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15/09/2023 | FRANCE | N°22PA04119

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 15 septembre 2023, 22PA04119


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la délibération n° 2021-38 du 31 août 2021 du conseil municipal de la commune de Papara, fixant les indemnités de fonction du maire, des adjoints au maire et des conseillers municipaux titulaires d'une délégation de fonction.

Par un jugement n° 2100485 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'article 6 de cette délibération disposant qu'elle " prend effet à compter du r

endu exécutoire des délégations de fonction de chaque adjoint ou conseiller concerné ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la délibération n° 2021-38 du 31 août 2021 du conseil municipal de la commune de Papara, fixant les indemnités de fonction du maire, des adjoints au maire et des conseillers municipaux titulaires d'une délégation de fonction.

Par un jugement n° 2100485 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'article 6 de cette délibération disposant qu'elle " prend effet à compter du rendu exécutoire des délégations de fonction de chaque adjoint ou conseiller concerné " et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2022, la commune de Papara, représentée par la SELARL Kintzler et Associés, Me Jannot, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que par celui-ci, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'article 6 de la délibération du 31 août 2021 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de la Polynésie française ;

3°) à titre subsidiaire, de juger que l'annulation de l'article 6 de la délibération du 31 août 2021 ne prendra effet qu'à la date d'entrée en vigueur de cette délibération ;

4°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'annulation des délibérations du conseil municipal des 30 juillet 2020 et 15 octobre 2020 par le jugement du 8 juin 2021, qui était motivée par l'absence d'identification précise des délégations et des attributions effectives des conseillers municipaux concernés, ne rendait pas applicable l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales relatif à la gratuité des fonctions de conseiller municipal ;

- en statuant au visa de l'article L. 2123-17 précité, le tribunal a ajouté à son précédent jugement du 8 juin 2021 en dehors du cadre de l'article R. 741-11 du code de justice administrative et a violé le principe de l'autorité de la chose jugée ;

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges ont relevé d'office le moyen tiré de l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales, sans faire application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;

- elle était fondée à donner un effet rétroactif à sa délibération du 31 août 2021 dès lors que le principe de la gratuité des fonctions a été écarté tant par la commune que par les conseillers concernés qui ont en outre exercé effectivement leurs fonctions ;

- à titre subsidiaire, elle demande que la Cour module dans le temps les effets de l'annulation de l'article 6 de la délibération du 31 août 2021, qui serait de nature à emporter des conséquences manifestement excessives pour les conseillers municipaux qui ont effectivement exercé leurs délégations alors qu'aucune considération d'intérêt général n'impose par ailleurs que les indemnités perçues soient restituées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Bourion, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Papara le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- l'ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007 rendant applicables les dispositions du code général des collectivités territoriales aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux délibérations du 30 juillet 2020 et du 15 octobre 2020, le conseil municipal de la commune de Papara a fixé le montant des indemnités de fonctions du maire, des adjoints et des conseillers municipaux en charge d'une délégation de fonctions. Par un jugement du 8 juin 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé ces délibérations en tant qu'elles fixent les indemnités de fonctions des conseillers municipaux titulaires d'une délégation de fonctions. Par une délibération du 31 août 2021, le conseil municipal a de nouveau fixé les indemnités de l'ensemble des élus, précisant par son article 6 que cet acte prendrait effet " à compter du rendu exécutoire des délégations de fonction de chaque adjoint ou conseiller concerné ". La commune de Papara relève appel du jugement du 7 juin 2022 en tant que le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'article 6 de cette délibération.

Sur la régularité du jugement :

2. En fondant leur décision sur l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales relatif à la gratuité des fonctions de conseiller municipal, pour écarter le moyen de la commune de Papara tiré de ce que l'adoption de l'article 6 de la délibération, donnant un effet rétroactif à cette dernière, se justifiait par la nécessité de régulariser un vide juridique, les premiers juges n'ont pas relevé d'office un moyen mais se sont bornés à préciser le cadre juridique relatif aux indemnités de fonctions des conseillers municipaux. Par suite, les premiers juges n'étaient pas tenus de faire application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative relatives aux mesures d'instruction à mettre en œuvre en cas de moyen relevé d'office. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

3. Aux termes de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, applicable en Polynésie française : " Le maire est seul chargé de l'administration, mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et à des membres du conseil municipal ". Aux termes de l'article L. 2123-20-1 de ce code : " I. - Lorsque le conseil municipal est renouvelé, les indemnités de ses membres, à l'exception de l'indemnité du maire, sont fixées par délibération. Cette délibération intervient dans les trois mois suivant l'installation du conseil municipal (...) ". Et aux termes de l'article L. 2123-24-1 du code général des collectivités territoriales : " (...) II. - Dans les communes de moins de 100 000 habitants, il peut être versé une indemnité pour l'exercice effectif des fonctions de conseiller municipal dans les limites prévues par le II de l'article L. 2123-24. Cette indemnité est au maximum égale à 6 % du terme de référence mentionné au I de l'article L. 2123-20. / III.- Les conseillers municipaux auxquels le maire délègue une partie de ses fonctions en application des articles L. 2122-18 et L. 2122-20 peuvent percevoir une indemnité allouée par le conseil municipal dans les limites prévues par le II de l'article L. 2123-24. Cette indemnité n'est pas cumulable avec celle prévue par le II du présent article ".

4. En vertu de l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites, sans préjudice toutefois des dispositions qui prévoient notamment des indemnités de fonction.

5. Pour prononcer l'annulation de la délibération du 31 août 2021 de manière rétroactive, le tribunal s'est fondé, tout d'abord, sur la circonstance que cette délibération ne pouvait régulariser les deux délibérations du 30 juillet 2020 et du 15 octobre 2020 annulées par son jugement du 8 juin 2021 dès lors que les annulations prononcées par ce jugement avaient entraîné l'application des dispositions de l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales précité. Il en a ensuite déduit que la commune de Papara ne pouvait justifier ce caractère rétroactif par la nécessité de régulariser un vide juridique. Toutefois, il résulte de ce qui a été rappelé au point 4 et dès lors que le jugement du 8 juin 2021 n'a pas remis en cause le principe du versement d'indemnités de fonction aux conseillers municipaux de Papara titulaires d'une délégation, que les annulations des délibérations du 30 juillet 2020 et du 15 octobre 2020 n'ont eu ni pour objet ni pour effet de conduire à l'application des dispositions de l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales. En conséquence, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la délibération du 31 août 2021 est entachée de rétroactivité illégale au motif que l'annulation contentieuse des délibérations du 30 juillet 2020 et du 15 octobre 2020 aurait entraîné l'application de l'article L. 2123-27 précité et que, en conséquence, la commune ne pouvait justifier cette rétroactivité par la nécessité de régulariser un vide juridique.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués en première instance par M. B... à l'encontre de l'article 6 de la délibération du 31 août 2021.

Sur les autres moyens de la demande présentée par M. B... :

7. Si M. B... s'est borné à soutenir en première instance que l'article 6 de la délibération du 31 août 2021 méconnaissait le jugement du 8 juin 2021 en ce que celui-ci a annulé rétroactivement les délibérations du conseil municipal des 30 juillet 2020 et 15 octobre 2020 portant attribution des indemnités de fonction aux conseillers en charge d'une délégation, il a fait valoir en appel que cet article entachait la délibération d'une rétroactivité illégale.

8. Une décision administrative ne peut disposer que pour l'avenir. Si la commune de Papara fait valoir qu'en adoptant les dispositions contestées, elle a entendu régulariser la situation indemnitaire des conseillers municipaux titulaires d'une délégation de fonctions, l'annulation, par le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 8 juin 2021, devenu définitif, des délibérations des 30 juillet 2020 et 15 octobre 2020, au motif que l'attribution d'indemnités de fonctions aux conseillers municipaux titulaires d'une délégation de fonctions ne pouvait être regardée comme reposant sur des critères objectifs, si elle ne faisait pas obstacle à ce que le conseil municipal prenne la même délibération, ne l'autorisait pas à en faire remonter l'effet à la date d'entrée en vigueur de la mesure annulée. Par suite, la délibération du 31 août 2021 est entachée d'illégalité en tant que, par son article 6, elle prévoit de prendre effet à compter du " rendu exécutoire " des délégations de fonction de chaque adjoint ou conseiller concerné.

9. Il résulte de ce qui précède que la commune de Papara n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'article 6 de la délibération n° 2021-38 du 31 août 2021.

Sur la demande de modulation dans le temps des effets de l'annulation :

10. D'une part, l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation, ou, lorsqu'il a décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

11. D'autre part, lorsque le juge d'appel est saisi d'un jugement ayant annulé un acte administratif et qu'il rejette l'appel formé contre ce jugement en ce qu'il a jugé illégal l'acte administratif, la circonstance que l'annulation ait été prononcée par le tribunal administratif avec un effet rétroactif ne fait pas obstacle à ce que le juge d'appel, saisi dans le cadre de l'effet dévolutif, apprécie, conformément à ce qui a été dit au point précédent et à la date à laquelle il statue, s'il y a lieu de déroger en l'espèce au principe de l'effet rétroactif de l'annulation contentieuse et détermine, en conséquence, les effets dans le temps de l'annulation, en réformant le cas échéant sur ce point le jugement de première instance.

12. Il résulte du jugement attaqué que les effets dans le temps de l'annulation de l'article 6 de la délibération du 31 août 2021, qui se borne à donner à la délibération du 31 août 2021 une portée rétroactive, ont nécessairement cessé à la date d'entrée en vigueur de cette délibération. Par suite, la commune de Papara ne peut utilement demander que l'annulation de l'article 6 précité ne prenne effet qu'à compter de cette entrée en vigueur.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Papara demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Papara la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens de la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Papara est rejetée.

Article 2 : La commune de Papara versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Papara et à M. A... B....

Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Briançon, présidente assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 septembre 2023.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04119


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04119
Date de la décision : 15/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : JANNOT

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-09-15;22pa04119 ?
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