Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 avril 2021, 15 novembre 2021, 7 avril 2022, 22 septembre 2022 et 28 avril 2023, la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), représentée par Me Leprêtre, demande à la Cour :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur sa demande du 8 janvier 2021 tendant à la prise de deux arrêtés fixant la liste des organisations syndicales de salariés représentatives, d'une part, dans le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, et d'autre part, dans celui des entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés ;
2°) d'enjoindre au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de prendre ces deux arrêtés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée n'est pas motivée, en méconnaissance du 1° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle méconnaît l'obligation faite au ministre du travail de prendre un arrêté de représentativité dès lors que le critère d'utilité pour une négociation en cours ou à venir est rempli, y compris dans un périmètre qui ne correspond pas à une branche professionnelle ;
- ce critère est en l'espèce rempli dès lors que le refus de fixer la représentativité des organisations syndicales dans les périmètres invoqués, d'une part, empêche la négociation de conventions collectives nationales dans ces deux périmètres, définis par l'accord collectif national du 14 mai 2019, et, d'autre part, bloque la renégociation de l'accord du 25 janvier 1994 relatif à la protection des salariés d'entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés ;
- la décision attaquée méconnaît la liberté contractuelle des partenaires sociaux, principe de valeur constitutionnelle ;
- elle est constitutive d'une rupture d'égalité entre organisations syndicales de salariés, dès lors que le ministre chargé du travail a accepté, à la demande de certaines organisations, de fixer la liste des organisations de salariés représentatives dans le secteur du bâtiment ;
- elle constitue une mesure discriminatoire en tant qu'elle fait obstacle à la révision de l'accord du 25 janvier 1994, qui permettrait à l'Union fédérale de l'industrie et de la construction UNSA (UFIC-UNSA) de bénéficier de la contribution finançant la négociation collective.
Par une intervention et des mémoires, enregistrés les 29 septembre, 8 octobre, 29 décembre 2021, 27 septembre 2022, 7 avril et 13 juin 2023, la Fédération française du bâtiment (FFB), représentée par Me Gatineau, conclut au rejet de la requête de la CAPEB et à ce que soit mise à sa charge la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la confédération requérante ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense enregistrés les 7 octobre 2021 et 3 avril 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que le moyen tiré du défaut de motivation est inopérant et que les autres moyens soulevés par la confédération requérante ne sont pas fondés.
Par une intervention enregistrée le 8 octobre 2021, l'Union fédérale de l'industrie et de la construction UNSA (UFIC-UNSA), représentée par Me Puissant, demande à la Cour de faire droit aux conclusions de la requête de la CAPEB et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que
- la décision implicite attaquée devait être motivée conformément aux articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la demande de prise des arrêtés porte sur des périmètres utiles pour des négociations en cours et à venir, notamment eu égard à l'arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2021 relatif à l'avenant modifiant l'accord du 25 janvier 1994 relatif à la protection des salariés d'entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, appelés à participer aux réunions paritaires et aux réunions des organismes paritaires chargés de gérer des institutions du bâtiment ;
- la décision attaquée porte atteinte au principe de valeur constitutionnelle de liberté contractuelle en matière de négociation collective et au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, dès lors qu'elle ne repose sur aucun motif d'intérêt général ;
- la décision attaquée est constitutive d'une rupture d'égalité entre les partenaires sociaux dès lors que, d'une part, la demande tendant à prendre les arrêtés sollicités au profit des organisations syndicales de salariés a été traitée différemment de celle des organisations tendant à prendre un arrêté de représentativité au niveau global du secteur du bâtiment, alors que ces organisations sont placées dans la même situation et, d'autre part, elle est ainsi traitée différemment des autres organisations syndicales signataires de l'accord du 25 janvier 1994 alors que leur représentativité n'est pas davantage démontrée en l'absence d'arrêté.
Par des mémoires en intervention, enregistrés les 15 et 30 novembre 2021, 19 mai et 12 juin 2023, la Confédération générale du travail (CGT) et la Fédération nationale des salariés de la construction-bois-ameublement CGT (FNSCBA-CGT), représentées par Me Farran, demandent que la Cour fasse droits aux conclusions de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que la décision de refus attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que, d'une part, le ministre chargé du travail ne doit pas entraver la négociation collective des partenaires sociaux et l'utilité des périmètres invoqués étant démontrée et qu'elle n'est pas illégale au regard du droit du travail et que, d'autre part, elle empêche la révision de l'accord du 25 janvier 1994 ainsi que la fin du contentieux attaché aux commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation dans le secteur du bâtiment.
Par une intervention enregistrée le 8 juin 2023, la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT (FNCB-CFDT), représentée par Me Cotza, demande que la Cour fasse droit aux conclusions de la requête de la CAPEB et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de refus attaquée méconnaît l'article L. 2122-11 du code du travail en ce que le ministre chargé du travail est en situation de compétence liée pour arrêter la liste des organisations syndicales représentatives dès lors qu'il s'agit d'un acte recognitif, son pouvoir d'appréciation ne trouvant à s'appliquer qu'au stade de l'arrêté d'extension d'une convention collective ;
- d'une part, les motifs d'intérêt général opposés par le ministre chargé du travail à la demande de la CAPEB ne sont pas fondés dès lors que celui-ci méconnaît les réalités sociales et économiques du secteur du bâtiment, et d'autre part, les conventions collectives n'appellent pas un consensus des partenaires sociaux mais seulement un accord majoritaire conformément aux dispositions du code du travail, un tel accord ayant émergé le 14 mai 2019 ;
- la décision attaquée est source d'insécurité juridique pour les partenaires sociaux et les salariés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ho Si Fat, président assesseur,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- les observations de Me Leprêtre, avocat de la CAPEB, de Me Puissant, avocat de l'Union nationale des syndicats autonomes, de Me Gatineau, représentant la Fédération française du bâtiment, de Me Cotza, représentant la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois et de M. A..., représentant le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Des notes en délibéré ont été présentées le 26 juin 2023 pour la Fédération française du bâtiment et le 4 juillet 2023 par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 8 janvier 2021, la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), organisation professionnelle d'employeurs reconnue représentative, d'une part, dans le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés et, d'autre part, dans celui des entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés, a demandé à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, conjointement avec des organisations syndicales de salariés, de prendre deux arrêtés fixant la liste des organisations syndicales de salariés représentatives dans ces deux périmètres du secteur du bâtiment. Par une décision implicite née du silence gardé pendant plus de six mois, en application de l'article R. 2121-2 du code du travail, la ministre a refusé de prendre les arrêtés sollicités. La CAPEB demande à la Cour d'annuler cette décision implicite de rejet et d'enjoindre au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de prendre ces deux arrêtés.
Sur les interventions de la FFB, de l'UFIC-UNSA, de la CGT, de la FNSCBA-CGT et de la FNCB-CFDT :
2. Eu égard à la nature et l'objet du litige, d'une part, la Fédération française du bâtiment (FFB) justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée et, d'autre part, l'Union fédérale de l'industrie et de la construction UNSA (UFIC-UNSA), la Confédération générale du travail (CGT), la Fédération nationale des salariés de la construction-bois-ameublement CGT (FNSCBA-CGT) et la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT (FNCB-CFDT) d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision attaquée. Leurs interventions sont, par suite, recevables.
Sur la légalité de la décision attaquée :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques (...) ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".
4. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que la CAPEB aurait sollicité, dans le délai de recours contentieux, la communication des motifs de la décision implicite de refus qu'elle attaque. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2222-1 du code du travail : " Les conventions et accords collectifs de travail, ci-après désignés " conventions " et " accords " dans le présent livre, déterminent leur champ d'application territorial et professionnel. Le champ d'application professionnel est défini en termes d'activités économiques. (...) ". L'article L. 2231-1 du même code dispose que : " La convention ou l'accord est conclu entre : / - d'une part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d'application de la convention ou de l'accord ; / - d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs, ou toute autre association d'employeurs, ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement. (...) ".
6. En outre, d'une part, l'article L. 2122-11 de ce code prévoit que : " Après avis du Haut Conseil du dialogue social, le ministre chargé du travail arrête la liste des organisations syndicales reconnues représentatives par branche professionnelle (...) ". D'autre part, l'article L. 2121-2 de ce code prévoit que : " S'il y a lieu de déterminer la représentativité d'un syndicat ou d'une organisation professionnelle autre que ceux affiliés à l'une des organisations représentatives au niveau national, l'autorité administrative diligente une enquête. / L'organisation intéressée fournit les éléments d'appréciation dont elle dispose ".
7. Enfin, aux termes de l'article L. 2261-15 du code : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la sous-section 2, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail (...) ". L'article D. 2261-13 de ce code précise que : " Dans les formes prévues par les articles L. 2261-24 à L. 2261-31, le ministre chargé du travail peut, à la demande d'une des organisations représentatives intéressées ou de sa propre initiative : / 1° Abroger l'arrêté d'extension en vue de mettre fin à l'extension de la convention ou d'un accord ou de certaines de leurs dispositions lorsqu'il apparaît que les textes en cause ne répondent plus à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application considéré (...) ".
8. Il résulte des dispositions citées au point 6 que, si, en application de l'article L. 2122-11 du code du travail, il appartient au ministre chargé du travail d'arrêter périodiquement, à l'issue de chaque cycle électoral de quatre ans, la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans les branches professionnelles visées par ces dispositions, au vu, notamment, des résultats des élections professionnelles s'y étant tenues, il est également compétent, sans préjudice de l'application des règles d'appréciation de la représentativité des organisations syndicales de salariés propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches, pour, s'il y a lieu, fixer, sous le contrôle du juge administratif, la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une " branche professionnelle " au sens de l'article L. 2122-11 du code du travail.
9. Il ressort des pièces du dossier qu'il existe à ce jour quatre conventions collectives nationales dans le secteur du bâtiment : deux conventions conclues le 8 octobre 1990 couvrant respectivement les ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés et les ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, étendues par arrêtés des 8 et 12 février 1991, une convention des cadres du bâtiment du 1er juin 2004 qui n'a pas été étendue et une convention des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006 étendue par arrêté du 5 juin 2007. Par des arrêtés des 22 juin, 20 juillet et 22 décembre 2017, ce dernier ayant été modifié le 25 juillet 2018, puis par des arrêtés des 5 août et 13 décembre 2021, le ministre chargé du travail a fixé la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le champ de ces conventions, ainsi que dans le secteur du bâtiment.
10. La confédération requérante fait valoir que les périmètres des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés et des entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés sont utiles pour des négociations en cours, en invoquant l'accord collectif national du 14 mai 2019 prévoyant la mise en place de deux commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation dans le bâtiment, pour les entreprises jusqu'à dix salariés et pour celles de plus de dix salariés, les accords du 22 novembre 2019 relatifs à l'apprentissage dans le bâtiment et les conventions collectives du 14 décembre 2020 respectivement des salariés employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés et des salariés employés par les entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés, dont l'entrée en vigueur est subordonnée à leur extension par arrêté du ministre chargé du travail.
11. La fixation de la liste des organisations syndicales de salariés représentatives et leurs audiences respectives dans les périmètres en cause permettrait, il est vrai, de vérifier la représentativité des signataires des accords du 22 novembre 2019 et des conventions du 14 décembre 2020, lesquelles, sous réserve de leur extension, conduiraient à réduire de quatre à deux le nombre de conventions collectives du secteur du bâtiment. Cependant, de tels accords et conventions, dont le champ d'application serait défini non seulement en termes d'activités économiques mais également en fonction du nombre de salariés des entreprises, feraient perdurer l'existence de régimes conventionnels distincts, négociés le cas échéant par des organisations différentes, selon que les entreprises du même secteur ont plus ou moins de dix salariés. Dans ces conditions, le ministre chargé du travail pouvait légalement considérer que les accords mentionnés au point 10 ne suffisaient pas à faire regarder le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés et celui des entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés comme des périmètres utiles pour une négociation, justifiant qu'il détermine la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives.
12. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que, par un arrêté du 10 juin 1994, le ministre chargé du travail a étendu l'accord conclu le 25 janvier 1994 par la CAPEB et cinq organisations syndicales de salariés, relatif à la protection des salariés d'entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, appelés à participer aux réunions paritaires et aux réunions des organismes paritaires chargés de gérer des institutions du bâtiment. Un avenant du 4 mai 1995, étendu par un arrêté du 22 juillet 1995, organise un financement de la négociation collective dans le champ de l'accord. Par un avenant n° 4 du 25 juin 2018, la CAPEB et les organisations syndicales reconnues représentatives dans le champ de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés ont entendu modifier cet accord pour tirer les conséquences de l'arrêté du 20 juillet 2017 fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans ce champ. Par un arrêt du 10 février 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé la suspension par la Cour d'appel de Paris de l'avenant n° 4, faute d'arrêté du ministre chargé du travail, pris en application de l'article L. 2122-11 ou de l'article L. 2121-2 du code du travail, déterminant les organisations représentatives dans le champ de cet accord pour permettre aux partenaires sociaux souhaitant négocier de s'assurer que toutes les organisations syndicales représentatives dans ce périmètre sont invitées à la négociation.
13. Les dispositions combinées des articles L. 2222-1, L. 2261-15 et D. 2261-13 du code du travail, citées aux points 5 et 7, attribuent au ministre chargé du travail un pouvoir d'appréciation lui permettant de procéder à l'abrogation d'un arrêté d'extension, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, pour des motifs d'intérêt général tenant notamment à la cohérence d'ensemble des champs conventionnels concernés et à la stabilité juridique des règles applicables aux entreprises et à leurs salariés. En revanche, tant qu'un accord ou une convention est étendu, le ministre chargé du travail ne saurait légalement refuser de fixer la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans son champ d'application.
14. Il suit de là que le ministre chargé du travail ne pouvait légalement refuser de fixer la représentativité des organisations syndicales de salariés dans le champ des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés.
15. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 11 que le ministre chargé du travail n'a pas porté une atteinte illégale à la liberté de négociation collective des partenaires sociaux, au regard des motifs d'intérêt général qu'il invoque, en refusant de prendre un arrêté de représentativité dans le périmètre des entreprises du bâtiment employant plus de dix salariés. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté de négociation collective doit être écarté.
16. En troisième lieu, la CAPEB et l'UFIC-UNSA soutiennent que la décision de refus attaquée constitue une rupture d'égalité entre les organisations syndicales, dès lors que leur demande a été traitée différemment de celle présentée notamment par la CFDT, la CGT-FO et la CFTC le 11 juillet 2017, tendant à la prise d'un arrêté de représentativité au niveau global du secteur du bâtiment. Toutefois, les demandes ainsi présentées correspondent à des situations différentes, dont le traitement différent n'est pas manifestement disproportionné et est en rapport direct avec l'objet des décisions de détermination de la représentativité des syndicats. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre les organisations syndicales doit être écarté.
17. En quatrième lieu, la décision de refus attaquée ne modifie pas l'état du droit. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du principe de sécurité juridique et du droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues ne peuvent qu'être écartés.
18. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen seulement susceptible d'entraîner la même annulation partielle, et alors, en tout état de cause, que les circonstances de droit et de fait n'ont pas subi de modification entre la date de la décision attaquée et le présent arrêt, d'annuler la décision implicite de la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en tant qu'elle refuse de déterminer la représentativité des organisations syndicales de salariés dans le périmètre des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
19. En raison du motif qui la fonde, la présente décision implique nécessairement que le ministre chargé du travail fixe la liste des organisations syndicales de salariés reconnues comme représentatives dans le périmètre des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés. Il y a lieu d'enjoindre au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de prendre un arrêté fixant cette liste dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
20. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la CAPEB d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter, en tout état de cause, celles présentées sur le même fondement par la FFB.
21. D'autre part, s'agissant des conclusions présentées sur le même fondement par l'UFIC- UNSA, la CGT, la FNSCBA-CGT et la FNCB-CFDT, aucun de ces syndicats n'aurait qualité pour former tierce opposition à l'encontre du présent arrêt, de sorte qu'ils ne peuvent être regardés comme des parties à l'instance et ainsi se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les interventions présentées par la Fédération française du bâtiment, l'Union fédérale de l'industrie et de la construction-UNSA, la Confédération générale du travail, la Fédération nationale des salariés de la construction-bois-ameublement-CGT et la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT sont admises.
Article 2 : La décision implicite de la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion est annulée en tant qu'elle refuse de prendre un arrêté déterminant la liste des organisations syndicales de salariés reconnues comme représentatives dans le périmètre des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés.
Article 3 : Il est enjoint au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de prendre l'arrêté sollicité dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par l'ensemble des intervenants à l'instance sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à la Fédération française du bâtiment, à l'Union fédérale de l'industrie et de la construction-UNSA, à la Confédération générale du travail, à la Fédération nationale des salariés de la construction-bois-ameublement-CGT et à la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT.
Délibéré après l'audience du 26 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- M. Le Goff, président de chambre,
- M. Ho Si Fat, président assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2023.
Le rapporteur,
F. HO SI FAT La présidente,
P. FOMBEUR
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA02251