalement déductible du montant de cession de 300 000 euros en vertu du 1 du I de l'article 39 quindecies du code général des impôts ;
- l'administration aurait, en tout état de cause, dû prononcer, pour l'exécution du jugement du tribunal administratif de Paris, un dégrèvement de 70 672 euros et non de 24 172 euros, en sorte qu'un dégrèvement complémentaire de 46 500 euros doit être prononcé ;
- le recours incident ne peut qu'être rejeté dès lors que l'Eurl Art World, nouvelle dénomination sociale de la Sarl Neila Vintage et Design, détient le droit au bail sur les locaux sis 28 rue du Mont Thabor à Paris depuis le mois de septembre 2011, comme établi notamment par un avenant du 5 septembre 2011 au bail commercial initial.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 17 août et 20 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête et demande, par recours incident, l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Paris ainsi que le rétablissement des impositions résultant d'un rehaussement des revenus déclarés en 2014 par Mme A... d'une somme de 118 672 euros.
Il fait valoir que :
- le droit au bail ayant été acquis moins de deux ans avant sa cession le 7 avril 2014, la plus-value réalisée à cette occasion relève du régime de la plus-value de court terme ;
- en effet, cette cession a été enregistrée en comptabilité comme un bénéfice industriel et commercial, le droit au bail n'a été inscrit à l'actif de la société qu'à compter de l'exercice 2012, et tant l'acte de cession du 7 avril 2014 que l'acte de mutation enregistré au service des impôts aux entreprises le 14 avril 2014 établissent que la société Art World n'est titulaire du droit au bail que depuis le 16 juin 2012.
Par un avis du 28 octobre 2022, enregistré le 7 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a prononcé un dégrèvement de 46 500 euros.
Par courrier du 19 septembre 2023, la Cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt à intervenir était susceptible de se fonder sur le moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions relatives à l'exécution du jugement, qui, si elles peuvent utilement être présentées devant le tribunal administratif en application de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, n'entrent en revanche pas dans les prévisions de l'article R. 811-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Perroy,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique,
- et les observations de Me Cros représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. L'Eurl Art World, qui exerçait une activité de vente d'œuvres d'art, d'antiquités et de joaillerie et dont Mme A... était l'unique associée et représentante légale avant sa liquidation judiciaire par un jugement du 11 juin 2015, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour les exercices 2012 à 2014, à l'issue de laquelle lui ont été notifiés, par une proposition de rectification du 22 septembre 2015, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des rehaussements de ses bénéfices industriels et commerciaux. Mme A... a parallèlement fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle pour la même période et les bénéfices industriels et commerciaux non déclarés par la société Art World ont été réintégrés dans la base son impôt sur le revenu au titre des années 2012 à 2014. Suite au recours d'assiette qu'elle a exercé contre ces suppléments d'imposition, le tribunal administratif de Paris, par jugement n° 2000590 du 25 janvier 2022, a déchargé Mme A... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à sa charge au titre de l'année 2014 correspondant à la différence d'imposition entre le produit de 300 000 euros soumis à l'impôt sur le revenu et celle résultant de son imposition en tant que plus-value à long terme au taux de 16 %, dans la limite du montant de 118 672 euros, et rejeté le surplus de ses conclusions à fin de décharge. Par sa requête, Mme A... demande à la Cour de réformer ce jugement en ce qu'il a rejeté, au titre de l'année 2014, sa demande tendant à ce que la plus-value à long terme soit taxée sur une base de 252 160 euros. Par recours incident, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande pour sa part l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Paris ainsi que le rétablissement des impositions résultant d'un rehaussement des revenus déclarés en 2014 par Mme A... d'une somme de 118 672 euros.
Sur le recours incident du ministre :
2. Aux termes de l'article 39 duodecies du code général des impôts : " 1. Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou à long terme. / 2. Le régime des plus-values à court terme est applicable : a. Aux plus-values provenant de la cession d'éléments acquis ou créés depuis moins de deux ans. / 3. Le régime des plus-values à long terme est applicable aux plus-values autres que celles définies au 2. (...) ". Aux termes de l'article 39 quindecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. 1. Sous réserve des dispositions des articles 41, 151 octies et 210 A à 210 C, le montant net des plus-values à long terme fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 16 %. (...) ". Enfin, en vertu du 4° de l'article 8 du code général des impôts, l'associé unique d'une société à responsabilité limité est soumis à l'impôt sur le revenu lorsque cet associé est une personne physique.
3. Le tribunal administratif de Paris a jugé que devait être appliqué à la cession, le 7 avril 2014, par la société Art World de son droit au bail sur les locaux situés rue du Mont Thabor à Paris, le régime des plus-values à long terme prévu au 3 de l'article 39 duodecies du code général des impôts en considérant qu'il était constant que la durée de détention de cet élément d'actif était supérieure à deux ans à la date de la cession. Le ministre soutient que le produit de la cession du droit à bail relevait du régime des plus-values à court terme dès lors que ce droit n'a été immobilisé à l'actif de la société que moins de deux ans avant sa cession en versant aux débats l'acte de cession du 7 avril 2014 qui mentionne, en son article 3, qu'" aux termes d'un acte sous seing privé en date 26 juin 2012, la société MAB, a fait bail et donné à loyer, à titre commercial, à la société Art World les locaux (...) " et précise, en son article 4, que " La cédante est propriétaire du droit à bail dont s'agit pour l'avoir acquis aux termes d'un acte sous seing privé en date du 26 juin 2012 ". Corroborant ces mentions, il verse également dans l'instance l'acte de mutation du fonds de commerce, enregistré au service des impôts des entreprises le 14 avril 2014, lequel renseigne une acquisition, par l'Eurl Art World, du droit au bail le 26 juin 2012, ainsi que l'acte de vente du 26 juin 2012 par lequel la société Albert Ier a vendu les murs des locaux à la société MAB, laquelle a ensuite cédé le bail commercial des locaux à l'Eurl Art World, et qui mentionne que le bien était loué, par bail du 1er mars 2007 d'une durée de 9 ans, à Mme A....
4. Mme A... conteste que le droit au bail ait été acquis par l'Eurl Art World le 26 juin 2012, en expliquant avoir acquis le bail commercial le 1er mars 2007 pour exercer une activité à titre individuel, avant de restructurer, en 2011, son activité sous la forme d'une Sarl, Neila Vintage et Design, laquelle a changé de dénomination sociale le 18 juin 2013, pour devenir l'Eurl Art World. Elle ajoute que la société Neila Vintage et Design a pris à bail le local dès le 9 septembre 2011, et verse aux débats un avenant au bail du 1er mars 2007 qui autorise la société à exploiter le bail en cours, ainsi que des factures établissant que les loyers acquittés à la SCI Albert Ier l'ont été par la société Neila Vintage et Design. Toutefois, par ces pièces, qui n'ont pas date certaine et qui sont contredites par les actes du 26 juin 2012 et du 7 avril 2014, Mme A... établit seulement que la société a pu exploiter, pour son activité, le bail commercial, mais sans aucune des garanties, à l'instar notamment du droit au renouvellement, que comporte un droit au bail. Il résulte ainsi de l'instruction, et notamment de l'examen de l'avenant du 9 septembre 2011, qui mentionne que Mme A... restera caution personnelle des sommes dues inhérentes à l'exploitation du bail, que l'intéressée est demeurée titulaire du droit au bail jusqu'à sa cession, le 26 juin 2012, à la société Art World, qui en était auparavant seulement sous-locataire avec l'accord du bailleur.
5. Il suit de ce qui précède que le produit de la cession, par la société Art World, de son bail commercial, du reste comptabilisé par elle comme un bénéfice industriel et commercial, relevait, ainsi que le soutient le ministre et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, du régime de la plus-value de court terme, de sorte que l'administration était fondée, en application des dispositions combinées du a du 2 de l'article 39 duodecies et de l'article 8 du code général des impôts, à imposer la somme de 300 000 euros, de laquelle a été déduite la somme de 47 840 euros correspondant à la valeur d'inscription du droit au bail dans les comptes de la société, entre les mains de Mme A... dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au titre de l'année 2014. Le ministre est ainsi fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Paris.
Sur les conclusions de Mme A... :
6. En premier lieu, si Mme A... soutient que le tribunal a commis une erreur dans la détermination de l'assiette de la plus-value de long terme à laquelle doit s'appliquer le taux prévu au 1 du I de l'article 39 quindecies du code général des impôts, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que la plus-value à taxer relevait, ainsi qu'il a été dit, du régime de la plus-value de court terme. En tout état de cause, la plus-value de court terme est assise sur le montant de 252 160 (soit 300 000 - 47 840) euros revendiqué par la requérante.
7. En second lieu, la requérante n'est en tout état de cause pas recevable à contester devant la Cour les modalités d'exécution, par l'administration fiscale, du jugement rendu par le tribunal administratif, un tel litige relevant, en application de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, de la seule compétence de ce tribunal.
Sur les frais d'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à Mme A... la somme qu'elle lui réclame au titre des frais qu'elle a exposés dans l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête présentée par Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2000590 du 25 janvier 2022 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 3 : La cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu et la cotisation supplémentaire de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles Mme A... a été assujettie au titre de l'année 2014 ainsi que les pénalités correspondantes, dont le tribunal a prononcé la décharge, sont remises à la charge de Mme A....
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Perroy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2023.
Le rapporteur,
G. PERROY
La présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA0140202