Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 10 mars 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a prononcé son transfert aux autorités néerlandaises, en vue de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2303217 du 18 avril 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 mai 2023, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du Règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, soit l'absence de preuves versées au contradictoire établissant la réalité de la prestation d'interprétariat au cours de l'entretien individuel
- les autres moyens soulevés par M. A... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2023, M. A..., représenté par
Me Tangalakis, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour d'enjoindre au préfet de Seine et Marne d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt ou à titre subsidiaire de lui délivrer une prolongation d'autorisation de séjour pendant le temps du réexamen de sa situation personnelle sous astreinte de 150 euros par jour de retard, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que la requête du préfet n'est pas fondée.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Briançon,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant haïtien, né le 30 septembre 1996, a été reçu par les services de la préfecture de Seine-et-Marne le 23 février 2023 afin de solliciter son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du système " Eurodac " ayant fait apparaître que ses empreintes avaient été relevées le 15 février 2023 par les autorités néerlandaises, le préfet de
Seine-et-Marne a saisi ces autorités le 28 février 2023 d'une demande de reprise en charge. Les autorités néerlandaises ont accepté, le 7 mars 2023, leur responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 18 1. (b) règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement et du Conseil. Par un arrêté du 10 mars 2023, le préfet de Seine-et-Marne a prononcé le transfert de M. A... aux autorités néerlandaises. Le préfet de Seine-et-Marne, relève appel du jugement du 18 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre État qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II (...). ". Selon l'article L. 572-1 de ce code : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4 L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. (...). ". Il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent, afin d'en faciliter la détermination et de vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement, mener un entretien individuel avec le demandeur.
3. Pour annuler l'arrêté du préfet, le tribunal administratif a estimé que l'entretien individuel n'a duré que quelques minutes en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que le préfet de
Seine-et-Marne n'a produit aucun document permettant de s'assurer de la réalité de la prestation d'interprétariat et donc, à la supposer existante, de sa durée.
4. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le préfet de Seine-et-Marne a produit le compte rendu de l'entretien individuel de M. A... qui s'est déroulé le 23 février 2023 démontrant que l'intéressé a bénéficié d'un entretien par un agent de la préfecture de
Seine-et-Marne, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien au sens du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, d'une durée de 15 minutes en présence d'un interprète en créole haïtien, langue que M. A... a déclaré comprendre. Les brochures " A " et " B " nécessaires aux termes du respect de l'obligation d'information disposée à l'article 4 du Règlement Dublin III ont été remises à M. A... en français. En vertu de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. A... a bénéficié de l'assistance d'un interprète agréé par l'État qui lui a traduit le contenu des brochures explicitant la procédure engagée à son encontre. Le compte rendu de l'entretien individuel mentionne, d'une part, que l'intéressé a été informé que sa demande d'asile est traitée conformément au Règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil et, d'autre part, qu'il a déclaré avoir compris la procédure engagée à son encontre. Il en résulte que c'est à tort que le tribunal a estimé que l'entretien, en raison de sa durée, n'avait pu permettre que les informations contenues dans les brochures soient traduites au requérant dans des conditions satisfaisant l'obligation tirée de l'article 5 du Règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013. Dans ces conditions, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé son arrêté du 10 mars 2023 au motif qu'il aurait méconnu l'article 5 du Règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Melun.
Sur les autres moyens soulevés en première instance par M.A... :
6. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".
7. En l'espèce, l'arrêté attaqué, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, précise les éléments qui ont permis au préfet de Seine-et-Marne de conclure que les Pays-Bas était l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A.... Le préfet a également décrit avec précision la situation personnelle de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes des dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ".
9. Il existe une présomption simple d'équivalence de protection entre les États membres de l'UE, ce qui signifie qu'un État membre de l'Union européenne et partie tant à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le Protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, est présumé disposer de façon générale d'une équivalence de protection en matière de droit d'asile. Les Pays-Bas sont un État membre de l'Union européenne et partie tant à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le Protocole de New-York, qu'à la convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève ainsi qu'à la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient au requérant de démontrer qu'il a fait l'objet de mauvais traitements aux Pays-Bas ou de prouver, par des éléments de faits précis et circonstanciés, qu'il a été privé des garanties attachées à l'exercice du droit d'asile.
10. En l'espèce, il ressort du compte rendu de l'entretien individuel que M. A... déclare être resté cinq jours aux Pays-Bas, où il n'a pas fait état de maltraitance perpétrée par les autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile alors qu'il déclare avoir subi la violence de bandits au Brésil dont il porterait les cicatrices. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. M. A... soutient que le préfet de Seine et Marne aurait dû faire application de l'article précité compte tenu du fait que ses deux parents se trouvent en séjour régulier sur le territoire français, que sa sœur a déposé une demande d'asile et que son frère serait tributaire d'une protection internationale. Néanmoins, en application de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ces personnes ne constituent pas un membre de la famille du demandeur d'asile au sens des dispositions de ce même règlement. En outre, M. A... n'apporte pas la preuve de l'existence des liens familiaux allégués avec ses parents, son frère et sa sœur, ni de circonstances particulières qui illustreraient l'intensité et la nécessité de cette vie familiale sur le territoire français. Ainsi, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. A....
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Seine et Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 10 mars 2023. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun et les conclusions d'appel de M. A..., y compris, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2303217 du 18 avril 2023 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Briançon, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2023.
La présidente-rapporteure,
C. BRIANÇON
L'assesseur le plus ancien,
P. MANTZ
La greffière,
O. BADOUX-GRARE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02216