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17/07/2023 | FRANCE | N°21PA03046

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 17 juillet 2023, 21PA03046


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, venant aux droits du centre hospitalier de Montereau, a demandé au tribunal administratif de Melun, à titre principal, de condamner solidairement la SARL Bical-Courcier-Martinelli, la société Alto Ingénierie et l'Etat, ainsi que leurs assureurs, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 6 545 589,32 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de cette demande et de la capitalisation de ceux-c

i, au titre de la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, venant aux droits du centre hospitalier de Montereau, a demandé au tribunal administratif de Melun, à titre principal, de condamner solidairement la SARL Bical-Courcier-Martinelli, la société Alto Ingénierie et l'Etat, ainsi que leurs assureurs, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 6 545 589,32 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de cette demande et de la capitalisation de ceux-ci, au titre de la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'arrêt du chantier de rénovation et d'extension de la maison de retraite du

Châtelet-en-Brie.

Par un jugement n° 1504804 du 7 avril 2021, le tribunal administratif de Melun a :

- donné acte du désistement des conclusions du préfet de Seine-et-Marne aux fins d'appel en garantie formé contre les sociétés Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie, et des conclusions de la société Bical-Courcier-Martinelli aux fins d'appel en garantie formé contre l'Etat et la société Alto Ingénierie, ainsi que de ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dépens ;

- rejeté les conclusions dirigées contre les assureurs des sociétés Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

- condamné in solidum les sociétés Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie à verser au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne la somme de 6 000 euros HT majorée de la taxe sur la valeur ajoutée, assortie des intérêts à taux légal à compter du 21 juin 2015 ainsi que de la capitalisation des intérêts échus à la date du 21 juin 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts ;

- dit que la société Bical-Courcier-Martinelli garantira la société Alto Ingénierie à hauteur de 50% de la somme de 6 000 euros précitée ;

- mis les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 34 166,14 euros TTC à la charge définitive du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne pour un montant de 27 333,31 euros TTC et à la charge in solidum des sociétés Alto Ingénierie et Bical-Courcier-Martinelli pour un montant de 6 833,33 euros ;

- mis à la charge des sociétés Alto Ingénierie et Bical-Courcier-Martinelli la somme de 750 euros chacune à verser au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

- rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 juin 2021 et le 23 septembre 2022, le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, représentée par Me Desorgues, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que, d'une part, il a limité la condamnation in solidum des sociétés Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie à la somme de 6 000 euros HT majorée de la TVA et assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2015 ainsi que de la capitalisation de ces derniers et rejeté les conclusions dirigées contre l'Etat et, d'autre part, mis à sa charge définitive les frais d'expertise à hauteur de la somme de 27 333,31 euros ;

2°) à titre principal, de condamner solidairement la société Bical-Courcier-Martinelli, la société Alto Ingénierie et l'Etat, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 6 545 589,32 euros, à parfaire, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'arrêt du chantier de rénovation et d'extension de la maison de retraite du

Châtelet-en-Brie ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la société Bical-Courcier-Martinelli, la société Alto Ingénierie et l'Etat, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à lui verser la somme de 6 913 119,19 euros, à parfaire, en réparation des préjudices précités ;

4°) en tout état de cause, de condamner la société Bical-Courcier-Martinelli, la société Alto Ingénierie et l'Etat à le garantir solidairement de toute condamnation prononcée à son encontre s'agissant des sociétés Boyer, Bonnardel, CIAC ou toute autre entreprise qui pourrait obtenir une indemnisation en raison de l'arrêt du chantier de la maison de retraite du

Châtelet-en-Brie ou, à défaut, de les condamner solidairement à lui verser une somme de 750 000 euros, à parfaire, au titre du préjudice financier qu'il estime susceptible de subir du fait des indemnités qu'il sera amené à verser aux entreprises ayant subi des préjudices à raison de cet arrêt du chantier ;

5°) d'assortir l'ensemble de ces sommes des intérêts à taux légal à compter de la date d'introduction de sa requête devant le tribunal, ainsi que de la capitalisation des intérêts dès lors qu'ils sont dus pour une année entière ;

6°) de mettre à la charge solidaire de la société Bical-Courcier-Martinelli, de la société Alto Ingénierie et de l'Etat les frais d'expertise ;

7°) de mettre à la charge solidaire de la société Bical-Courcier-Martinelli, de la société Alto Ingénierie et de l'Etat la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le délai de prescription applicable à son action est de dix ans au regard de

l'article 1792-4-3 du code civil, dont le champ d'application s'étend à l'ensemble des actions en responsabilité, y compris en l'absence de réception des travaux ;

- s'agissant de l'effet interruptif de la citation en justice prévu à l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, et relatif à la demande de désignation d'un expert présentée devant le juge des référés, il vaut jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ;

- dans le cadre des textes relatifs à la prescription applicables postérieurement à la loi du 17 juin 2008, si le délai de prescription n'est interrompu que jusqu'à l'ordonnance de désignation de l'expert, il est ensuite suspendu jusqu'au dépôt par l'expert de son rapport en vertu de

l'article 2239 du code civil ; son action n'était donc pas prescrite à la date de sa demande devant le tribunal administratif de Melun ;

- la fin de non-recevoir opposée par le bureau d'études techniques (BET) Alto Ingénierie à son action en responsabilité contractuelle est infondée ;

- la responsabilité contractuelle des sociétés Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie, maîtres d'œuvre, est engagée, en premier lieu, à raison, d'une part, d'un défaut de conception du marché initial, notamment une mauvaise estimation du montant des travaux à réaliser et des carences commises dans la définition des documents contractuels, et, d'autre part, d'une mauvaise analyse des offres des sociétés soumissionnaires, notamment au regard de la prestation relative aux gaines de désenfumage ;

- elle est engagée, en second lieu, à raison de fautes commises dans la gestion de la problématique des gaines de désenfumage, notamment l'incitation à la résiliation des marchés de la société CIAC, et de manquements au devoir de conseil et d'assistance du maître d'ouvrage, dès lors que cette résiliation s'est révélée extrêmement préjudiciable pour ce dernier ;

- la responsabilité contractuelle de l'Etat, conducteur d'opérations, est engagée, d'une part, à raison de manquements dans son obligation de conseil et d'assistance au maître d'ouvrage, au regard notamment des décisions relatives aux contraintes sécuritaires à prendre en compte et du choix des entrepreneurs, dès lors que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) des lots 5.1 et 6.1 des sociétés CIAC et Les Plâtres Modernes, dont la direction départementale de l'équipement de Seine-et-Marne devait contrôler la rédaction, ne mentionnait notamment pas laquelle de ces deux entreprises devait réaliser les gaines de désenfumage ;

- elle est engagée, d'autre part, à raison de manquements tant dans le suivi du marché de maîtrise d'œuvre et la gestion de la problématique des gaines de désenfumage qu'au regard de son obligation de conseil relative aux décisions à adopter pour préserver les intérêts du maître d'ouvrage et la bonne exécution du chantier ;

- elle est engagée, enfin, en ce que le directeur départemental de l'équipement de

Seine-et-Marne a préféré se désengager du marché en invoquant des prétextes au lieu de chercher une solution au blocage technique et juridique du chantier et de conseiller au mieux le maître d'ouvrage à cet égard ;

- il a subi un préjudice financier très important résultant, d'une part, de la résiliation des marchés et de l'ajournement des travaux, d'autre part, des travaux supplémentaires liés aux carences des documents contractuels d'origine des entreprises ainsi que des travaux de reprise en lien avec la mise aux normes des bâtiments et les malfaçons constatées et, enfin, de l'augmentation du prix des travaux et de la TVA applicable, de la souscription nécessaire de nouveaux contrats d'assurance et emprunts ainsi que du paiement des prestations non réalisées par la société CIAC ;

- il a également subi un préjudice d'exploitation et un préjudice moral ;

- les fautes et manquements des maîtres d'œuvre et du conducteur d'opérations sont à l'origine des préjudices subis par lui, pour un montant global de 6 545 589,32 euros ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité des maîtres d'œuvre et du conducteur d'opérations doit être engagée sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, pour un montant global de 6 913 119,19 euros.

Par des mémoires, enregistrés le 24 mai 2022 et le 17 octobre 2022, la société

Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2), représentée par la SELARL

Symchowicz-Weissberg et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) de rejeter la requête ;

3°) de condamner la société Alto Ingénierie à la garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre au titre de manquements concernant la mission de maîtrise d'œuvre ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne et de toute autre partie perdante les frais d'expertise ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne et de toute autre partie perdante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant de la prescription, le régime prévu à l'article 1792-4-3 du code civil est inapplicable en l'absence de réception des travaux ;

- s'agissant de l'effet interruptif de la citation en justice prévu à l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, et relatif à la demande de désignation d'un expert présentée devant le juge des référés par le centre hospitalier de Montereau, il n'a produit ses effets que pendant la durée de l'instance à laquelle il a été mis fin par l'ordonnance désignant l'expert en date du 16 mars 2007 ;

- l'action en responsabilité du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne est, compte tenu de ce qui précède, nécessairement prescrite et par suite, irrecevable ;

- les moyens de la requête ne sont en tout état de cause pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 24 mai 2022, le bureau d'études techniques (BET) Alto Ingénierie, représenté par la SELARL Rodas - Del Rio, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) de rejeter la requête ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter la condamnation du BET Alto Ingénierie à la somme de 6 000 euros HT ;

4°) de condamner in solidum la société Arnaud Bical-Laurent Courcier Architectes et l'Etat à la garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre ;

5°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne et de toute autre partie perdante les frais d'expertise ;

6°) de mettre à la charge solidaire de tout succombant les frais de l'expertise ainsi que la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- s'agissant de la prescription, le régime prévu à l'article 1792-4-3 du code civil, qui ne vise en tout état de cause que les désordres de " construction ", est inapplicable en l'absence de réception des travaux ;

- le nouveau délai de prescription faisant suite à l'interruption résultant de la demande en justice commence à courir à compter de l'ordonnance de désignation de l'expert qui met fin à l'instance de référé et non à compter du dépôt du rapport d'expertise ;

- l'action du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne devant le tribunal administratif est prescrite dès lors que le délai de cinq ans issu de la loi du 17 juin 2008 était écoulé à la date de sa requête devant le tribunal administratif de Melun ;

- l'action du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne est irrecevable sur le fondement contractuel dès lors qu'aucun décompte de liquidation n'a été établi à la suite de la résiliation du marché de maître d'œuvre ;

- les moyens de la requête ne sont en tout état de cause pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 26 août 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête en tant qu'elle est dirigée contre l'Etat.

Il soutient que :

- les conditions d'engagement de la responsabilité contractuelle de l'Etat ne sont pas réunies ;

- en tout état de cause, les préjudices allégués ne revêtent pas les caractéristiques qui en permettent l'indemnisation ; il s'en réfère sur ce point aux écritures du préfet de Seine-et-Marne en première instance ;

- les conditions d'engagement de la responsabilité extracontractuelle de l'Etat ne sont pas non plus réunies ;

- les moyens de la requête ne sont en tout état de cause pas fondés ;

- les frais de l'expertise ne sauraient être imputés à l'Etat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,

- les observations de Me Hanke, substituant Me Desorgues pour le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, de Me Keravel pour la société Bical-Courcier-Martinelli et de Me Del Rio pour la société Alto Ingénierie.

Considérant ce qui suit :

1. La Maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie (Seine-et-Marne) a lancé en 1998 un programme d'agrandissement et de rénovation de ses locaux comprenant la construction de deux nouveaux bâtiments attenants aux bâtiments existants. Par une décision du préfet

de Seine-et-Marne du 1er février 1999, la conduite de l'opération a été confiée à la direction départementale de l'équipement de Seine-et-Marne, devenue la direction départementale des territoires de Seine-et-Marne à compter du 1er juillet 2010. Par un acte d'engagement signé le

5 mai 2000, la maîtrise d'œuvre de ce projet a été confiée à un groupement d'entreprises composé, notamment, de la société Bical-Courcier-Martinelli en qualité d'architecte mandataire et de la société Alto Ingénierie en qualité de bureau d'études techniques " fluides ". Après deux procédures d'appel d'offres déclarées sans suite par le maître d'ouvrage, les marchés de travaux ont été notifiés le 7 juin 2004 à la suite d'une troisième procédure, pour un montant global de 6 400 000 euros TTC, les lots n° 5.1 " plomberie, chauffage, ventilation, désenfumage " et n° 5.2 " courants forts, courants faibles " étant notamment attribués à la société CIAC. Au vu de diverses carences constatées dans l'exécution des marchés de la société CIAC et après mises en demeure par le maître d'œuvre de cette dernière, restées infructueuses, de remplir ses obligations contractuelles, le maître d'ouvrage lui a notifié, le 12 décembre 2006, la résiliation à ses frais et risques de ses deux marchés. Par décision du 2 février 2007, la Maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie a décidé l'ajournement des travaux de l'ensemble des autres lots. Par décision du 30 avril 2009, le maître d'ouvrage a prononcé la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre aux frais et risques de son titulaire. Par lettre du 5 février 2008, le directeur départemental de l'équipement de Seine-et-Marne a proposé au centre hospitalier de Montereau l'arrêt de l'exécution de sa mission de conducteur d'opérations, qui a été accepté par le maître d'ouvrage par lettre du 8 février 2008.

2. A la suite de la demande présentée par la Maison de retraite du Châtelet-en-Brie au tribunal administratif de Melun, le 13 février 2007, de désignation d'un expert aux fins de lui fournir tous éléments relatifs aux préjudices subis et aux responsabilités encourues, le juge des référés de ce tribunal a désigné en cette qualité, par ordonnance du 16 mars 2007 complétée par une ordonnance du 26 décembre 2007, M. A..., qui a déposé son rapport le 12 avril 2014. Saisi par le centre hospitalier de Montereau, venu aux droits de la Maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie, d'une requête enregistrée le 21 juin 2015, le tribunal administratif de Melun a notamment, par jugement du 7 avril 2021, d'une part, condamné in solidum les sociétés

Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie à verser au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, venu aux droits du centre hospitalier de Montereau, la somme de 6 000 euros, majorée de la TVA et des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2015 ainsi que de la capitalisation des intérêts échus à compter du 21 juin 2016, d'autre part, jugé que la société Bical-Courcier-Martinelli garantirait la société Alto Ingénierie à hauteur de 50% de cette somme et, enfin, mis à la charge in solidum de ces sociétés la somme de 6 833,33 euros au titre des frais d'expertise taxés et liquidés à la somme globale de 34 166,14 euros TTC. Le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne relève appel de ce jugement en tant que, d'une part, il a limité la condamnation in solidum des sociétés Bical-Courcier-Martinelli et Alto Ingénierie à la somme de 6 000 euros HT majorée de la TVA et des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2015 ainsi que de la capitalisation des intérêts échus à compter du 21 juin 2016 et rejeté les conclusions dirigées contre l'Etat, d'autre part, mis à sa charge définitive les frais d'expertise à hauteur de la somme de 27 333,31 euros et enfin, rejeté le surplus de sa demande. Il demande en outre à la Cour, à titre principal, d'une part, de condamner solidairement la société Bical-Courcier-Martinelli, la société Alto Ingénierie et l'Etat à lui verser la somme de 6 545 589,32 euros, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'arrêt du chantier de rénovation et d'extension de la maison de retraite du Châtelet-en-Brie et, d'autre part, de mettre à la charge solidaire de la société Bical-Courcier-Martinelli, de la société Alto Ingénierie et de l'Etat la totalité des frais d'expertise. La société Bical-Courcier-Martinelli, devenue la société BMC2, et la société BET Alto Ingénierie relèvent appel incident de ce jugement en ce qu'il les a condamnées à verser au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne la somme de 6 000 euros majorée dans les conditions précitées et mis à leur charge une partie des frais d'expertise.

Sur l'appel principal du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne :

En ce qui concerne la prescription de l'action contractuelle :

3. La société Bical-Courcier-Martinelli, devenue la société Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2), et le bureau d'études techniques (BET) Alto Ingénierie, tous deux membres co-traitants du groupement de maîtrise d'œuvre dans le cadre des travaux d'extension et de restructuration de la Maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie, opposent au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne la prescription de son action contractuelle, qui ne constitue pas une fin de non-recevoir, ainsi que le font valoir à tort ces sociétés, mais un moyen de défense au fond. Si l'Etat, titulaire d'une mission de conducteur d'opérations dans les conditions mentionnées au point 1, se limite en appel à soutenir que " les préjudices allégués ne revêtent pas les caractéristiques qui en permettent l'indemnisation. Sur ce point, je renvoie utilement aux écritures du préfet de Seine-et-Marne, produites en première instance, lesquelles n'appellent pas de complément ", il résulte des écritures précitées du préfet qu'il a opposé au centre hospitalier la prescription de sa créance invoquée à son encontre, relative aux conséquences dommageables résultant de l'arrêt du chantier d'extension et de restructuration de la Maison de retraite. Par suite, l'Etat doit être regardé comme opposant également en appel cette prescription.

4. D'une part, l'article 1792-4-3 du code civil, créé par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, dispose que : " En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ". Ces dispositions, figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérées dans un chapitre consacré aux contrats de louage d'ouvrage et d'industrie, ont vocation à s'appliquer aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l'ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants. Aux termes de l'article 1792-1 du même code : " Est réputé constructeur de l'ouvrage : 1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ".

5. D'autre part, un conducteur d'opérations, au sens de l'article 6 de la loi du

12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique, concluant avec un maître d'ouvrage un contrat de louage d'ouvrage doit être regardé comme un constructeur.

6. Enfin, aux termes de l'article 2224 du code civil, dans sa version issue de la loi du

17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes de l'article 2244 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008 : " Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir ". Il résulte de ces dernières dispositions que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise n'interrompt le délai de prescription que pendant la durée de l'instance à laquelle il est mis fin par l'ordonnance désignant l'expert. Aux termes de l'article 2239 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ". Et aux termes de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 : " I. - Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. / II. - Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. / III. - Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation. / (...) ".

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que tant les sociétés BMC2 et BET Alto Ingénierie que l'Etat ont, s'agissant de l'opération de travaux d'extension et de restructuration de la Maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie, la qualité de constructeur au sens de l'article 1792-4-3 du code civil. Toutefois, dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'aucune réception des travaux n'est intervenue, les dispositions de l'article L. 1792-4-3 du code civil ne leur sont pas applicables. L'action contractuelle engagée par le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne à leur encontre relève, dès lors, de la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil, dans sa version issue de la loi du 17 juin 2008.

8. En outre, il résulte de l'instruction que la Maison de retraite publique du canton du Châtelet-en-Brie doit être regardée comme ayant eu connaissance des faits lui ayant permis d'exercer son action au plus tard le 2 février 2007, date à laquelle elle a décidé l'ajournement des travaux de l'ensemble des lots du chantier. A cette date, l'action en responsabilité contractuelle dont elle disposait était soumise à une prescription trentenaire qui a été ramenée à cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. En vertu de l'article 2244 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription de trente ans a été interrompu le 13 février 2007 par une requête présentée par la Maison de retraite afin d'obtenir du président du tribunal administratif de Melun la désignation d'un expert. Ce délai a recommencé à courir, non à compter du dépôt du rapport de l'expert comme le soutient le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, mais lorsque l'instance initiée par la requête précitée a pris fin, c'est-à-dire à compter de la date de l'ordonnance de désignation de l'expert, soit le 16 mars 2007. De plus, en application des dispositions de l'article 2224 du code civil dans leur version issue de la loi du

17 juin 2008 et de l'article 26 de cette loi, un nouveau délai de prescription de cinq ans est né à compter du 19 juin 2008 jusqu'au 19 juin 2013. Si le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne soutient que l'article 2239 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, a en tout état de cause suspendu ce délai de prescription jusqu'à l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée, soit jusqu'au dépôt, le 12 avril 2014, du rapport de l'expert, cette disposition ne s'applique qu'aux mesures d'instruction, telles que les expertises, ordonnées à compter du

19 juin 2008 et n'est donc pas applicable à l'expertise ordonnée le 16 mars 2007. Par suite et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas davantage allégué qu'une autre cause d'interruption ou de suspension du délai de prescription serait intervenue, lorsque le centre hospitalier de Montereau, venu aux droits de la Maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie, a introduit sa requête devant le tribunal administratif de Melun, le 21 juin 2015, le délai de prescription de cinq ans était expiré à l'égard des sociétés BMC2 et BET Alto Ingénierie ainsi que de l'Etat.

En ce qui concerne l'action extracontractuelle :

9. Le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne ne peut invoquer la responsabilité extracontractuelle pour faute des sociétés BMC2 et BET Alto Ingénierie ainsi que de l'Etat, avec lesquels il était lié par un contrat en sa qualité de maître de l'ouvrage.

Sur les appels incidents de la société Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2) et de la société Alto Ingénierie :

10. Dès lors que l'action contractuelle du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne était prescrite à la date de sa demande devant le tribunal administratif, les sociétés ci-dessus mentionnées sont fondées à demander l'annulation du jugement du 7 avril 2021 en tant que le tribunal administratif de Melun les a condamnées in solidum à verser au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne la somme de 6 000 euros HT majorée de la taxe sur la valeur ajoutée et assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2015 et de la capitalisation des intérêts échus à la date du 21 juin 2016.

Sur les appels en garantie des sociétés Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2) et de la société Alto Ingénierie :

11. Les sociétés BMC2 et BET Alto Ingénierie s'appellent mutuellement en garantie. Toutefois, aucune condamnation n'étant prononcée par le présent arrêt à l'encontre de ces deux sociétés, leurs conclusions d'appel en garantie sont sans objet.

Sur les frais d'expertise :

12. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...). Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

13. Il y a lieu de mettre à la charge définitive du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 34 166,64 euros TTC par l'ordonnance

n° 0701093, 070829 du 22 janvier 2015 de la présidente du tribunal administratif de Melun.

14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, d'une part, la requête du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne doit être rejetée et que, d'autre part, les sociétés Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2) et le bureau d'études techniques Alto Ingénierie sont fondées à demander l'annulation des articles 3 et 4 du jugement du 7 avril 2021 du tribunal administratif de Melun, ainsi que celle de l'article 5 de ce jugement, en tant que le tribunal a mis à leur charge in solidum la somme de 6 833,33 euros au titre des frais d'expertise.

Sur les frais de l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2), du BET Alto Ingénierie et de l'Etat, qui ne sont pas dans la présente instance parties perdantes, le versement de la somme que le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, de mettre à la charge du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne la somme de 1 500 euros à verser à la société Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2) et au BET Alto Ingénierie au titre des frais exposés par ces derniers et non compris dans les dépens de la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne est rejetée.

Article 2 : Les articles 3 et 4 du jugement n° 1504804 du tribunal administratif de Melun du

7 avril 2021, ainsi que l'article 5 en tant qu'il met à la charge in solidum des sociétés Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2) et BET Alto Ingénierie la somme de 6 833,33 euros au titre des frais d'expertise, sont annulés.

Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 34 166,14 euros TTC, sont mis à la charge définitive du centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne.

Article 4 : Le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne versera à la société Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2) la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne versera au BET Alto Ingénierie la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'appel en garantie présentées par la société Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2) et la société Alto Ingénierie.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, à la société Arnaud Bical et Laurent Courcier Architectes (BMC2), au bureau d'études techniques Alto Ingénierie et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Briançon, présidente assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 juillet 2023.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS La greffière,

V. BREME

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA03046


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03046
Date de la décision : 17/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : DESORGUES SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-17;21pa03046 ?
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