La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2023 | FRANCE | N°21PA03991

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 13 octobre 2023, 21PA03991


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Entropia Conseil a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner SNCF Réseau à lui verser la somme de 149 730 euros au titre du préjudice résultant de son éviction, qu'elle estime irrégulière, du marché de prestations d'études en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), la somme de 356 675 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation irrégulière de quatre commandes ainsi que la somme de 175 035 euros du fait d'agissements faut

ifs dans la gestion et le règlement des factures et la somme de 54 715 euros au t...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Entropia Conseil a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner SNCF Réseau à lui verser la somme de 149 730 euros au titre du préjudice résultant de son éviction, qu'elle estime irrégulière, du marché de prestations d'études en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), la somme de 356 675 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation irrégulière de quatre commandes ainsi que la somme de 175 035 euros du fait d'agissements fautifs dans la gestion et le règlement des factures et la somme de 54 715 euros au titre des coûts de gestion, de management et de précontentieux résultant de son éviction irrégulière et de la résiliation unilatérale des quatre commandes.

Par un jugement n° 1802437 du 20 mai 2021, le tribunal administratif de Montreuil a condamné SNCF Réseau à verser à la société Entropia Conseil les intérêts moratoires contractuels dus à compter du 14 mars 2013 pour chaque retard de facture figurant dans le tableau récapitulatif produit par la société Entropia Conseil ainsi que l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement pour chaque facture figurant sur ce tableau récapitulatif, se rattachant à une commande conclue à compter du 16 mars 2013 et dont le délai de paiement a commencé à courir à compter du 1er mai 2013, et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 15 juillet 2021 et des mémoires enregistrés le

22 février 2023, le 15 mars 2023 et le 17 avril 2023, la société Entropia Conseil demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 5 du jugement du tribunal administratif de Montreuil par lequel le tribunal a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de condamner SNCF Réseau à lui verser la somme de 149 730 euros au titre du préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché de prestations d'études en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), la somme de 356 675 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation irrégulière de quatre commandes ainsi que la somme de 175 035 euros du fait d'agissements fautifs dans la gestion et le règlement des factures et la somme de 54 715 euros au titre des coûts de gestion, de management et de précontentieux résultant de son éviction irrégulière et de la résiliation unilatérale des quatre commandes ;

3°) de mettre à la charge de SNCF Réseau une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé, dès lors qu'il n'est pas assorti de visas suffisants et d'une analyse suffisante des écritures des parties ;

- la minute du jugement n'est pas signée en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement :

- la procédure de passation du marché GPEC est entachée d'irrégularités constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de SNCF Réseau, dès lors que celui-ci a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des offres et méconnu par suite l'égalité entre les candidats ;

- sa demande indemnitaire au titre de la mission " RNI 2016 " est recevable dès lors que l'article 83-4 du CCCG-PI n'est pas applicable à la résiliation de commandes passées par SNCF Réseau mais uniquement à la résiliation des marchés, l'article 85 du CCCG-PI, applicable au présent litige, n'imposant quant à lui aucun délai pour le dépôt d'un mémoire de réclamation ;

- en tout état de cause, le courrier du 13 octobre 2016 ne peut être regardé comme emportant résiliation du marché dans les formes prévues par l'article 82 du CCCG-PI et sa date de notification par lettre recommandée avec accusé de réception n'est pas établie ;

- le préjudice subi du fait de la résiliation de ses missions " schéma directeur des investissements IDF version 2 ", " mise en œuvre du reporting de l'entretien en IDF " et " reporting des investissements DPF " par SNCF Réseau est établi dès lors qu'elle a versé aux débats des éléments précis et chiffrés émanant de son expert-comptable établissant la perte de marge nette qu'elle a subie correspondant aux montants restant dus au titre des commandes résiliées ;

- si la cour administrative d'appel s'estimait insuffisamment éclairée, elle devrait alors ordonner une mesure d'instruction pour déterminer le montant de ce préjudice ;

- elle justifie d'un préjudice correspondant au surcoût résultant de la résiliation de la mission " reporting des investissement IDF ", distinct de celui tiré de son manque à gagner, dès lors qu'elle a engagé des frais à perte avant la résiliation ;

- les agissements fautifs de SNCF Réseau l'ont contrainte, indépendamment de sa requête devant le tribunal administratif de Montreuil et indépendamment des démarches effectuées en raison des règlements tardifs des factures émises, à mobiliser ses conseils, avocats, experts comptables, tant pour pouvoir effectuer des démarches auprès de SNCF Réseau que pour faire face à une importante désorganisation interne générée par ses agissements, de sorte qu'elle jutifie d'un préjudice indemnisable à ce titre, corresponsant aux coûts de gestion, de management et de précontentieux ;

- elle est fondée à demander la réparation du préjudice tenant aux surcoûts causés par la signature tardive des commandes par la société SNCF Réseau, postérieurement à la date du début d'exécution des prestations dès lors qu'elle a exécuté les prestations qui en étaient l'objet conformément aux ordres qui lui avaient été donnés, alors qu'elle n'a été informée que le 22 mars 2016 de ce que seule la direction des achats de SNCF Réseau était habilitée à engager l'entreprise à l'égard de ses fournisseurs ;

Par des mémoires en défense enregistrés 20 avril 2022 et le 15 mars 2023, SNCF Réseau conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Entropia Conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

- la circonstance que l'exemplaire du jugement notifié à la requérante ne comporte pas la signature des membres de la formation de jugement est sans incidence sur la régularité du jugement ;

- la procédure de passation lancée par SNCF Réseau pour le marché GPEC n'était pas entachée d'irrégularité ;

- avec une note technique de 14,60/20, et une note financière de 14,97/20, la société BIPE a bien obtenu la note finale de 14,75/20 ;

- la note obtenue par la société Entropia Conseil n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation compte tenu de la pondération des critères technique et financier ;

- la demande présentée au titre de la mission " RNI 2016 " est irrecevable en application de l'article 83-4 du CCCG-PI ;

- la société Entropia Conseil n'établit pas la perte de bénéfice net dont elle sollicite l'indemnisation au titre des missions " schéma directeur des investissements IDF version 2 ", " mise en œuvre du reporting de l'entretien en IDF " et " reporting des investissements DPF ", les illustrations produites par Entropia Conseil correspondant à l'intégralité du montant non consommé de la commande et non à la perte de bénéfice net subi ;

- la requérante n'apporte pas d'éléments suffisants permettant d'établir la réalité de son préjudice correspondant au surcoût allégué résultant de la résiliation de la mission " reporting des investissement IDF ", et son caractère distinct du manque à gagner ;

- l'existence d'un préjudice relatif aux " coûts de gestion, de management et de précontentieux " résultant des agissements prétendument fautifs de SNCF Réseau n'est pas démontré ;

- le préjudice qui correspondrait à la signature tardive des bons de commande par SNCF Réseau, postérieurement à la date du début d'exécution des prestations en cause n'est justifié ni dans son principe ni dans son montant ;

- l'exécution de prestations en dehors de tout contrat relève de la responsabilité personnelle d'Entropia Conseil et ne saurait engager SNCF Réseau sur le terrain contractuel.

La clôture de l'instruction a été fixée au 17 avril 2023 à 12:00 heures par une ordonnance du 15 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des transports ;

- la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ;

- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ;

- le décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

- le cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles de la SNCF ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bruston, rapporteure,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Delarousse, représentant la société SNCF Réseau.

Considérant ce qui suit :

1. La société Entropia Conseil, qui exerce depuis 2011 une activité de conseil en organisation, management et prestations de services notamment en matière ferroviaire, effectue depuis sa création des missions de prestations intellectuelles sous forme de commandes pour la Société nationale des Chemins de Fer (SNCF) et Réseau Ferré de France (RFF), entités qui ont été, à la suite de la réforme relative à l'organisation du système ferroviaire en 2015, regroupées pour former l'établissement public industriel et commercial SNCF Réseau, devenu, depuis le 1er janvier 2020, la SA SNCF Réseau. En mars 2016, SNCF Réseau a lancé une procédure négociée en vue de l'attribution d'un marché de prestations d'études en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pour lequel la société requérante a déposé une offre le 31 mars 2016. Par un courrier électronique du 3 mai 2016, SNCF Réseau a informé la société Entropia Conseil que son offre était rejetée et que le marché était attribué à la société BIPE. Estimant avoir été irrégulièrement évincée de ce marché, la société requérante a adressé, le 22 novembre 2017, une demande préalable tendant au versement de la somme de 149 730 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière du marché. Elle a également sollicité, dans le cadre de la responsabilité contractuelle, le versement d'une indemnité de 356 675 euros en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation par SNCF Réseau de quatre commandes passées avec elle, ainsi que la somme de 175 035 euros en réparation des fautes commises dans la gestion et le règlement des factures dues par SNCF Réseau depuis 2011 et notamment la somme de 47 853,62 euros au titre des intérêts moratoires contractuels. Enfin, la société requérante a demandé la condamnation de SNCF Réseau à lui verser la somme de 54 715 euros au titre des coûts de gestion, de management et de précontentieux résultant des agissements fautifs de SNCF Réseau à son encontre. Par un jugement du 20 mai 2021, dont la société Entropia Conseil relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de SNCF Réseau à lui verser les sommes réclamées en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Montreuil a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par la société requérante. Par suite, la société Entropia Conseil, qui se borne à énoncer que le jugement attaqué ne serait pas suffisamment motivé, dès lors qu'il ne serait pas assorti de visas suffisants et d'une analyse suffisante des écritures des parties, n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité à ce titre.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

4. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur de l'affaire et le greffier, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à la société Entropia Conseil ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

5. En troisième lieu, par un contrat daté du 9 mars 2016, SNCF Réseau a passé commande auprès de la société Entropia Conseil de prestations intellectuelles consistant en des prestations d'assistance à maîtrise d'ouvrage sur la mise en œuvre des RNI 2016 avec transfert de savoir-faire à la SNCF, pour un montant ferme de 440 000 euros HT, cette commande devant entrer en vigueur le 1er janvier 2016, pour une durée de douze mois. Le 1er septembre 2016, la société requérante a été informée, à l'occasion d'une réunion, de la reprise en interne des prestations par SNCF Réseau.

6. Aux termes de l'article 83-4 du CCCG-PI : " Dans les cas de résiliation prévus aux points 1 et 2 de l'article 82, le prestataire est fondé à présenter une demande d'indemnisation du préjudice éventuel qu'il subit du fait de cette décision. Il doit, à cet effet, présenter un mémoire, dûment justifié, précisant le montant de sa demande d'indemnisation. Ce document doit être remis à la personne responsable du marché dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de notification de la décision de résiliation. (...). Aux termes de l'article 82 du CCCG-PI : " Toute résiliation du marché est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. ".

7. Le tribunal administratif de Montreuil a rejeté comme irrecevable la demande présentée par la société Entropia Conseil au motif de la tardiveté du mémoire en réclamation au regard de de l'article 83-4 du CCCG-PI, ce mémoire ayant été reçu plus de quarante-cinq jours après la réception du courrier de résiliation du 16 octobre 2016. Toutefois, SNCF Réseau n'a produit, ni en première instance ni en appel, aucun justificatif de la réception de ce courrier. Ainsi, en l'absence de démonstration de la date de notification du courrier de résiliation, le délai de quarante-cinq jours prévu à l'article 83-4 du CCCG-PI n'a, en tout état de cause, pas commencé à courir. Par suite, c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi. Son jugement en date du 20 mai 2021 doit, dès lors, être annulé en tant qu'il a rejeté la demande présentée la société Entropia Conseil au titre de son préjudice résultant de la résiliation de la mission " RNI 2016 ".

8. Il y a lieu d'évoquer cette partie du litige et de statuer immédiatement sur la demande correspondante présentée par la société Entropia Conseil devant le tribunal administratif de Montreuil et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres demandes.

Sur la responsabilité contractuelle :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par SNCF Réseau :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 85-1 du CCCG-PI de la SNCF applicable aux commandes en cause : " Les différends qui pourraient naître entre les parties à l'occasion de l'exécution du marché doivent faire l'objet, de la part du prestataire, d'un mémoire de réclamation qui doit être remis à la personne responsable du marché. La personne responsable du marché dispose d'un délai maximum de deux mois compté à partir de la réception du mémoire de réclamation pour notifier sa décision. L'absence de décision notifiée dans ce délai vaut rejet de la réclamation. Le prestataire dispose, sous peine de forclusion, d'un délai de trois mois à compter : - de la date de réception de la décision de la personne responsable du marché, ou de la date du rejet implicite de sa demande, pour faire connaître son acceptation ou son refus des propositions qui lui sont faites ou du rejet de sa réclamation par la personne responsable du marché. (...). Passé ce délai, il est réputé forclos ".

10. Il résulte de l'instruction que la demande préalable tendant à l'indemnisation du préjudice subi par la société Entropia Conseil sur le fondement de la responsabilité contractuelle, reçue le 23 novembre 2017 par SNCF Réseau, était fondée, non sur l'article l'article 85-1 du CCCG-PI, mais sur l'article 83-4 de ce document, applicable au litige dès lors que l'arrêt des prestations avant le terme du contrat s'analyse comme une résiliation. Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance des délai prescrits par l'article 85-1 du CCCG-PI ne peut qu'être écartée.

11. En deuxième lieu, pour les motifs énoncés au point 7, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du mémoire en réclamation au regard de l'article 83-4 du CCCG-PI ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne le droit à indemnisation :

12. Aux termes du point 1 de l'article 82 du CCCG-PI applicable aux commandes en cause : " Pour des motifs dont elle est seule juge, la SNCF peut à tout moment mettre fin à l'exécution de tout ou partie des prestations objet du marché. (...). ".

13. SNCF Réseau, qui ne fait état d'aucune faute commise par la société Entropia Conseil, s'est fondée sur la reprise en interne des prestations pour mettre fin aux missions confiées à la société requérante au titre de la mise en œuvre des RNI 2016. Par suite, cette dernière est fondée, en application des dispositions de l'article 83-4 du CCCG-PI, à demander l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la résiliation de cette commande. Ce préjudice correspond au montant du manque à gagner, calculé sur la base de la marge nette et non de la marge brute.

14. En premier lieu, si SNCF Réseau fait valoir que la société Entropia Conseil ne justifie pas d'un préjudice indemnisable, dès lors que les commandes en cause ne prévoient pas de prix ferme, il ressort toutefois des documents contractuels que les prestations demandées étaient suffisamment déterminées dans leur nature et leur durée pour établir un engagement sur un prix correspondant au montant estimé des prestations sollicitées. La circonstance que la facturation soit assurée en régie plafonnée selon un tarif horaire n'est pas de nature à faire obstacle à l'existence d'un préjudice indemnisable en cas de cessation anticipée de la mission. Par suite, SNCF Réseau n'est pas fondée à soutenir qu'en l'absence de résiliation faute d'engagement sur " un volume déterminé de prestations ", la société Entropia Conseil ne justifie pas de l'existence d'un préjudice indemnisable.

15. En deuxième lieu, la société Entropia Conseil peut prétendre à être indemnisée de la perte du bénéfice net dont elle a été privée après déduction de toutes ses charges dont il lui appartient d'établir le montant. Il résulte de l'instruction que, sur les 440 000 euros fermes mentionnés au contrat, 219 800 euros restaient à dépenser au 30 novembre 2016. Pour déterminer le manque à gagner de la société requérante, il y a lieu toutefois de déduire l'ensemble des charges qu'elle aurait dû supporter dans le cadre de l'exécution du contrat, qui incluent nécessairement la part de la masse salariale consacrée à cette dernière, alors même qu'elle n'aurait pas eu d'influence significative sur son activité. Il résulte des documents produits pour la première fois en appel, en particulier du compte de résultats établi au titre de l'année 2016, que la part de la masse salariale et des charges sociales affectées à l'exécution du contrat peut être estimée à 63 % du chiffre d'affaires alors que, s'agissant de prestations intellectuelles, aucune autre charge n'était spécifiquement affectée au marché en cause ainsi qu'en a attesté M. A..., expert-comptable de la société. Dès lors, le montant du préjudice indemnisable auquel peut prétendre la société Entropia Conseil s'élève à la somme de 81 326 euros HT correspondant à la marge nette que lui aurait procurée le contrat s'il avait été poursuivi jusqu'à son terme.

16. Il résulte de ce qui précède que la société Entropia Conseil est fondée à demander la condamnation de SNCF Réseau à lui verser la somme de 81 326 euros HT au titre du préjudice résultant pour elle de la résiliation de la mission " RNI 2016 ".

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la procédure de passation du marché GPEC :

17. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.

18. Il résulte de l'instruction que SNCF Réseau a mis en œuvre, au cours de l'année 2016, une procédure négociée avec mise en concurrence, en application du décret du 20 octobre 2005 relatif aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, pour la passation d'un marché de prestations intellectuelles ayant pour objet une mission de prospective GPEC (Gestion prévisionnelle des Emplois et des Compétences) RH (Ressources Humaines) sur le périmètre SNCF Réseau. La société Entropia Réseau, qui a déposé une offre qui n'a pas été retenue, demande l'indemnisation du préjudice résultant, selon elle, de son éviction irrégulière du marché.

19. En application de l'article 16 du règlement de consultation du marché en cause, les offres étaient appréciées au vu des critères suivants : " a) ensemble des critères qualitatifs pondérés à 60 % : - qualité et pertinence de la méthodologie proposée (pour 30%) ; - références sur des missions similaires (pour 10%) ; - moyens humains, qualifications et expérience de l'accompagnement proposé (pour 20%) ; - capacité à tenir les délais de restitution de l'étude (pour 30%) ; critère RSE : responsabilité sociale et environnementale (pour 5%) ; - compréhension du contexte et de la problématique (pour 5%) ; b) Ensemble financier pondéré à 40 %. "

20. Il résulte du rapport d'analyse des offres, qui présente une valeur suffisamment probante, nonobstant la mention erronée figurant dans le courrier adressé le 27 mai 2016 à la société Entropia Conseil, que la société requérante s'est vu attribuer la note de 11,15 sur 20 pour le critère technique et la note maximale de 20 pour le critère financier, soit la note finale pondérée de 14,69, tandis que la société attributaire du marché a obtenu les notes de 14,60 pour le critère technique et de 14,97 pour le critère financier, soit une note finale pondérée de 14,75. Si la société Entropia Conseil soutient que SNCF Réseau a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de son offre, elle ne peut se prévaloir du fait que son offre était la plus compétitive financièrement, dès lors que le critère du prix ne constitue qu'un des critères d'appréciation des offres pondéré à 40 %. Si la société Entropia Conseil fait également valoir que son offre était initialement classée première au stade de l'analyse des offres avant négociations, il résulte de l'instruction qu'elle avait alors obtenu une note technique moindre que celle de la société BIPE, attributaire du marché, laquelle a amélioré sa proposition financière après négociations. Si la société requérante fait état de son expérience dans le domaine ferroviaire, l'entité adjudicatrice a expliqué l'écart des notes techniques, outre par le manque d'expérience GPEC de la société Entropia Conseil sur " une population à gros volume " comme celle des effectifs de SNCF Réseau, pour le sous-critère " Qualité et pertinence de la méthodologie proposée " (pondéré à 30%) par une analyse géographique jugée insuffisante dans l'offre de la société requérante, pour le sous-critère " Moyens humains, qualifications et expériences de l'accompagnement proposé " (pondéré à 20%) par l'expérience insuffisante du consultant, fil conducteur du projet, et l'absence participative de la consultante et du directeur de mission lors de la soutenance, pour le sous-critère " RSE (Critère Responsabilité Sociale Environnementale) " (pondéré à 5%) par la circonstance que l'offre technique de la société requérante ne traite pas de cet item, et pour le sous-critère " Capacité à tenir les délais de l'étude " (pondéré à 30%), par la circonstance que la date de fin de mission n'est pas complètement respectée. Enfin, le sous-dimensionnement des équipes pour la phase optionnelle, initialement reproché à la société Entropia Conseil, a pu être pris en compte sans méconnaître le principe d'égalité entre les candidats, les offres des candidats devant être examinées dans toutes leurs composantes. Par suite, la société Entropia Conseil n'est pas fondée à soutenir que SNCF Réseau aurait commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation des offres et méconnu, par suite, l'égalité de traitement entre les candidats.

21. Il résulte de ce qui précède que la société Entropia Conseil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a retenu que la procédure de passation du marché n'était pas entachée d'irrégularités constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de SNCF Réseau pour rejeter ses conclusions indemnitaires fondées sur l'irrégularité de son éviction du marché en cause.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :

S'agissant des préjudices résultant de la résiliation des missions " schéma directeur des investissements IDF version 2 ", " mise en œuvre du reporting de l'entretien en IDF " et " reporting des investissements DPF " :

22. Il résulte de l'instruction, notamment des échanges de courriers électroniques et d'écrits reprenant des compte-rendus de réunions avec la société requérante, que SNCF Réseau a manifesté sans ambigüité sa volonté de mettre fin à trois commandes correspondant aux missions " schéma directeur des investissements IDF version 2 ", " mise en œuvre du reporting de l'entretien en IDF " et " reporting des investissements DPF ", avant que l'ensemble des prestations prévues par ces contrats ne soit réalisées et achevées, procédant ainsi à leur résiliation. SNCF Réseau ne faisant état d'aucune faute commise par la société Entropia Conseil, cette dernière est fondée à demander l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la résiliation des contrats conclus pour la réalisation de ces missions, lequel correspond au montant du manque à gagner, calculé sur la base de la marge nette.

23. Si le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes présentées devant lui au motif tiré de l'absence de démonstration de la réalité des préjudices résultant, pour la société requérante, de la résiliation des contrats en cause, il résulte des pièces produites pour la première fois en appel, en particulier du compte de résultat établi pour l'année 2016, que le taux de marge nette pour ces contrats, comprenant uniquement des prestations intellectuelles nécessitant la mobilisation du personnel affecté aux missions concernées, peut être fixé à 37 %, de sorte que son préjudice indemnisable pour chacune des missions interrompues prématurément, s'élève à 23 587,50 euros HT au titre de la mission " schéma directeur des investissements IDF version 2 " pour laquelle 63 750 euros HT restaient à consommer, à 8 047,50 euros HT au titre de la mission " mise en œuvre du reporting de l'entretien en IDF " pour laquelle 21 750 euros HT restaient à consommer, et à 9 435 euros HT au titre de la mission " reporting des investissements DPF " pour laquelle 25 500 euros HT restaient à consommer.

24. Si la société Entropia Conseil soutient également que l'interruption de la mission " reporting des investissements IDF " a entraîné en outre un surcoût de 25 875 euros HT correspondant au coût de mobilisation de l'équipe pour la phase de dialogue et de gestion préparatoire, elle n'établit, pas plus en appel qu'en première instance, la réalité de son préjudice et le caractère distinct de celui tiré de son manque à gagner, dès lors que le montant de la commande est réputé prendre en compte l'ensemble des charges induites pour la réalisation des prestations. Par suite, elle n'est pas fondée à demander le versement de la somme de 25 875 euros HT correspondant au surcoût résultant de la résiliation de la mission " reporting des investissements IDF ".

25. Il résulte de ce qui précède que la société Entropia Conseil est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Il y a lieu de condamner SNCF Réseau à lui verser la somme de 41 070 euros HT au titre de ses préjudices.

S'agissant des préjudices résultant des agissements fautifs de SNCF Réseau dans la gestion et le règlement des factures depuis 2011 :

26. La société requérante demande la réparation d'un préjudice tenant aux surcoûts causés par la signature tardive des commandes par la société SNCF Réseau, postérieurement à la date du début d'exécution des prestations, dès lors qu'elle a exécuté les prestations qui en étaient l'objet conformément aux ordres qui lui avaient été donnés, alors qu'elle n'a été informée que le 22 mars 2016 de ce que seule la direction des achats de SNCF Réseau était habilitée à engager l'entreprise à l'égard de ses fournisseurs. Toutefois, les tableaux produits pour justifier de la réalité et du montant des préjudices qu'elle invoque, établis par la société elle-même, ne permettent pas d'établir qu'elle aurait supporté à ce titre des frais spécifiques, autres que ceux relevant de ses charges habituelles. Les coûts de gestion allégués ne sont pas davantage démontrés par la production d'une attestation de l'expert-comptable de l'entreprise, lequel se borne à faire référence à un coût évalué forfaitairement par facture sans précision sur la nature de ces coûts, alors au demeurant que les retards de paiement ont été pour partie compensés par l'octroi des intérêts moratoires accordés en première instance.

27. Il résulte de ce qui précède que la société Entropia Conseil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus de sa demande formulée au titre des préjudices résultant des agissements fautifs de SNCF Réseau dans la gestion et le règlement des factures depuis 2011.

S'agissant des coûts de gestion, de management et de précontentieux :

28. La société Entropia Conseil reprend en appel les moyens qu'elle avait invoqués en première instance sans apporter aucun élément de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le tribunal administratif de Montreuil sur son argumentation de première instance. Il y a lieu, dès lors, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif, de rejeter la demande de la société Entropia Conseil portant sur l'indemnisation des coûts de gestion, de management et de précontentieux.

Sur les frais de l'instance :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Entropia Conseil la somme demandée par SNCF Réseau au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de SNCF Réseau le versement de la somme de 1500 euros à la société Entropia Conseil au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 5 du jugement n° 1802437 du 20 mai 2021 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : SNCF Réseau est condamnée à verser à la société Entropia Conseil la somme de

122 396 euros HT.

Article 3 : SNCF Réseau versera à la société Entropia Conseil la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Entropia Conseil est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de SNCF Réseau présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Entropia Conseil et à SNCF Réseau.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- Mme Bruston, présidente assesseure,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2023.

La rapporteure,

S. BRUSTON

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA03991 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03991
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Servane BRUSTON
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : CABINET JOFFE et ASSOCIES (SELARL)

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-13;21pa03991 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award