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06/10/2023 | FRANCE | N°23PA01194

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 06 octobre 2023, 23PA01194


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... épouse D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler les arrêtés du 19 novembre 2021 par lesquels le préfet de la Seine-Saint-Denis leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par deux jugements n° 2116880 et n° 2116876 du 22 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Co

ur :

I- Par une requête et une pièce complémentaire, enregistrés les 22 mars 2023 et 11 avr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... épouse D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler les arrêtés du 19 novembre 2021 par lesquels le préfet de la Seine-Saint-Denis leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par deux jugements n° 2116880 et n° 2116876 du 22 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

I- Par une requête et une pièce complémentaire, enregistrés les 22 mars 2023 et 11 avril 2023, Mme D..., représentée par Me Megherbi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 22 février 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 novembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de délivrance d'un certificat de résidence algérien mention " vie privée et familiale ", l'a obligée à quitter le territoire français sans délai et a interdit son retour sur le territoire pendant une durée de deux ans.

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence algérien d'une durée d'un an, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation au regard des critères posés par la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012, compte tenu de sa qualité de parent d'enfants scolarisés en France ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de son intégration sociale et professionnelle et porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français porte atteinte au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 12 de la déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle porte atteinte au droit à l'éducation protégé par l'alinéa 13 du préambule de la constitution de 1946 et à l'intérêt supérieur de ses enfants ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit d'observation en défense.

II- Par une requête et une pièce complémentaire, enregistrés les 22 mars 2023 et 11 avril 2023, M. D..., représenté par Me Megherbi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 22 février 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 novembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de délivrance d'un certificat de résidence algérien mention " vie privée et familiale ", l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a interdit son retour sur le territoire pendant une durée de deux ans.

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence algérien d'une durée d'un an, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation au regard des critères posés par la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012, compte tenu de sa qualité de parent d'enfants scolarisés en France ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de son intégration sociale et professionnelle et porte atteinte à son droit au travail et au respect de sa vie privée et familiale ;

- elle méconnaît l'article 6-5 de l'accord franco-algérien ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- pour rejeter sa demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié, le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait légalement lui opposer l'absence de visite médicale et le défaut de production d'un contrat de travail régulièrement visé dès lors qu'il a déposé un dossier complet comportant l'ensemble des documents exigés par la circulaire du 28 novembre 2012 ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français porte atteinte au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 12 de la déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle porte atteinte au droit à l'éducation protégé par l'alinéa 13 du préambule de la constitution de 1946 et à l'intérêt supérieur de ses enfants ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit d'observation en défense.

Vu :

- les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration universelle des droits de l'homme ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lorin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D..., ressortissants algériens nés respectivement les 14 avril 1972 et 5 mai 1973, sont entrés en France le 28 février 2012, accompagnés de deux de leurs enfants mineurs, nés en 1996 et 2004, la benjamine de leurs enfants étant née en France en 2013. Ils ont sollicité leur admission exceptionnelle au séjour au tire de la vie privée et familiale et en qualité de salarié s'agissant de M. D.... Par deux arrêtés du 19 novembre 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté leurs demandes de titres, leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans. M. et Mme D... relèvent régulièrement appel des jugements du 22 février 2023 par lesquels le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 23PA01194 et n° 23PA01195 présentées par Mme A... D... et M. B... D... présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention ‹ vie privée et familiale › est délivré de plein droit : / (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme D... résident en France depuis le mois de février 2012, soit depuis près de dix ans à la date des arrêtés attaqués. M. D... qui a travaillé entre le 6 septembre 2016 et le 28 février 2017 en qualité d'ouvrier dans le secteur du bâtiment, exerce depuis le mois de juin 2019 un emploi d'aide électricien sous couvert d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein depuis le mois de décembre 2019, son employeur ayant déposé une demande d'autorisation de travail en sa faveur au mois de mars 2021. Mme D..., dont cinq de ses frères et sœurs résident régulièrement en France, s'investit dans des activités associatives au sein de l'association ACAF Horizon qui a pour objet de renforcer les liens d'amitié entre les " citoyens du village d'Ath-Hamdun " (Algérie) de France. L'aîné de leurs trois enfants, désormais majeur, après avoir obtenu son baccalauréat et un brevet d'études professionnelles en logistique et transport en 2018, exerce une activité salariée d'électricien en contrat à durée indéterminée. Le cadet, né en 2004, scolarisé au lycée en classe de terminale à la date des arrêtés attaqués, prépare le baccalauréat et la benjamine, née en 2013, inscrite en deuxième année de cours élémentaire en 2021-2022, a toujours été scolarisée en langue française et pratique régulièrement un sport (karaté), les deux plus jeunes enfants de la fratrie ayant ainsi suivi un enseignement en France depuis plus de neuf ans à la date des arrêtés en litige et ne maîtrisant pas la langue arabe. Ainsi, la possibilité de reconstitution de la cellule familiale, en cas de retour dans son pays d'origine, ne ressort pas des pièces du dossier. Au regard de l'ensemble de ces éléments, M. et Mme D... dont il n'est pas contesté qu'ils sont francophones, disposent par ailleurs d'un logement et s'acquittent de leurs obligations fiscales, démontrent avoir durablement établi le centre de leurs intérêts privés et familiaux en France. Par suite, il ressort des circonstances particulières de l'espèce, qu'ils sont fondés à soutenir que les arrêtés attaqués ont été pris en méconnaissance de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et sont entachés d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle.

5. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que par les jugements contestés, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs demandes dirigées contre les arrêtés du 19 novembre 2021 et à demander à la Cour d'annuler ces jugements et les arrêtés attaqués.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Eu égard au motif d'annulation des arrêtés attaqués ci-dessus retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à M. et Mme D... des certificats de résidence portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de délivrer ces titres dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. et Mme D... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les jugements n° 2116880 et n° 2116876 du tribunal administratif de Montreuil du 22 février 2023 et les arrêtés du préfet de la Seine-Saint-Denis du 19 novembre 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet compétent de délivrer à M. et Mme D... des certificats de résidence algériens mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme D... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. et Mme D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... épouse D..., à M. B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Soyez, président-assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 6 octobre 2023.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 23PA01194, 23PA01195


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01194
Date de la décision : 06/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : MEGHERBI

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-06;23pa01194 ?
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