Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2006 et 2007 et d'enjoindre qu'il soit sursis au paiement de ces impositions.
Par un jugement n° 2012664/1-1 du 27 octobre 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2021, Mme D..., représentée par Me Besson, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2012664/1-1 du 27 octobre 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2006 et 2007 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a irrégulièrement fait application du délai spécial de reprise de dix ans prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales dès lors que les Iles Vierges Britanniques ne sont pas un état non coopératif depuis le 17 juin 2009, date de signature de l'accord de coopération administrative conclu avec la France ;
- en application de la décision du Conseil constitutionnel du 1er mars 2017 n° 2016-614 QPC, il n'y a pas lieu de faire application du forfait prévu par l'article 123 bis du code général des impôts, les impositions devant être établies sur la base des informations recueillies par l'administration, qui établissent le revenu réel à un montant inférieur à ce forfait ;
- le calcul du résultat réel de la société Balerton est entaché d'erreurs sur le prix d'acquisition des titres de la société Swiss Reinsurance Co et sur le nombre de titres de la société Total Capital cédés.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 mars 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 4 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 août 2022.
Un mémoire a été produit le 9 mai 2023 pour Mme D....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017 du Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'un contrôle sur pièce portant sur l'impôt sur le revenu dû au titre des années 2006 et 2007 par le foyer fiscal que Mme B... D... formait avec M. A..., son défunt mari, l'administration fiscale, au vu des éléments recueillis à la suite de deux demandes d'assistance administrative adressées aux autorités fiscales des Îles-Vierges-Britanniques le 16 octobre 2015, puis aux autorités fiscales de Guernesey le 22 octobre 2015, a réintégré dans les revenus déclarés du foyer fiscal, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, les revenus détenus par la société Balerton Marketing Limited, domiciliée aux Îles-Vierges-Britanniques, dont il est constant que l'unique ayant droit économique était, pour les années litigieuses, M. A.... Mme D... fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre des années 2006 et 2007.
Sur le délai de reprise :
2. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles 123 bis, 209 B, 1649 A et 1649 AA du même code n'ont pas été respectées et concernent un Etat ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales permettant l'accès aux renseignements bancaires. Ce droit de reprise concerne les seuls revenus ou bénéfices afférents aux obligations déclaratives qui n'ont pas été respectées. ".
3. L'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que : " (...) 3. Les bénéfices ou les revenus positifs mentionnés au 1 sont réputés acquis le premier jour du mois qui suit la clôture de l'exercice de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable établi ou constitué hors de France ou, en l'absence d'exercice clos au cours d'une année, le 31 décembre. Ils sont déterminés selon les règles fixées par le présent code comme si les personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables étaient imposables à l'impôt sur les sociétés en France. L'impôt acquitté localement sur les bénéfices ou revenus positifs en cause par la personne morale, l'organisme, la fiducie ou l'institution comparable est déductible du revenu réputé constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne physique, dans la proportion mentionnée au 1, à condition d'être comparable à l'impôt sur les sociétés. Toutefois, lorsque la personne morale, l'organisme, la fiducie ou l'institution comparable est établi ou constitué dans un Etat ou territoire n'ayant pas conclu de convention d'assistance administrative avec la France, le revenu imposable de la personne physique ne peut être inférieur au produit de la fraction de l'actif net ou de la valeur nette des biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable, calculée dans les conditions fixées au 1, par un taux égal à celui mentionné au 3° du 1 de l'article 39. "
4. Il est constant que les Îles-Vierges-Britanniques n'ont conclu avec la France une convention d'assistance administrative qu'à effet du 18 novembre 2010 et qu'il n'existait aucune convention antérieure, et notamment pendant les années 2006 et 2007 en litige. La circonstance que les autorités fiscales des Îles-Vierges ont répondu, en 2016, à des demandes d'information concernant lesdites années, ne révèlent pas, contrairement à ce que soutient la requérante, une entrée en vigueur rétroactive de cet accord d'échange de renseignements, puisque ce n'est qu'à compter de novembre 2010 que des échanges ont été rendus possibles, eussent-ils porté, dans les faits, sur des années antérieures. Il est tout aussi constant que les revenus en provenance de cet Etat et perçus par le foyer fiscal de la requérante au cours des années 2006 et 2007 n'ont fait l'objet d'aucune déclaration. Dans ces conditions, l'ensemble des conditions en étant remplies, l'administration était fondée à faire application du délai de prescription de dix ans prévu au 4ème alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales pour établir les impositions en litige.
Sur le montant des impositions en litige :
5. Pour établir les impositions en litige, l'administration a procédé à la reconstitution, à partir des éléments obtenus dans le cadre de l'assistance administrative, du chiffre d'affaires de la société Balerton Marketing Limited et, constatant que ce chiffre d'affaires reconstitué était inférieur au forfait prévu par le dernier alinéa du 3° précité de l'article 123 bis, a arrêté le montant des cotisations d'impôt sur le revenu mises à la charge de la requérante au montant de ce forfait.
6. Ainsi que l'a exactement rappelé le jugement attaqué, par une décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017 le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 123 bis précité était contraire à la Constitution en ce qu'il n'autorise pas le contribuable à apporter la preuve de ce que l'interposition d'une structure établie hors de l'Union Européenne ne poursuit pas un but de fraude fiscale, alors que cette possibilité est prévue lorsque l'entité est établie dans un État de l'Union et a jugé en outre que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter du 3 mars 2017. En revanche, les dispositions qui prévoient, s'agissant d'un État non coopératif ou n'ayant pas conclu de convention administrative avec la France, une valeur plancher au revenu imposable, calculée forfaitairement, ont été déclarées conformes à la Constitution, sous la réserve que le contribuable soit autorisé à apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l'intermédiaire de l'entité juridique est inférieur au revenu défini forfaitairement.
7. Pour contester la mise en œuvre, par l'administration fiscale, de l'imposition forfaitaire déterminée par le dernier alinéa du 3° précité de l'article 123 bis du code général des impôts, la requérante ne peut utilement se borner à relever que les seuls éléments en sa possession et en la possession de l'administration aboutissent à un montant de revenus perçus inférieur à ce forfait, dès lors que c'est sur elle que pèse la charge de prouver que le montant de ces revenus réellement percus serait inférieur à ce forfait, et qu'elle n'apporte pas cette preuve.
8. La requérante ne peut pas plus utilement soutenir que l'administration aurait commis, lors de la reconstitution du chiffre d'affaires de la société Balerton, deux erreurs de calcul, dès lors que de telles erreurs, à les supposer établies, auraient en tout état de cause pour seul effet de diminuer le montant de ce chiffre d'affaires reconstitué, mais aucunement de prouver que le revenu réellement perçu en provenance de cette société serait inférieur au revenu défini forfaitairement.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction nationale des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2023.
La rapporteure,
P. HAMONLe président,
C. JARDIN
La greffière,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA06548