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28/06/2023 | FRANCE | N°22PA04168

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 28 juin 2023, 22PA04168


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 4 mars 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination vers lequel il sera éloigné et a pris à son encontre une décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois.

Par un jugement n° 2205352 du 17 mars 2022, le magistrat désigné par le président du

tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 4 mars 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination vers lequel il sera éloigné et a pris à son encontre une décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois.

Par un jugement n° 2205352 du 17 mars 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 12 septembre 2022, M. D..., représenté par Me Traoré, demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 2205352 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ou, à titre subsidiaire, d'annuler la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ;

2°) d'enjoindre au préfet compétent de réexaminer sa situation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au bénéfice de son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en écartant le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte, le juge de première instance a entaché le jugement attaqué d'une erreur de droit et d'un défaut de motivation ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'erreurs d'appréciation de la menace à l'ordre public qui lui est opposée et de l'atteinte portée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence, faute de justification d'une délégation de signature régulièrement publiée ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation de la menace à l'ordre public que constituerait sa présence en France et méconnaît les dispositions de l'article 27 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 ;

- en application de l'article 6 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, le préfet n'était pas tenu de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale, par voie d'exception, en conséquence de l'illégalité de la mesure d'éloignement sur laquelle elle se fonde ;

- elle méconnaît l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard des circonstances humanitaires dont il justifie.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit d'observation.

Par une décision du 9 août 2022, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande de M. D....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lorin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 4 mars 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a obligé M. D..., ressortissant algérien né le 28 août 1985, à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois. M. D... relève régulièrement appel du jugement du 17 mars 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et doit être regardé comme demandant l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. D'une part, le juge de première instance a répondu par une motivation suffisante au moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte au point 1 du jugement attaqué. D'autre part, il ressort de la lecture du point 3 de ce jugement que le juge, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par M. D..., a énoncé de manière suffisamment précise les éléments de droit et de faits pertinents au soutien de son raisonnement et les motifs par lesquels il a écarté le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté.

4. En second lieu, dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé de la décision en litige. Par suite, M. D... ne peut utilement soutenir que le premier juge a entaché son jugement d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation pour en obtenir l'annulation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. A... C..., chef du pôle instruction et mise en œuvre des mesures d'éloignement, qui disposait d'une délégation de signature consentie à cet effet par le préfet de la Seine-Saint-Denis par un arrêté n° 2022-0291 du 7 février 2022 régulièrement publié au bulletin d'informations administratives de la préfecture du 9 février 2022, contrairement à ce que soutient M. D.... Ce moyen doit par suite être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, les mesures de police doivent être motivées et " comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

7. D'une part, l'arrêté vise les textes applicables, notamment les dispositions des articles L. 611-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont le préfet de la Seine-Saint-Denis a fait application pour décider de son éloignement du territoire. Il mentionne également les éléments de fait propres à la situation personnelle de M. D... en énonçant qu'il ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'est pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. D'autre part, la décision refusant à M. D... l'octroi d'un délai de départ volontaire, prise au visa des articles L. 612-2 et suivants du même code, précise que le comportement de l'intéressé, interpellé pour des faits de menace réitérée de délit contre les personnes et signalé notamment pour des faits de violence sur conjoint, constitue une menace à l'ordre public, qu'il ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour, qu'il ne présente pas de garanties de représentation suffisantes dans la mesure où il est dépourvu d'un document de voyage en cours de validité et ne démontre pas disposer d'une résidence stable et effective. Enfin, cet arrêté vise les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur le fondement desquels la décision d'interdiction de retour sur le territoire français a été prise, mentionne la durée du séjour en France de M. D..., relève en particulier qu'il ne justifie pas de l'intensité et de l'ancienneté de liens personnels et familiaux en France, dès lors qu'il est divorcé et père de trois enfants sans démontrer qu'il contribue à leur entretien et à leur éducation et retient que la présence en France de M. D... constitue une menace à l'ordre public. Il énonce également que, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de douze mois, ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale. Il mentionne ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la décision interdisant à M. D... de retourner sur le territoire français tant dans son principe que dans sa durée. Par suite, l'arrêté contesté répond aux exigences de motivation posées par l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

8. En troisième lieu, si M. D... soutient que la menace à l'ordre public retenue à son encontre n'est pas caractérisée, il ressort des pièces du dossier qu'il a été interpellé le 3 mars 2022 pour des faits de menace réitérée de délit contre les personnes dont la tentative est punissable. En outre, le relevé de condamnation pénale produit à l'instance, édité le 5 février 2021, établit qu'il a été reconnu coupable de violences habituelles sur conjoint et condamné à une peine de douze mois d'emprisonnement délictuel assortis d'un sursis probatoire pour une durée de deux ans. Compte tenu de ces éléments et de la nature des délits commis par M. D..., dont le comportement délictuel a au demeurant conduit à d'autres signalements, le préfet de la Seine-Saint-Denis a pu retenir, sans commettre d'erreur d'appréciation ou méconnaître les dispositions de l'article 27 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen du 29 avril 2004, que la présence de l'intéressé sur le territoire français constituait une menace à l'ordre public de nature à justifier le refus d'accorder un délai de départ volontaire.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Si M. D... fait valoir qu'il est père de trois enfants scolarisés en France, il n'établit par aucune pièce justificative contribuer à l'entretien et à l'éducation de ses enfants dont la garde et l'autorité parentale exclusive ont été confiées à leur mère, dont il a indiqué être séparé depuis le 17 juin 2020. S'il ressort des pièces produites au dossier que l'intéressé est resté régulièrement en contact avec ses enfants dans le cadre des mesures mises en place par une ordonnance du juge aux affaires familiales du 15 septembre 2020 qui ont pris fin le 16 octobre 2021, il n'apporte aucune précision ni aucune pièce justificative susceptible de démontrer la nature des liens entretenus avec ses enfants à la date de l'arrêté litigieux. Il est par ailleurs constant qu'une procédure de divorce avec la mère de ses enfants avait été engagée depuis le mois de novembre 2021. Compte tenu de ces éléments, M. D... n'établit pas que le centre de ses intérêts privés et familiaux serait durablement établi en France, l'intéressé ne démontrant pas, par ailleurs, qu'il serait dépourvu de toute attache familiale en Algérie où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de trente ans. Enfin, il ne démontre aucune intégration professionnelle et sociale sur le territoire français en se bornant à produire des avis d'imposition sur lesquels ne figure aucun revenu. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a porté aucune atteinte au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit ainsi être écarté.

11. En cinquième lieu, M. D... ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre, des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à l'admission exceptionnelle au séjour qui ne prévoient pas la délivrance de plein droit d'un titre de séjour et ne sont pas applicables aux ressortissants algériens dont les conditions d'entrée et de séjour en France sont intégralement régies par l'accord franco-algérien. Il ne peut davantage utilement se prévaloir des orientations générales de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur.

12. En sixième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté ni d'aucun autre élément du dossier que le préfet de la Seine-Saint-Denis se serait estimé en situation de compétence liée en édictant la mesure d'éloignement contestée, à supposer ce moyen soulevé par M. D... qui fait valoir qu'une telle mesure n'est pas rendue systématique par l'article 6 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008.

13. En septième lieu, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai n'étant pas établie, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de cette décision, soulevé à l'encontre de la décision interdisant son retour pour une durée de douze mois, doit être écarté.

14. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ".

15. Si M. D... se prévaut de sa situation personnelle et familiale, les éléments de faits exposés au point 10 du présent arrêt ne sont pas susceptibles de caractériser des circonstances humanitaires de nature à faire obstacle à la mesure d'interdiction du territoire français prise à son encontre, tant dans son principe que dans sa durée. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit par suite être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles relatives aux frais liés à l'instance doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur et

des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 26 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Simon, premier conseiller,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 28 juin 2023.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04168


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04168
Date de la décision : 28/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : TRAORE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-28;22pa04168 ?
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