Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 294 698,87 euros, en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge par l'hôpital Saint-Antoine à compter du mois d'avril 2013 et de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1922719 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à M. D..., d'une part, la somme de 42 122 euros en réparation de ses préjudices, d'autre part, sur présentation à la fin de chaque année, des justificatifs de la réalité de l'assistance par une tierce personne pendant une durée hebdomadaire de deux heures, une rente annuelle payable à terme échu, dont le montant, fixé à 1 325 euros, sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, enfin, une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 15 février 2022, M. D..., représenté par Me Scharr, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du 20 décembre 2021 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il a limité le montant de ses indemnisations ;
2°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 294 698,87 euros, en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge par l'hôpital Saint-Antoine à compter du mois d'avril 2013 ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Saint Antoine et l'AP-HP le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité de l'AP-HP est engagée à raison du défaut d'information sur l'utilité de l'opération et des risques et conséquences qu'elle engendre ;
- ses préjudices s'élèvent :
- au titre des frais divers à la somme de 3 000 euros ;
- au titre de l'assistance par une tierce personne avant consolidation à 17 280 euros ;
- au titre des frais de véhicule adapté à 25 000 euros ;
- au titre de l'incidence professionnelle à 60 000 euros ;
- au titre de l'assistance par une tierce personne après consolidation à 74 881,87 euros ;
- au titre du déficit fonctionnel temporaire à 74 881,87 euros ;
- au titre des souffrances endurées à 15 000 euros ;
- au titre du déficit fonctionnel permanent à 73 060 euros ;
- au titre du préjudice d'agrément à 5 000 euros ;
- au titre du préjudice esthétique permanent à 5 000 euros ;
- au titre du préjudice d'établissement à 10 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 octobre 2022, l'AP-HP représentée par Me Tsouderos conclut à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a retenu une faute médicale dans l'indication opératoire et au rejet des demandes de M. D... hormis l'indemnisation des souffrances physiques prolongées de quelques mois et liées à la deuxième intervention et, à titre subsidiaire, à l'annulation du jugement attaqué s'agissant des sommes allouées au titre de l'assistance par une tierce personne et du déficit fonctionnel permanent ou, à titre plus subsidiaire, à la réduction des indemnisations à de plus justes proportions, et en tout état de cause, au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a fait prévaloir sur les conclusions de l'expertise judiciaire réalisée contradictoirement, celle du médecin conseil du requérant ;
- l'indication opératoire était justifiée par l'état du patient ;
- chacune des deux interventions chirurgicales a été réalisée conformément aux règles de l'art et les mauvais résultats constituent un échec thérapeutique ; la seule réserve formulée par l'expert concerne le fait d'avoir réalisé deux interventions chirurgicales distinctes ; si cette circonstance devait être regardée comme fautive, le seul préjudice qui en résulterait serait une majoration de souffrances durant le délai séparant les deux interventions ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté le moyen tiré d'un défaut d'information dès lors que M. D... a bénéficié de deux consultations avant l'intervention du 28 avril 2013 et que le risque d'échec thérapeutique lui avait été annoncé lors d'une consultation au centre hospitalier d'Orsay du 19 octobre 2012 ; en tout état de cause, il est douteux que M. D... aurait pu se soustraire à terme à la réalisation d'une arthrodèse ;
- les demandes au titre des honoraires d'assistance à expertise, des frais de véhicule adapté, de l'assistance par une tierce personne, du préjudice d'établissement et du préjudice d'agrément, devront être rejetées ;
- l'indemnisation du déficit fonctionnel partiel temporaire doit tenir compte d'un taux réduit de 10% pour les périodes entre les interventions et entre la dernière intervention et le
1er novembre 2014 et d'une indemnité journalière comprise entre 10 et 17 euros ;
- l'indemnisation des souffrances endurées ne saurait dépasser la somme de 7 200 euros ;
- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent ne saurait dépasser la somme de 15 000 euros ;
- l'indemnisation de l'incidence professionnelle ne saurait dépasser la somme de
5 000 euros allouée par les premiers juges ;
- l'indemnisation demandée au titre du préjudice esthétique est excessive et ne saurait dépasser la somme de 3 600 euros.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 14 mars 1980, qui souffrait de douleurs depuis 2011 en raison d'un syndrome de pied plat bilatéral compliqué d'arthrose, à l'origine d'une synostose talo-calcanéenne partielle, a fait l'objet à l'hôpital Saint-Antoine le 28 avril 2013 d'une intervention d'arthrodèse talo-calcanéenne gauche, puis, le 10 décembre 2013 d'une intervention d'arthrodèse complémentaire de l'interligne talo-naviculaire. Le 1er octobre 2014, le matériel d'ostéosynthèse a été retiré. Les douleurs ressenties par M. D... au niveau du pied gauche ont néanmoins persisté. Le 23 février 2016, il a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) d'Ile de France qui a désigné un expert chirurgien orthopédiste dont le rapport a été remis le 10 août 2016. Le 6 avril 2017, la CCI a émis un avis défavorable à la demande d'indemnisation de M. D.... Ce dernier a adressé à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) une réclamation préalable en date du 15 octobre 2019 tendant à l'indemnisation de ses préjudices, restée sans réponse. Il a alors saisi le Tribunal administratif de Paris d'une requête tendant à la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme totale de 294 698,87 euros, en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge par l'hôpital Saint-Antoine à compter du mois d'avril 2013. Par jugement du 20 décembre 2021, le tribunal a condamné l'AP-HP à lui verser, d'une part, la somme de 42 122 euros en réparation de ses préjudices, d'autre part, sur présentation à la fin de chaque année des justificatifs de la réalité de l'assistance par une tierce personne pendant une durée hebdomadaire de deux heures, une rente annuelle payable à terme échu, dont le montant fixé à 1 325 euros sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, enfin, une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. D... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande. L'AP-HP conclut par la voie de l'appel incident à l'annulation ou la réformation du jugement attaqué.
Sur la responsabilité de l'AP-HP :
En ce qui concerne le défaut d'information :
2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.
3. M. D... soutient que la responsabilité de l'AP-HP est engagée à raison d'une absence de délivrance d'information sur l'utilité de l'opération qu'il a subie et des risques et conséquences qu'elle engendre. Toutefois, si le rapport d'expertise du 10 août 2016 relève que " le patient affirme n'avoir reçu aucune information en particulier sur les risques d'échec. Il convient de tenir compte des difficultés de compréhension de la langue française. Aucun consentement écrit et signé ne figure au dossier ", il résulte de l'instruction que
M. D... qui a bénéficié d'une consultation au sein du service de chirurgie orthopédique de l'hôpital Saint-Antoine le 21 mars 2013 avant l'intervention du 28 avril 2013, avait préalablement consulté pour les mêmes symptômes, ainsi que l'a relevé le tribunal, un chirurgien orthopédique du centre hospitalier d'Orsay, lequel avait à cette occasion indiqué, dans un courrier daté du 19 octobre 2012 adressé au médecin traitant du patient et dicté en sa présence, que le traitement chirurgical existant dans cette situation (l'arthrodèse) présentait un résultat " souvent décevant ", sans mentionner de difficultés de compréhension du patient. Dès lors, M. D... doit être regardé comme ayant reçu l'information sur l'existence d'un risque d'échec thérapeutique de l'intervention qu'il a subie les 28 avril et 10 décembre 2013. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'AP-HP serait engagée sur le fondement du défaut d'information.
En ce qui concerne la faute médicale :
4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
5. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du 10 août 2016, que les deux interventions d'arthrodèse pratiquées les 28 avril et 10 décembre 2013 étaient adaptées à la synostose talo-calcanéenne dont souffrait M. D..., dans la mesure notamment où les traitements conservateurs prescrits initialement n'avaient pas apporté l'amélioration souhaitée et que ces deux interventions ont été pratiquées conformément aux règles de l'art. Par suite, la persistance des douleurs dont se plaint M. D... résulte d'un échec thérapeutique des méthodes mises en œuvre et non d'une faute opératoire. Toutefois, il résulte également du rapport d'expertise que les examens per-opératoires mettaient en évidence chez ce patient, outre le syndrome du pied plat, la présence d'une arthrose qui aurait dû conduire à effectuer, au cours de la même intervention, deux gestes d'arthrodèse. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que la réalisation de deux interventions, l'une le 27 avril 2013, pour traiter le pied plat, et l'autre le
10 décembre 2013, pour traiter l'arthrose n'était pas conforme aux règles de l'art et a été à l'origine de préjudices pour le patient. Il y a lieu en conséquence de condamner l'AP-HP à réparer les conséquences de la réalisation fautive en deux temps de l'opération litigieuse.
Sur l'évaluation des préjudices :
6. En premier lieu, M. D... demande au titre des frais deviens, d'une part, le remboursement des frais d'assistance aux opérations d'expertise et produit une facture du 13 décembre 2018 du docteur C... d'un montant de 750 euros d'autres part, des frais d'acquisition d'une canne et de chaussures orthopédiques pour lesquels il ne produit aucun justificatif. Par suite, il y a lieu de lui allouer seulement la somme de 750 euros au titre des frais d'assistance aux opérations d'expertise qui ont été utiles à la résolution du litige.
7. En deuxième lieu, si M. D... sollicite la somme de 25 000 euros au titre des frais d'adaptation d'un véhicule, il ne résulte pas de l'instruction que de tels frais, au demeurant éventuels dès lors que M. D... ne justifie pas disposer d'un véhicule, seraient exposés à raison de la faute commise par l'AP-HP. Cette demande ne peut qu'être rejetée.
8. En troisième lieu, M. D... sollicite au titre de l'aide par une tierce personne une somme avant consolidation de 17 280 euros et après consolidation de 74 881,87 euros. Toutefois, si l'expert judiciaire a estimé que l'état de santé de M. D... était de nature à justifier l'assistance d'une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne du 28 avril 2013 au 1er octobre 2015, ces besoins résultent, non de la faute commise par
l'AP-HP, mais de la persistance de son état antérieur du fait de l'échec thérapeutique des interventions. Cette demande ne peut en conséquence qu'être rejetée.
9. En quatrième lieu, il résulte du rapport d'expertise que l'espacement fautif de huit mois des interventions chirurgicales est à l'origine pour M. D... d'un déficit fonctionnel temporaire total de 6 jours et d'un déficit fonctionnel temporaire de 50% de 65 jours. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant une somme totale de 700 euros à ce titre.
10. En cinquième lieu, il résulte du rapport d'expertise que la faute commise a été à l'origine de souffrances supplémentaires, évaluées par l'expert à 1,5 sur une échelle de 1 à 7. Il y a lieu d'allouer à M. D... une somme de 1 500 euros pour l'indemnisation de ce chef de préjudice.
11. En sixième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la faute commise ait aggravé le déficit fonctionnel permanent dont était atteint M. D... avant les interventions qu'il a subies. Par suite, la demande au titre de ce chef de préjudice ne peut qu'être rejetée.
12. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la faute commise soit pour M. E... à l'origine de préjudices d'établissement, d'agrément ou esthétique, ou ait eu pour lui une incidence professionnelle.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de ramener la somme mise à la charge de l'AP-HP en réparation des préjudices de M. E... résultant de la faute commise dans sa prise en charge par l'hôpital Saint-Antoine à 2 950 euros.
Sur les frais de l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'AP-HP, qui n'est pas, à titre principal, la partie perdante dans la présente instance, verse à M. D... la somme qu'il demande au titre des frais de l'instance.
D E C I D E :
Article 1er : L'indemnisation des préjudices de M. D... par l'AP-HP est ramenée à la somme de 2 950 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1922719 du 20 décembre 2021 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,
- Mme Isabelle Marion, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
Le président-rapporteur,
I. A...L'assesseure la plus ancienne,
M-I. LABETOULLELa greffière,
N. DAHMANILa République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA00719 2