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14/06/2023 | FRANCE | N°22PA04883

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 14 juin 2023, 22PA04883


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 février 2022 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par une ordonnance n° 2213216 du 8 juillet 2022, le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure

devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 novembre 2022 et le 11 mar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 février 2022 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par une ordonnance n° 2213216 du 8 juillet 2022, le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 novembre 2022 et le 11 mars 2023, M. B..., représenté par Me Tisserant, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 8 juillet 2022 ;

2°) de renvoyer l'affaire au Tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle, ou, à défaut, au requérant au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que sa demande a été rejetée à tort comme étant manifestement irrecevable en raison de sa tardiveté et que, par suite, l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2023, le préfet de police déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour et, en cas d'évocation, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- c'est à tort que le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a considéré que la demande de M. B... était tardive et, par suite, irrecevable ;

- les moyens soulevés en première instance par M. B... ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 16 février 2023, l'association " Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués " (CIMADE), demande que la Cour fasse droit aux conclusions de la requête de M. B....

Elle se réfère aux moyens exposés dans la requête de M. B... et soutient, en outre, que le droit au recours effectif des étrangers est méconnu par l'accroissement de la pratique illégale de l'administration consistant à leur adresser par voie postale des obligations de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire.

La présidente de la Cour administrative d'appel de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale le 23 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,

- les observations de Me Wissaad, avocate de M. B...,

- et les observations de Mme A..., représentant la CIMADE.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant congolais (République démocratique du Congo), né en 1980, a sollicité le 27 septembre 2021 la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 18 février 2022, le préfet de police a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. B... fait appel de l'ordonnance du 8 juillet 2022 par laquelle le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté, comme manifestement irrecevable en raison de sa tardiveté, sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

Sur l'intervention de la CIMADE :

2. La CIMADE justifie d'un intérêt suffisant lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions présentées par M. B.... Dès lors, son intervention est recevable.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 de ce code : " (...) l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire [à l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français] dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public / (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure / (...) ". Aux termes du II de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " Conformément aux dispositions de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour (...) notifiées simultanément (...) ". Il résulte de ces dispositions que la notification par voie postale d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, et non par voie administrative, fait obstacle à ce que le délai de recours contentieux de quarante-huit heures prévu par les mêmes dispositions soit opposable au destinataire de cette mesure d'éloignement.

5. Enfin, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, par l'arrêté attaqué du 18 février 2022, le préfet de police a refusé d'assortir d'un délai de départ volontaire l'obligation de quitter le territoire français dont M. B... fait l'objet, au motif que le comportement de celui-ci constitue une menace pour l'ordre public. Il est constant que cet arrêté a été notifié à M. B... par voie postale, et non par voie administrative comme le prévoient les dispositions citées au point 3. Par suite, le délai de recours contentieux de quarante-huit heures, alors même que la notification de l'arrêté attaqué comporte l'indication de ce délai, ne lui était pas opposable, ni d'ailleurs le délai de recours contentieux de trente jours prévu à l'article L. 614-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et applicable aux seules obligations de quitter le territoire français assorties d'un délai de départ volontaire prises en application des 3°, 5° ou 6° de l'article L. 611-1 du même code. Enfin, il est constant que M. B... est réputé avoir eu connaissance de l'arrêté attaqué le 24 février 2022, date à laquelle il dit avoir reçu le pli postal contenant cet arrêté. Ainsi, la demande de l'intéressé tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 18 février 2022, qui a été enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Paris le 16 juin 2022, a été introduite en tout état de cause antérieurement à l'expiration du délai raisonnable d'un an mentionné au point 4. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir qu'en rejetant sa demande comme manifestement irrecevable en raison de sa tardiveté, le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a entaché l'ordonnance attaquée d'irrégularité. Cette ordonnance doit, dès lors, être annulée.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le Tribunal administratif de Paris pour qu'il statue à nouveau sur la demande de M. B....

Sur les frais liés au litige :

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de la CIMADE est admise.

Article 2 : L'ordonnance n° 2213216 du président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris du 8 juillet 2022 est annulée.

Article 3 : L'affaire est renvoyée devant le Tribunal administratif de Paris.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C... B..., à la CIMADE et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2023.

Le rapporteur,

M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,

C. JARDIN

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04883


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04883
Date de la décision : 14/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: M. Marc DESVIGNE-REPUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : CABINET MONTMARTRE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-14;22pa04883 ?
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