Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner le centre hospitalier national ophtalmologique (CHNO) des Quinze-Vingts à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 19 650 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait d'un retard de diagnostic d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge.
Par un jugement n° 1814686/6-2 du 9 février 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné le CHNO des Quinze-Vingts à verser la somme de 7 600 euros à Mme D....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 avril 2021 et 9 décembre 2021, Mme D..., représentée par Me Lautredou, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 février 2021 ;
2°) d'ordonner une mesure d'expertise avant dire droit ;
3°) de condamner le CHNO des Quinze-Vingts à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 89 602,99 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des conditions de sa prise en charge au sein de cet établissement ;
4°) de mettre à la charge du CHNO des Quinze-Vingts la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du CHNO des Quinze-Vingts est engagée pour faute en raison d'une déficience dans sa prise en charge dès la fin de l'année 2011, ayant entraîné un retard de diagnostic de sa pathologie ;
- ces manquements lui ont fait perdre 50 % de chance d'échapper aux dommages qu'elle subit du fait du retard de traitement ;
- il y a lieu d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise avant dire droit, en vue d'éclairer la cour sur la déficience de sa prise en charge, de fixer la date de consolidation de son état de santé, et de permettre l'évaluation de l'intégralité de ses préjudices, qui se sont aggravés depuis la réalisation de l'expertise ordonnée par le tribunal ;
- elle est d'ores et déjà fondée à réclamer, à titre provisionnel, le versement de la somme de 2 372,99 euros au titre des dépenses de santé restées à sa charge, de 12 330 euros au titre des frais d'assistance par une tierce personne, de 10 000 euros au titre des souffrances endurées, de 9 900 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 45 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et de 10 000 euros au titre du préjudice esthétique.
Par un mémoire enregistré le 20 juillet 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, conclut à sa mise hors de cause.
Il fait valoir qu'aucune demande n'est formulée à son encontre et que les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies.
Par deux mémoires enregistrés les 29 novembre 2021 et 14 décembre 2021, le CHNO des Quinze-Vingts, représenté par Me Le Prado, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 février 2021 en tant qu'il a jugé que l'état de santé de Mme D... n'était pas consolidé.
Il soutient que :
- Mme D... n'est pas recevable à rechercher pour la première fois en appel sa responsabilité au titre d'un défaut de prise en charge à compter de l'année 2011 ;
- elle n'est pas davantage recevable à solliciter, en appel, une somme supérieure à celle sollicitée en première instance, dès lors que son préjudice ne s'est ni aggravé ni révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué ;
- la maladie de la requérante évoluant dorénavant pour son propre compte, l'état de santé de l'intéressée du fait du seul retard de diagnostic doit être regardé comme consolidé ; l'aggravation de ses préjudices est due à la maladie elle-même et non au retard de diagnostic ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par un arrêt avant dire droit du 6 décembre 2022, la cour a ordonné qu'il soit procédé à une mesure d'expertise médicale en vue notamment de préciser la date de consolidation de l'état de santé de Mme D... s'agissant des seuls dommages imputables au retard de traitement de cinq mois entre mai 2015 et octobre 2015, et de donner à la cour tous les éléments lui permettant d'évaluer l'ensemble des préjudices patrimoniaux et personnels subis par Mme D..., avant et après consolidation, strictement imputables au retard de traitement de cinq mois entre mai 2015 et octobre 2015.
L'expert, désigné par ordonnance de la présidente de la cour du 6 janvier 2023, a déposé son rapport le 21 avril 2023.
Par deux mémoires enregistrés les 22 mai 2023 et 31 mai 2023 le CHNO des Quinze-Vingts, représenté par Me Le Prado, persiste dans ses précédentes conclusions et demande en outre à la cour de ramener l'indemnité allouée à Mme D... à de plus justes proportions.
Par un mémoire enregistré le 23 mai 2023, Mme D..., représentée par Me Lautredou, maintient ses conclusions tendant à la réformation du jugement ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et demande à la cour de condamner le CHNO des Quinze-Vingts à lui verser la somme totale de 89 860,49 euros.
Elle soutient en outre que :
- le rapport d'expertise déposé le 21 avril 2023 doit être écarté dès lors qu'il remet en cause les conclusions du rapport d'expertise remis au tribunal en première instance, qu'il présente des contradictions et ne respecte pas la mission définie par l'arrêt avant dire droit ;
- le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé à hauteur de 11 237,50 euros ;
- l'assistance par une tierce personne jusqu'à la date de consolidation doit être évaluée à 11 250 euros ;
- les souffrances endurées doivent être évaluées à 10 000 euros ;
- le préjudice fonctionnel permanent doit être réparé par la somme de 25 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 9 juin 2023, l'ONIAM, représenté par Me Saumon, demande sa mise hors de cause, en l'absence de conclusions formulées à son encontre.
Vu :
- l'ordonnance de taxation des frais et honoraires d'expertise du 5 mai 2023 ;
- les autres pièces du dossier.
La clôture de l'instruction a été fixée au 12 juin 2023.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- les observations de Me Roblot, représentant Mme D...,
- et les observations de Me Le Prado, représentant le CHNO des Quinze-Vingts.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., née le 15 septembre 1940, a été régulièrement suivie entre 1998 et 2015 par le CHNO des Quinze-Vingts en raison d'une pathologie oculaire. Le 27 octobre 2015, une dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) est diagnostiquée lors d'une consultation à l'hôpital Cochin. Estimant que sa prise en charge par le CHNO des Quinze-Vingts a été défaillante et a entraîné un retard dans le diagnostic de sa pathologie, elle a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France qui, le 19 juillet 2017, a rejeté sa demande pour incompétence ; elle a également sollicité l'assureur de l'établissement, qui a fait réaliser une expertise et a rejeté sa demande indemnitaire. Saisi par Mme D..., le tribunal administratif de Paris a ordonné la réalisation d'une expertise par un jugement avant dire droit du 9 avril 2019. Un rapport a été déposé le 8 juillet 2020. La requérante relève appel du jugement du 9 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné le CHNO des Quinze-Vingts à lui verser la somme de 7 600 euros.
2. Par un arrêt avant dire droit du 6 décembre 2022, la cour a, d'une part, jugé que la responsabilité du CHNO des Quinze-Vingts était engagée du fait des conséquences dommageables d'un retard fautif de cinq mois dans le diagnostic de la DMLA de l'œil droit de la requérante, lequel a entraîné une perte de chance de 30% d'échapper aux dommages résultant de l'absence de traitement de la maladie durant cinq mois. La cour a, d'autre part, ordonné qu'il soit procédé à une mesure d'expertise médicale en vue notamment de préciser la date de consolidation de l'état de santé de Mme D... s'agissant des seuls dommages imputables au retard de traitement de cinq mois entre mai 2015 et octobre 2015, et de donner à la cour tous les éléments lui permettant d'évaluer l'ensemble des préjudices patrimoniaux et personnels subis par Mme D..., avant et après consolidation, strictement imputables au retard de traitement de cinq mois entre mai 2015 et octobre 2015.
Sur le rapport d'expertise remis à la cour le 21 avril 2023 :
3. Mme D... soutient que le rapport d'expertise déposé le 21 avril 2023 par le docteur C..., expert désigné par ordonnance de la présidente de la cour du 6 janvier 2023 à la suite de l'arrêt avant dire droit du 6 décembre 2022, doit être écarté dès lors qu'il remet en cause les conclusions du rapport d'expertise remis au tribunal en première instance, qu'il présente des contradictions et ne respecte pas la mission définie par l'arrêt avant dire droit. Toutefois, il ressort des termes du rapport du docteur C... que l'expert s'est borné à répondre à la mission déterminée par l'arrêt avant dire droit du 6 décembre 2022, en fixant la date de consolidation et en évaluant, sans que son rapport présente de contradictions, les préjudices subis par Mme D... du fait du retard de traitement de cinq mois entre mai 2015 et octobre 2015, sans se prononcer sur la responsabilité de l'établissement hospitalier. Il n'y a dès lors pas lieu de l'écarter, contrairement à ce que soutient l'appelante.
Sur les préjudices :
4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur C..., que la date de consolidation de l'état de santé de Mme D... du fait du retard de traitement de la DMLA dont elle est atteinte doit être fixée au 30 septembre 2020.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise cité au point précédent, qui prend en compte le taux de perte de chance de 30 % retenu par l'arrêt avant dire droit du 6 décembre 2022, que la requérante a subi un déficit fonctionnel temporaire de classe I, soit 10 %, durant cinq mois, de mai à octobre 2015. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 500 euros.
6. En deuxième lieu, Mme D... soutient que des frais médicaux en lien avec la faute imputable au CHNO des Quinze-Vingts sont restés à sa charge. Elle ne justifie cependant pas, en se bornant à renvoyer la cour aux pièces qu'elle produit, sans détailler les modalités de calcul de la somme qu'elle demande, ni notamment préciser les sommes exposées du fait du retard fautif de traitement de la DMLA, du caractère certain et direct de son préjudice. L'indemnisation qu'elle demande à ce titre doit donc être rejetée.
7. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la faute imputable au CHNO des Quinze-Vingts serait à l'origine de dommages impliquant l'assistance de Mme D... par une tierce personne, ni que le besoin que la requérante exprime, qui est lié à sa maladie, aurait été rendu plus important du fait de la faute commise. Il y a lieu par suite de rejeter la demande formée à ce titre.
8. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que les souffrances endurées par Mme D... doivent être évaluées entre 1 et 2 sur une échelle allant de 0 à 7. Si la requérante estime que cette évaluation doit être portée à 3,5, aucun élément du dossier ne permet de procéder à une telle réévaluation. Il y a lieu dans ces conditions d'évaluer la somme due à ce titre par l'établissement hospitalier à 600 euros.
9. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur C..., que le taux de déficit fonctionnel permanent imputable exclusivement à la faute commise par le CHNO des Quinze-Vingts, tenant à un retard de traitement entre mai et octobre 2015, doit être fixé à 3 %. Par ailleurs, Mme D... était âgée de quatre-vingts ans à la date de consolidation, le 30 septembre 2020. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant la somme due à ce titre par l'établissement hospitalier à 3 000 euros.
10. En dernier lieu, Mme D... soutient qu'elle subit un préjudice d'agrément dès lors qu'elle a dû réduire ses activités de loisir et ses déplacements. Il résulte cependant de l'instruction que les difficultés qu'elle expose sont en lien avec sa pathologie et que le retard de traitement de cinq mois imputable au CHNO des Quinze-Vingts ne les ont pas aggravées. La demande au titre du préjudice d'agrément ne peut donc qu'être rejetée.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 10 du présent arrêt que la somme devant être versée par le CHNO des Quinze-Vingts, en réparation des préjudices définitifs subis par Mme D... du fait de la faute qui lui est imputable, doit être fixée à 4 100 euros. Par suite, dès lors qu'il ressort des motifs du jugement attaqué que les premiers juges ont condamné l'établissement hospitalier à verser à l'intéressée, à titre provisionnel, la somme de 7 600 euros, le présent arrêt implique, dans le cas où l'intégralité de cette dernière somme aurait été perçue par Mme D..., le remboursement par l'appelante de la somme de 3 500 euros.
Sur les frais liés au litige :
12. Les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire droit du 6 décembre 2022 ont été taxés, par une ordonnance prise pour la présidente de la cour par son premier vice-président, le 5 mai 2023, à la somme de 1 850 euros. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre cette somme à la charge définitive du CHNO des Quinze-Vingts.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHNO des Quinze-Vingts, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'indemnité provisionnelle de 7 600 euros que le CHNO des Quinze-Vingts a été condamné à verser à Mme D... est ramenée à l'indemnité définitive de 4 100 euros. Dans l'hypothèse où Mme D... aurait déjà perçu l'indemnité provisionnelle de 7 600 euros que l'établissement hospitalier a été condamné à lui verser par le jugement n° 1814686/6-2 du
9 février 2021 du tribunal administratif de Paris, il lui appartiendra de rembourser au CHNO des Quinze-Vingts la somme de 3 500 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1814686/6-2 du 9 février 2021 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 850 euros, sont mis à la charge définitive du CHNO des Quinze-Vingts.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., au centre hospitalier national ophtalmologique des Quinze-Vingts, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.
La rapporteure,
G. A...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA01782