Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 4 décembre 2020 par lequel la ministre des armées lui a infligé la sanction de la révocation, d'enjoindre au ministre des armées de le réintégrer à son poste et de procéder à la reconstitution de sa carrière, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par un jugement n°2101903/6-1 du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 4 décembre 2020, enjoint au ministre des armées de réintégrer M. A... à la date du 28 décembre 2018 et de procéder à la reconstitution de sa carrière dans un délai de deux mois à compter de la mise à disposition au greffe du jugement.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête n°22PA05444 enregistrée le 22 décembre 2022, le ministre des armées demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 octobre 2022 ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de ce que l'arrêté du 4 décembre 2020 était entaché d'un vice de procédure tenant à ce que M. A... n'aurait pas été informé avec une précision suffisante des faits qui lui étaient reprochés, avant la séance du conseil de discipline du 8 novembre 2018 et lui a enjoint de réintégrer M. A... dès lors que l'annulation juridictionnelle d'une sanction de révocation prise à l'égard d'un agent de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ne saurait, au sens de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, impliquer nécessairement une réintégration, mais uniquement un réexamen des conditions auxquelles est subordonnée une éventuelle réintégration, l'emploi de ces agents étant conditionné par l'obtention et le maintien d'une habilitation spéciale de sécurité (HSS), prévue par l'article 6 du statut des fonctionnaires de la DGSE fixé par le décret n° 2015- 386 du 3 avril 2015 ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2023, M. A..., représenté par Me Catry, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'arrêté est entaché d'illégalité et reprend ses moyens développés en première instance.
II - Par une requête n°22PA05449, enregistrée le 22 décembre 2022, le ministre des armées demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris n°2101903/6-1 du 21 octobre 2022.
Il soutient que les conditions fixées par les articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, M. A..., représenté par Me Catry conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun moyen sérieux ne justifie le sursis à exécution du jugement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2015-386 du 3 avril 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Briançon, rapporteure,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de M. A..., représentant le ministère des armées et de Me Catry représentant de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., secrétaire administratif spécialisé de classe normale, a intégré la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) le 1er juillet 2011, où il exerçait les fonctions d'interprète des données auprès de la direction technique. Le 9 avril 2018, il a sollicité l'avis du service de sécurité en vue d'effectuer un voyage privé en Iran du 28 juin au 10 juillet 2018, afin d'assister au mariage de la sœur de sa compagne avec un ressortissant iranien. Le service de sécurité ayant émis un avis défavorable à cette demande le 10 avril 2018, M. A... a sollicité un entretien avec ce service. Le 23 mai 2018, le requérant a été reçu par le service de sécurité qui a réitéré son avis défavorable concernant son voyage en Iran. A la suite de ces deux avis négatifs, M. A... a, par un courrier du 24 mai 2018, sollicité l'arbitrage du directeur général. Par un courriel du 13 juin 2018, le directeur général, par l'intermédiaire de son directeur de cabinet, n'a pas donné son accord pour ce déplacement. Du 28 juin au 10 juillet 2018, M. A... a toutefois effectué ce voyage en Iran. A son retour, il a été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire et une procédure disciplinaire a été ouverte à son encontre. A l'issue de cette procédure disciplinaire, M. A... a été révoqué et radié des cadres à compter du 28 décembre 2018 par deux arrêtés du 15 novembre et du 16 novembre 2018 de la ministre des armées. Par jugement n°1900252 du 22 octobre 2020, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 15 novembre 2018 infligeant à M. A... la sanction de la révocation, au motif que cet arrêté était insuffisamment motivé, ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté du 16 novembre 2018 le radiant des cadres. A la suite de ce jugement, la ministre des armées, par arrêté du 4 décembre 2020, a de nouveau infligé à M. A... la sanction de la révocation. Le ministre des armées relève appel du jugement du 21 octobre 2022, par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 4 décembre 2020, enjoint au ministre des armées de réintégrer M. A... à la date du 28 décembre 2018 et de procéder à la reconstitution de sa carrière.
Sur la jonction :
2. L'appel et la demande de sursis à exécution présentés par le ministre des armées sont formés contre un même jugement, présentent à juger des mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur la requête n° 22PA05444 :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
3. D'une part, aux termes de l'article 56 du décret n° 2015-386 du 3 avril 2015 fixant le statut des fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure : " (...) Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes ainsi qu'à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration informe le fonctionnaire de son droit à communication du dossier (...) ". D'autre part, le respect du principe général des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre. Enfin, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
4. En l'espèce, si M. A... a été informé, par courrier du 30 août 2018, de l'engagement d'une procédure disciplinaire le concernant et de son droit à obtenir communication de son dossier, il ne ressort pas des pièces du dossier que la note n°603/DT du 16 août 2018 qui précise que " les faits reprochés à M. A... - insubordination et faute de sécurité - sont, (...) constitutifs d'une faute lourde et pourraient ouvrir la voie à une sanction du 4ème groupe ", qui n'a été déclassifiée que le 20 décembre 2018, ait été portée à la connaissance de l'intéressé avant la communication intégrale de son dossier disciplinaire le 15 janvier 2019, soit postérieurement à la séance du conseil de discipline du 8 novembre 2018 au cours de laquelle a été examinée sa situation. En outre, la déclaration signée par M. A... le 18 octobre 2018 et l'attestation établie le 24 novembre 2022 par la personne qui l'a accompagné sont insuffisamment précises pour déterminer l'exacte composition du dossier consulté par M. A... qui, dans ses observations produites le 8 novembre 2018, mentionnait déjà une communication incomplète de son dossier, notamment " le fait de ne pas avoir été formellement notifié de la nature et de la formulation des manquements [qui me sont] reprochés, ni des sanctions envisagées ". Par ailleurs, la circonstance que le courrier adressé par M. A... le 24 mai 2018 au directeur général, par lequel il sollicite un "arbitrage" sur son projet de voyage indique expressément qu'au cours de son entretien avec le service de sécurité, il a été informé des " risques encourus par les agents du service qui ne s'astreindraient pas au respect des dispositions de l'instruction générale applicable " ne suffit pas à établir que la teneur de cette information aurait été suffisante et ne saurait, en tout état de cause, pallier l'irrégularité de la procédure disciplinaire engagée au retour de l'intéressé. Ainsi, et alors que l'arrêté attaqué du 4 décembre 2020, pris à la suite de l'annulation contentieuse de l'arrêté du 15 novembre 2018, n'a pas été précédé d'une nouvelle saisine du conseil de discipline, le défaut d'information quant la nature exacte des faits reprochés préalablement à la tenue du conseil de discipline a entaché d'irrégularité la procédure, irrégularité qui a privé M. A... d'une garantie. Par suite, le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de ce que ce défaut d'information préalable constitue une atteinte au respect du principe général des droits de la défense, seul moyen de nature à justifier l'annulation de l'arrêté du 4 décembre 2020.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " et, d'autre part, aux termes de l'article L911-1-1 de ce code : " Lorsqu'il est fait application de l'article L. 911-1, la juridiction peut prescrire de réintégrer toute personne ayant fait l'objet d'un licenciement, d'un non-renouvellement de son contrat ou d'une révocation en méconnaissance du II de l'article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, y compris lorsque cette personne était liée par une relation à durée déterminée avec la personne morale de droit public ou l'organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public ".
6. L'annulation d'une décision illégale d'éviction d'un agent public oblige l'autorité compétente à réintégrer l'intéressé à la date de son éviction et à reconstituer rétroactivement sa carrière. Cette obligation ne fait toutefois pas obstacle à ce que cette autorité prenne une nouvelle mesure en tenant compte des nouvelles circonstances de fait, sans donner à sa décision un effet rétroactif. Ainsi, le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal lui a enjoint de réintégrer juridiquement M. A... à la date du 28 décembre 2018 et de procéder à la reconstitution de sa carrière.
Sur la requête n° 22PA05449 :
7. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n°2101903/6-1 du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris, les conclusions de la requête n°22PA05449 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Dès lors, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n°22PA05449 du ministre des armées tendant au sursis à exécution du jugement n°2101903/6-1 du tribunal administratif de Paris.
Article 2 : La requête du ministre des armées est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- Mme Briançon, présidente assesseure,
- M.Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2023.
La rapporteure,
C. BRIANÇON
La présidente,
M. HEERS
La greffière,
O. BADOUX-GRARE
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 22PA05444-22PA05449