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21/07/2023 | FRANCE | N°22PA05246

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 21 juillet 2023, 22PA05246


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n° 2019151, la société Free Mobile SAS a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le Premier ministre lui a implicitement refusé l'autorisation d'exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile de cinquième génération (5G) sur les zones figurant dans les dossiers d'autorisation déposés le 14 janvier 2020, ensemble les trois décisi

ons du 13 juillet 2020 rejetant expressément ces demandes sur trois zones du ter...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n° 2019151, la société Free Mobile SAS a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le Premier ministre lui a implicitement refusé l'autorisation d'exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile de cinquième génération (5G) sur les zones figurant dans les dossiers d'autorisation déposés le 14 janvier 2020, ensemble les trois décisions du 13 juillet 2020 rejetant expressément ces demandes sur trois zones du territoire français pour un total de 4 549 sites et la décision rejetant implicitement son recours gracieux contre ces décisions, d'enjoindre au Premier ministre de lui délivrer dans les meilleurs délais les autorisations d'exploitation pour ces 4 549 sites et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête enregistrée sous le n° 2021542, la société Free Mobile SAS a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 29 octobre 2020 par laquelle le Premier ministre lui a refusé l'autorisation d'exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile de cinquième génération (5G) sur 4 000 sites situés sur le territoire français, d'enjoindre au Premier ministre de lui délivrer dans les meilleurs délais les autorisations d'exploitation pour ces 4 000 sites et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2019151/6-1, 2021542/6-1 du 7 octobre 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

I./ Par une requête enregistrée le 8 décembre 2022 sous le n° 22PA05246 et un mémoire complémentaire enregistré le 20 juin 2023, la société Free Mobile SAS, représentée par la SELARL Latournerie, Wolfrom et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°s 2019151/6-1, 2021542/6-1 du 7 octobre 2022 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision implicite du Premier ministre du 26 juin 2020 rejetant la demande d'autorisation de la société Free Mobile pour l'exploitation d'équipements radio 5G (gNodeB) de marque Huawei en version DBS5900 version RAN 2.1 en vue de la fourniture d'un accès Non Stand Alone pour les sites qui figurent dans sa demande d'autorisation déposée le 14 janvier 2020 devant le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation ;

3°) d'annuler les décisions n° 66/SGDSN/SG/NP, n° 67/SGDSN/SG/NP et n° 68/SGDSN/SG/NP du SGDSN en date du 13 juillet 2020 rejetant la demande d'autorisation de la société Free Mobile pour l'exploitation d'équipements radio 5G (gNodeB) de marque Huawei en version DBS5900 version RAN 2.1 en vue de la fourniture d'un accès Non Stand Alone sur i) trois-cent-soixante-quatre sites couvrant la zone " New Deal " ii) cent-quatre-vingt-cinq sites couvrant les " Zones Blanches " et iii) sur quatre mille sites couvrant la zone " Bande vide " ;

4°) d'annuler la décision du Premier ministre rejetant implicitement son recours gracieux déposé le 14 septembre 2020 ;

5°) d'annuler la décision n° 114/SGDSN/SG en date du 29 octobre 2020 du SGDSN rejetant la demande d'autorisation de la société Free Mobile pour l'exploitation d'équipements radio 5G Huawei pour la fourniture d'un accès Non Stand Alone sur quatre mille sites couvrant les départements du Calvados, Cher, Côtes-d'Armor, Eure, Eure-et-Loir, Finistère, Ille-et-Vilaine, Indre, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loire-Atlantique, Loiret, Maine-et-Loire, Manche, Mayenne, Morbihan, Orne, Sarthe, Seine-Maritime et Vendée ;

6°) d'enjoindre au Premier ministre de délivrer à la société Free Mobile une autorisation d'exploitation des équipements Huawei sur le fondement de l'article L. 34-11 du code des postes et télécommunications électroniques pour les sites qui figurent dans ses demandes d'autorisation déposées le 14 janvier 2020 et le 1er septembre 2020 devant le SGDSN et qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation :

7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal est entaché de contradiction interne dans l'un de ses motifs ;

- les règles relatives au caractère contradictoire de la procédure ont été méconnues ;

- le tribunal n'a pas répondu à un moyen qui n'est pas inopérant ;

- le jugement contesté est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur de fait et de plusieurs erreurs de droit et erreurs manifestes d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 mai 2023, la Première ministre (secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale) conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

II./ Par une requête enregistrée sous le n° 22PA05249 le 8 décembre 2022, la société Free Mobile SAS, représentée par la SELARL Latournerie, Wolfrom et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°s 2019151/6-1, 2021542/6-1 du 7 octobre 2022 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision implicite du Premier ministre du 26 juin 2020 rejetant la demande d'autorisation de la société Free Mobile pour l'exploitation d'équipements radio 5G (gNodeB) de marque Huawei en version DBS5900 version RAN 2.1 en vue de la fourniture d'un accès Non Stand Alone pour les sites qui figurent dans sa demande d'autorisation déposée le 14 janvier 2020 devant le SGDSN et qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation ;

3°) d'annuler les décisions n° 66/SGDSN/SG/NP, n° 67/SGDSN/SG/NP et n° 68/SGDSN/SG/NP du SGDSN en date du 13 juillet 2020 rejetant la demande d'autorisation de la société Free Mobile pour l'exploitation d'équipements radio 5G (gNodeB) de marque Huawei en version DBS5900 version RAN 2.1 en vue de la fourniture d'un accès Non Stand Alone sur i) trois-cent-soixante-quatre sites couvrant la zone " New Deal " ii) cent-quatre-vingt-cinq sites couvrant les " Zones Blanches " et iii) sur quatre mille sites couvrant la zone " Bande vide " ;

4°) d'annuler la décision du Premier ministre rejetant implicitement son recours gracieux déposé le 14 septembre 2020 ;

5°) d'annuler la décision n° 114/SGDSN/SG en date du 29 octobre 2020 du SGDSN rejetant la demande d'autorisation de la société Free Mobile pour l'exploitation d'équipements radio 5G Huawei pour la fourniture d'un accès Non Stand Alone sur quatre mille sites couvrant les départements du Calvados, Cher, Côtes-d'Armor, Eure, Eure-et-Loir, Finistère, Ille-et-Vilaine, Indre, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loire-Atlantique, Loiret, Maine-et-Loire, Manche, Mayenne, Morbihan, Orne, Sarthe, Seine-Maritime et Vendée ;

6°) d'enjoindre au Premier ministre de délivrer à la société Free Mobile une autorisation d'exploitation des équipements Huawei sur le fondement de l'article L. 34-11 du code des postes et télécommunications électroniques pour les sites qui figurent dans ses demandes d'autorisation déposées le 14 janvier 2020 et le 1er septembre 2020 devant le SGDSN et qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation ;

7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle invoque les mêmes moyens que ceux développés au soutien de sa requête enregistrée sous le n° 22PA05246.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code des postes et télécommunications électroniques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ho Si Fat, président assesseur,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cabot, représentant la société Free Mobile SAS.

Considérant ce qui suit :

1. Le 14 janvier 2020, la société Free Mobile SAS a demandé au Premier ministre l'autorisation d'exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile de cinquième génération (5G) sur 4 586 sites répartis sur l'ensemble du territoire français. Faute de réponse du Premier ministre, une décision implicite de rejet est née le 26 juin 2020. Par huit décisions du 6 juillet 2020, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a, par délégation du Premier ministre, autorisé la société requérante à exploiter ce type de matériel sur 37 sites couvrant les huit principaux stades français. Par courrier du 8 juillet 2020, la société a demandé au Premier ministre de lui communiquer les motifs de la décision de rejet concernant les 4 549 autres sites visés par sa demande. Par trois décisions du 13 juillet 2020, le SGDSN a expressément refusé à la société Free Mobile les autorisations d'exploitation demandées pour ces sites. Par courrier du 14 septembre 2020, réceptionné le même jour et resté sans réponse, la société Free Mobile a formé un recours gracieux devant le Premier ministre. La société Free Mobile a alors demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de cette décision. Par jugement du 7 octobre 2022, dont elle relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

2. Le 1er septembre 2020, la société Free Mobile a demandé au Premier ministre l'autorisation d'exploiter les mêmes types de matériels sur 4 000 autres sites. Par une décision du 29 octobre 2020, le SGDSN a rejeté cette demande. La société Free Mobile a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de cette décision. Par jugement du 7 octobre 2022 dont elle relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

3. La requête enregistrée sous le n° 22PA05249 constitue en réalité le double de la requête présentée par la société Free Mobile SAS, enregistrée sous le n° 22PA05246. Ce document doit être radié du registre du greffe de la Cour et joint à la requête n° 22PA05246 sur laquelle il est statué par le présent arrêt.

Sur le cadre juridique :

4. Aux termes du I de l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques : " Est soumise à une autorisation du Premier ministre, dans le but de préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale, l'exploitation sur le territoire national des appareils, à savoir tous dispositifs matériels ou logiciels, permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile, à l'exception des réseaux de quatrième génération et des générations antérieures, qui, par leurs fonctions, présentent un risque pour la permanence, l'intégrité, la sécurité, la disponibilité du réseau, ou pour la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications, à l'exclusion des appareils installés chez les utilisateurs finaux ou dédiés exclusivement à un réseau indépendant, des appareils électroniques passifs ou non configurables et des dispositifs matériels informatiques non spécialisés incorporés aux appareils. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa du présent I n'est requise que pour l'exploitation, directe ou par l'intermédiaire de tiers fournisseurs, d'appareils par les opérateurs mentionnés à l'article L. 1332-1 du code de la défense, ainsi désignés en vertu de leur activité d'exploitant d'un réseau de communications électroniques ouvert au public. / La liste des appareils dont l'exploitation est soumise à l'autorisation mentionnée au premier alinéa du présent I est fixée par arrêté du Premier ministre, pris après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Cette liste énumère les différents appareils concernés en référence à la terminologie utilisée dans les standards internationaux associés aux réseaux radioélectriques mobiles de cinquième génération et des générations ultérieures. ". Aux termes de l'article L. 34-12 du même code : " Le Premier ministre refuse l'octroi de l'autorisation prévue à l'article L. 34-11 s'il estime qu'il existe un risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale résultant du manque de garantie du respect des règles mentionnées aux a, b, e, f et f bis du I de l'article L. 33-1 relatives à la permanence, à l'intégrité, à la sécurité, à la disponibilité du réseau, ou à la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications. Sa décision est motivée sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions des a à f du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. / Le Premier ministre prend en considération, pour l'appréciation de ce risque, le niveau de sécurité des appareils, leurs modalités de déploiement et d'exploitation envisagées par l'opérateur et le fait que l'opérateur ou ses prestataires, y compris par sous-traitance, est sous le contrôle ou soumis à des actes d'ingérence d'un Etat non membre de l'Union européenne. ".

5. Il résulte de ces dispositions que les décisions prises par le Premier ministre sur le fondement de l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques constituent des mesures de police édictées dans le but de préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale. Ces décisions sont au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale et n'ont par voie de de conséquence pas à être motivées. Pour se prononcer sur une requête contre un refus d'autorisation, le juge de l'excès de pouvoir doit être en mesure d'apprécier, à partir d'éléments précis, le bien-fondé du motif retenu par l'administration. Il appartient en conséquence à celle-ci de verser au dossier, dans le respect des exigences liées à la sécurité nationale, les renseignements nécessaires pour que le juge statue en pleine connaissance de cause.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

Sur la régularité du jugement :

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". L'absence de communication à une partie, en temps utile pour y répondre, d'un mémoire ou de pièces jointes à un mémoire, sur lesquels le tribunal administratif a fondé son jugement, entache la procédure suivie d'irrégularité.

7. La société requérante soutient que le caractère contradictoire de la procédure a été méconnu par le tribunal en ce que le mémoire du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale du 8 août 2022 ne lui a pas été communiqué. Il résulte de l'instruction que le mémoire transmis le 8 août 2022 par le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale se bornait à présenter des observations complémentaires sur les moyens tirés de la méconnaissance des principes de la liberté de la concurrence et d'égalité et ne contenait pas de moyens ni d'éléments nouveaux. Or, ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux, ce qui n'imposait pas la communication du mémoire produit le 8 août 2022. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, la société requérante soutient que le tribunal a omis de répondre à un " moyen " qui n'était pas inopérant, et ce faisant, a dénaturé ses écritures en affirmant qu'elle " se born[ait] à soutenir que des autorisations d'exploitation pour des matériels de la société Huawei [avaient] été données à deux de ses concurrents dans les mêmes zones et que d'autres fabricants non chinois présentaient] aussi des risques en matière de confidentialité ". Toutefois, s'agissant d'un argument et non pas d'un moyen, le tribunal n'était pas tenu de répondre à tous les arguments invoqués par la société requérante au soutien de ses moyens. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal n'aurait pas répondu à un " moyen " qui n'était pas inopérant doit être écarté.

9. En troisième lieu, la société requérante soutient que le tribunal a insuffisamment motivé son jugement et n'a pas expliqué les raisons pour lesquelles les caractéristiques de l'opérateur Huawei pouvaient être prises en compte pour refuser les autorisations demandées. Il ressort toutefois des points 9 et 10 du jugement contesté que le tribunal a exposé les motifs de droit et de fait qui fondent sa décision en relevant que " pour refuser les autorisations demandées, [le Premier ministre] a estimé, d'une part, que le recours à l'équipementier Huawei, en raison de ses obligations de coopération secrète et sans limite territoriale avec les services de renseignement de la République populaire de Chine au titre de la loi locale sur le renseignement, de son financement par des subventions étatiques chinoises, de l'absence de transparence de sa structure capitalistique en l'absence de cotation en bourse présentait un risque significatif d'ingérence d'un Etat étranger. Il a également considéré que les contraintes que le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique a placé sur les exportations de technologies américaines vers la Chine pourraient fragiliser la capacité de ce fabricant à fournir dans le futur des équipements neufs et suffisamment sécurisés et entrainer par conséquent une dégradation significative, au cours des prochains mois et années, de la sécurité et de la disponibilité des réseaux reposant sur de tels équipements, justifiant le refus de l'exploitation de ses matériels dans certaines zones du territoire français. D'autre part, il a estimé que les zones pour lesquelles la société Free Mobile avait demandé une autorisation d'exploiter ces matériels présentaient, de par leur étendue et la présence de sites militaires ou stratégiques, une sensibilité particulière aux risques identifiés ci-dessus, la différence des zones pour lesquelles l'autorisation avait été accordée ". Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

10. En premier lieu, la société requérante soutient que le jugement du tribunal est entaché de contradiction interne dans ses motifs, en ce que le tribunal a estimé d'une part, que les décisions prises par le Premier ministre sur le fondement de l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques ont pour but de préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale, et d'autre part, que ces décisions sont au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale. Il résulte toutefois des dispositions de l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques que les premières décisions ont pour fondement le risque d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale alors que les secondes ont pour fondement le risque d'atteinte au secret de la défense nationale. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le tribunal n'a pas été mis en mesure de statuer en connaissance de cause ni de demander, s'il le jugeait utile, les renseignements nécessaires à la formation de sa conviction. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que son droit à un procès équitable tel que garanti par les dispositions de l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ni que le jugement contesté est entaché de contradiction interne. Par suite, le moyen tiré de la contradiction interne dans ses motifs du jugement du tribunal doit être écarté.

11. En deuxième lieu, la société requérante allègue que le tribunal a commis une erreur

de fait en fondant sa décision sur les risques que l'équipementier Huawei fait peser sur la sécurité nationale, alors même que les décisions attaquées ne mentionneraient pas ces éléments. Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, les décisions attaquées mentionnent ces éléments en faisant référence au fait que " le déploiement envisagé ne présente pas de garanties suffisantes pour conclure qu'il respectera les règles relatives à l'intégrité et à la disponibilité du réseau ainsi qu'à la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications et [...] qu'il porterait un risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale ". Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.

12. En troisième lieu, la société requérante soutient que le jugement est entaché d'erreurs de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation. Elle fait grief aux premiers juges de n'avoir pas fait usage de leurs pouvoirs d'instruction afin de vérifier la matérialité des faits fondant les décisions litigieuses. Ainsi qu'il a été dit au point 10, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal n'a pas pu statuer en connaissance de cause ni demander, s'il le jugeait utile, tous les éléments nécessaires à la formation de sa conviction. En outre, aux points 9 et 10 de sa décision, le tribunal a explicité les motifs qui la fondent, et notamment un risque significatif d'ingérence d'un Etat étranger, en raison de l'absence de transparence de la structure capitalistique et de l'absence de cotation en bourse de l'équipementier Huawei, une dégradation significative, au cours des prochains mois et années, de la sécurité et de la disponibilité des réseaux reposant sur les équipements Huawei du fait des mesures prises par le gouvernement des Etats-Unis sur les exportations vers la Chine et, enfin, une sensibilité particulière aux risques susmentionnés du fait de l'étendue des zones pour lesquelles une autorisation a été demandée et de la présence de sites militaires ou stratégiques. Dans ces conditions, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Premier ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation ou une erreur de droit en estimant qu'il existait un risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale. Par suite, le moyen tiré des erreurs de droit et des erreurs manifestes d'appréciation dont serait entaché le jugement doit être écarté.

13. En quatrième lieu, la société requérante soutient que les décisions en litige seraient entachées de détournement de pouvoir. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'elles auraient été prises dans un but autre que celui de la sauvegarde des intérêts de la sécurité et de la défense nationale. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a écarté le moyen tiré d'un détournement de pouvoir.

14. En cinquième lieu, la société requérante allègue que les décisions litigieuses méconnaitraient le principe d'égalité et que ce principe serait, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, opérant. Ainsi qu'il a été dit au point 12, le Premier ministre a pu à bon droit, au regard des critères fixés par la loi, considérer qu'il existait un risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale pour refuser d'accorder à la société requérante les autorisations demandées. Par conséquent, la circonstance, à la supposer établie, que d'autres sociétés placées dans la même situation ont pour leur part bénéficié d'autorisations pour exploiter des antennes de la marque Huawei est sans incidence sur la légalité des décisions attaquées. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité comme inopérant.

15. En dernier lieu, la société requérante soutient que les décisions litigieuses méconnaitraient le principe de libre concurrence. Toutefois, s'agissant de mesures de police justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général tenant à la sauvegarde de la sécurité et de la défense nationale, celle-ci ne peut se prévaloir utilement de la méconnaissance de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques et de de l'article 3 de la directive 2018/972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen, en ce qu'elle impose aux autorités nationales de promouvoir la concurrence dans la fourniture de réseaux de communications électroniques, ainsi que de la méconnaissance du principe de libre concurrence en droit interne. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe de libre concurrence comme inopérant.

Sur la légalité des décisions attaquées :

16. En premier lieu, il résulte des dispositions du 2° de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement que les secrétaires généraux de la défense et de la sécurité nationale, dont les actes de nomination ont été publiés respectivement au Journal officiel de la République française du 1er mars 2018, s'agissant de Mme Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale à compter du 5 mars 2018, et du 30 juillet 2020, s'agissant de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale à compter du 17 août 2020, avaient de ce seul fait qualité pour signer les décisions de refus d'autorisation litigieuses au nom du Premier ministre. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.

17. En deuxième lieu, la société requérante conteste la motivation des décisions attaquées. Toutefois, ces décisions mentionnent les dispositions utiles du code des postes et des communications électroniques et précisent que l'autorisation est refusée au regard du risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la sécurité et de la défense nationale que l'exploitation des matériels de l'équipementier Huawei ferait peser sur la sécurité nationale. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.

18. En troisième lieu, si la société requérante soutient que le Premier ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, elle n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau tendant à l'établir. Par suite, il y a lieu, par adoption des motifs des premiers juges, d'écarter le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.

19. En quatrième lieu, la société requérante allègue que le Premier ministre aurait commis une erreur de droit. Toutefois elle n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau tendant à l'établir. Par suite, il y a lieu, par adoption des motifs des premiers juges, d'écarter le moyen tiré de l'erreur de droit.

20. En cinquième lieu, la société requérante conteste que les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité et de l'atteinte disproportionnée à la concurrence entre opérateurs mobiles seraient inopérants. Toutefois, elle ne verse en appel aucun élément nouveau tendant à démontrer le contraire. Par suite, il y a lieu, par adoption des motifs des premiers juges, d'écarter les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité et de l'atteinte disproportionnée à la concurrence.

21. En dernier lieu, la société requérante soutient que les décisions litigieuses seraient entachées d'un détournement de pouvoir. Toutefois, elle n'établit pas davantage qu'en première instance que ces décisions auraient été prises dans un but autre que la sauvegarde des intérêts de la sécurité et de la défense nationale.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation, d'une part, des décisions attaquées du 13 juillet 2020, ensemble de la décision implicite rejetant son recours gracieux, et, d'autre part, de la décision attaquée du 29 octobre 2020, ensemble de la décision implicite rejetant son recours gracieux.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

23. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par la société Free Mobile doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la Société Free Mobile la somme qu'elle demande au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Les productions enregistrées sous le n° 22PA05249 sont radiées du registre du greffe de la Cour pour être jointes au dossier de la requête n° 22PA05246.

Article 2 : La requête n° 22PA05246 de la société Free Mobile SAS est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Free Mobile et à la Première ministre (secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale).

Délibéré après l'audience du 26 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2023.

Le rapporteur,

F. HO SI FAT Le président,

R. LE GOFF

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne à la Première ministre en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 22PA05246, 22PA05249 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA05246
Date de la décision : 21/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: M. Frank HO SI FAT
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SCP LATOURNERIE WOLFROM et ASS.

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-21;22pa05246 ?
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