La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/07/2023 | FRANCE | N°22PA03512

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 05 juillet 2023, 22PA03512


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et Mme C... B... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'une part, de constater l'emprise de la Polynésie française sur leur propriété et d'autre part, de condamner la Polynésie française à leur verser la somme totale de 316 000 000 F CFP due au titre de l'occupation de leur propriété et de l'extraction de matériaux sur leur propriété entre le 1er mai 2015 et le 15 mai 2019.

Par un jugement n° 2100528 du 7 juin 2022, le tribunal administrati

f de la Polynésie française a condamné la Polynésie française à verser aux requérants...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et Mme C... B... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'une part, de constater l'emprise de la Polynésie française sur leur propriété et d'autre part, de condamner la Polynésie française à leur verser la somme totale de 316 000 000 F CFP due au titre de l'occupation de leur propriété et de l'extraction de matériaux sur leur propriété entre le 1er mai 2015 et le 15 mai 2019.

Par un jugement n° 2100528 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la Polynésie française à verser aux requérants la somme totale de 131 677 980 F CFP.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés le 27 juillet 2022, le 17 février 2023 et le 4 mars 2023, M. et Mme A..., représentés par Me Antz, demandent à la cour dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de réformer le jugement n° 2100528 du 7 juin 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande ;

2°) de condamner la Polynésie française à leur verser la somme totale de

185 147 112 F CFP au titre des indemnités dues du fait de l'occupation de leur propriété et de l'extraction de matériaux sur leur propriété entre le 1er mai 2015 et le 15 mai 2019 ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable dès lors qu'elle comporte des moyens d'appel ;

- la Polynésie française a occupé, sans autorisation, la totalité de leur parcelle d'une surface de 75 796 m² et en tout état de cause une surface de 25 361 m² ;

- l'occupation de leur parcelle par la Polynésie Française a débuté à compter de la signature de l'autorisation de travaux le 5 mai 2015 et l'indemnité d'occupation devait être calculée sur la base d'une durée d'occupation allant du 5 mai 2015 au 15 mai 2019, date de l'ordonnance du juge de l'expropriation portant transfert de propriété ;

- l'indemnité d'occupation aurait dû être calculée sur la base d'un prix au m2 de

6 200 F CFP et d'une valeur locative de leur parcelle correspondant à 4 % de sa valeur vénale ;

- l'indemnité relative aux matériaux extraits doit être évaluée à 159 989 000 F CFP conformément à ce qui était proposé par la Polynésie française en première instance sur la base d'un volume de matériaux déblayés et remblayés fixés à 57 550 m3.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 janvier 2023 et le 1er mars 2023, la Polynésie française, représentée par son président, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement n° 2100528 du 7 juin 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il l'a condamne à verser aux requérants la somme de 126 481 660 F CFP au titre de l'extraction de matériaux sur leur propriété ;

3°) de mettre à la charge des requérants une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en l'absence de moyens d'appel ;

- il y a lieu de maintenir l'indemnité d'occupation allouée par les premiers juges à hauteur de 5 196 320 F CFP ; la direction de l'équipement n'a pas occupé la totalité de la superficie de la propriété des requérants mais uniquement une superficie de 11 664 m² nécessaire à la réalisation du bassin dégraveur ; les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de l'indemnité d'occupation en retenant un prix du m2 de 4 500 F CFP et une valeur locative annuelle de 3% ;

- c'est à tort que les premiers juges ont alloué une indemnité correspondant à la valeur des matériaux extraits sur la propriété des requérants dès lors que ces derniers se prévalent d'un préjudice purement hypothétique ; il n'est pas établi que les requérants prévoyaient une exploitation du sous-sol de leur propriété, laquelle serait en tout état de cause, impossible au regard des règles d'urbanisme applicables sur la zone concernée ; à titre subsidiaire, si la réalité du préjudice était établie, l'indemnité allouée par les premiers juges à hauteur de 126 481 660 F CFP doit être maintenue.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Robillot, représentant M. et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... sont propriétaires d'une parcelle cadastrée CM n° 21 située à Taharu'u sur la commune de Papara (Tahiti). Dans le cadre d'un projet d'aménagement de la rivière Taharu'u, la Polynésie Française a obtenu, le 5 mai 2015, l'autorisation de M. A... afin d'occuper une partie de sa parcelle en vue d'y réaliser les travaux nécessaires à l'aménagement de la rivière. Estimant que leur parcelle avait été occupée au-delà de la limite prévue pour y construire un bassin dégraveur sans leur accord, M et Mme A... ont saisi le tribunal civil de première instance de Papeete qui, par une ordonnance du 13 mars 2019, s'est déclaré incompétent, au profit de la juridiction administrative, pour connaître des conclusions tendant à la réparation des préjudices résultant de cette occupation irrégulière. Après avoir adressé à la Polynésie Française une demande indemnitaire qui est restée sans réponse, M et Mme A... ont saisi le tribunal administratif de la Polynésie française. Par un jugement du 7 juin 2022, le tribunal administratif a condamné la Polynésie Française à verser aux requérants la somme de 5 196 320 F CFP au titre de l'indemnité d'occupation de leur parcelle et la somme de 126 481 660 F CFP au titre de l'extraction des matériaux sur leur propriété.

2. M. et Mme A... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande. Par la voie de l'appel incident, la Polynésie française conclut à la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamné à indemniser les requérants de la somme de 126 481 660 F CFP au titre de l'extraction des matériaux sur leur propriété.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie Française :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. La requête d'appel enregistrée le 27 juillet 2022 réitère les moyens soulevés en première instance mais pour plusieurs d'entre eux sous une autre forme et comporte une critique du raisonnement suivi par les premiers juges. Dans ces conditions, la requête d'appel ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement les écritures de première instance et satisfait aux exigences de motivation prévues par l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie Française doit être écartée.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité de la Polynésie française du fait d'une emprise irrégulière :

4. La réalisation, par une personne publique, de travaux sur une propriété privée, qui dépossède les propriétaires de la parcelle concernée d'un élément de leur droit de propriété, ne peut être régulièrement réalisée qu'après, soit l'accomplissement d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, soit l'institution de servitudes légales, soit l'intervention d'un accord amiable avec les propriétaires de cette parcelle.

5. Il résulte de l'instruction que la Polynésie française a obtenu, le 5 mai 2015, de M. A... l'autorisation d'occuper une partie de sa parcelle, d'une surface de 16 345 m2, en vue d'y réaliser les travaux nécessaires à l'aménagement de la rivière Taharu'u. Si M. et Mme A... soutiennent que leur parcelle a été occupée au-delà de la surface autorisée, la circonstance que le ministère de l'équipement leur ait proposé, par un courrier du 3 juin 2016, une offre d'acquisition de l'intégralité de leur parcelle et que le site du cadastre affichait la mention " parcelle bloquée " à la suite de la conclusion de l'accord amiable n'est pas de nature à démontrer que l'occupation de leur parcelle durant les travaux d'aménagement de la rivière aurait excédé la superficie autorisée de 16 345 m2. Par ailleurs, si M. et Mme A... se prévalent de photographies figurant dans le rapport de l'expert immobilier mandaté par leurs soins ainsi que de photographies prises le 12 juillet 2016, ces dernières ne permettent pas, à elles-seules, d'établir que des travaux, et notamment une voie d'accès et de sortie pour les engins de terrassements ainsi qu'un espace de dégagement pour le transport des agrégats, auraient été réalisés au-delà des limites autorisées. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux nécessaires à l'aménagement de la rivière Taharu'u auraient été effectués par emprise irrégulière sur la propriété de M. et Mme A.... Par suite, la responsabilité de la Polynésie française ne saurait être engagée à ce titre.

En ce qui concerne la responsabilité de la Polynésie française du fait de l'inexécution de l'accord amiable conclu le 5 mai 2015 :

6. Même lorsqu'ils sont exécutés sur une propriété privée et sous réserve qu'ils n'aient pas été effectués par emprise irrégulière, les travaux immobiliers réalisés par une personne publique dans un but d'intérêt général présentent le caractère de travaux publics. Il résulte de l'instruction que les travaux prévus dans l'accord amiable sur la propriété de M. et Mme A... portent sur l'aménagement de la rivière Taharu'u afin notamment d'assurer la réhabilitation et l'entretien des berges et du cours d'eau. De tels travaux constituent dès lors des travaux publics et l'accord amiable conclu le 5 mai 2015 présente ainsi le caractère de contrat administratif dont la méconnaissance est de nature à engager la responsabilité de la Polynésie française.

7. Il résulte des termes de l'accord amiable que la Polynésie française était autorisée, dès la signature de l'accord le 5 mai 2015, à occuper la parcelle de M. et Mme A... sur une superficie de 16 345 m² et que la Polynésie s'engageait à indemniser l'occupation de la parcelle de terre nécessaire à la réalisation des travaux projetés. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'indemnité d'occupation prévue dans l'accord courait à compter du 5 mai 2015, date de sa signature, et portait sur une surface de 16 345 m2, telle que retenue dans l'accord. Si M. et Mme A... soutiennent que l'indemnité d'occupation devait être calculée en tenant compte d'un prix au m2 de 6 200 F CFP au regard de l'estimation retenue dans le rapport de l'expert immobilier mandaté par leurs soins, ce rapport n'est pas de nature à remettre en cause le prix au m² de 4 500 F CFP retenu par les premiers juges qui n'apparaît pas manifestement sous-évalué au regard de l'estimation faite par la commission des évaluations immobilières le 18 juin 2015 ainsi que par la cour d'appel de Papeete le 27 octobre 2022, dans le cadre de l'expropriation du terrain. En outre, il n'est pas davantage établi par les pièces du dossier que la valeur locative de la parcelle retenue par les premiers juges, estimée à 3% de sa valeur, serait manifestement sous-évaluée. Dès lors, eu égard à la surface occupée, à la nature de la parcelle, à l'estimation de sa valeur locative au regard de sa valeur vénale et à la durée de l'occupation qui a couru jusqu'au 15 mai 2019, date de l'ordonnance du juge de l'expropriation portant transfert de propriété, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité d'occupation due en l'évaluant à la somme de 7 000 000 F CFP.

En ce qui concerne la responsabilité de la Polynésie française du fait de l'extraction de matériaux sur la propriété des requérants :

8. M. et Mme A... sollicitent la réparation du préjudice subi du fait de l'extraction de matériaux sur leur propriété consécutivement aux travaux publics réalisés par la Polynésie française. Il résulte de l'instruction, et notamment du tableau produit par la Polynésie française, que la direction de l'équipement a extrait, au cours des travaux d'aménagement de la rivière Taharu'u, 45 497 m3 de matériaux de la propriété des requérants, après déduction des remblais. Si M. et Mme A... soutiennent que le volume de matériaux extraits s'élèverait à 57 550 m3, cette estimation ne ressort d'aucune pièce au dossier et notamment pas de l'estimation effectuée par un géomètre expert produite par les intéressés. Dès lors, et eu égard à l'important volume de matériaux extraits, M. et Mme A... justifient d'un préjudice grave et spécial résultant de l'exécution de travaux publics sur leur propriété. Dès lors, et compte tenu du prix au m3 non contesté de 2 780 F CFP, le préjudice subi du fait de l'extraction de ces matériaux doit être évalué à 126 481 660 F CFP ainsi que l'ont retenu les premiers juges.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... sont seulement fondés à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la Polynésie française à leur verser soit portée à la somme totale de 133 481 660 F CFP.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française le versement de la somme de 1 500 euros à M. et Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. et Mme A..., qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la Polynésie française et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La somme totale de 131 677 980 F CFP que la Polynésie française a été condamnée à verser à M. et Mme A... par le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du

7 juin 2022 est portée à la somme totale de 133 481 660 F CFP.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 7 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La Polynésie française versera à M. et Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., à Mme C... B... épouse A... et au président de la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.

La rapporteure,

G. D...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03512


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03512
Date de la décision : 05/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle DÉGARDIN
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : ANTZ

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-05;22pa03512 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award