Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 772 904 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'accident médical survenu le 12 mars 2016, avec intérêt au taux légal et capitalisation de ces intérêts à compter du 19 octobre 2017, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir.
Par un jugement n° 2103217/6-3 du 20 janvier 2022, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'ONIAM à verser à M. A... la somme de 65 427,35 euros en réparation de ses préjudices avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2021 et capitalisation au 23 janvier 2022 et chaque année à compter de cette date pour porter eux-mêmes intérêts.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 février 2022 et régularisée le 4 mars 2022, M. A..., représenté par Me Raffin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2103217/6-3 du 20 janvier 2022 du Tribunal administratif de Paris en ce qu'il a limité son droit à indemnisation au titre des pertes de gains professionnels futurs ;
2°) de confirmer la condamnation de l'ONIAM au versement de la somme de 35 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;
3) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 238 843,95 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 19 octobre 2017, sous astreinte de 300 euros par jour, à compter de la date de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- la solidarité nationale doit être engagée du fait de l'accident médical ayant entraîné la cécité de son œil droit après l'intervention chirurgicale réalisée le 12 mars 2016 au sein de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière ;
- les préjudices subis du fait de cet accident s'élèvent à la somme totale de 772 904 euros, soit 737 904 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs et 35 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.
Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 16 octobre 2022, l'ONIAM, représenté par Me Welsch, demande à la Cour :
1°) de confirmer le jugement n° 2103217/6-3 du 20 janvier 2022 du Tribunal administratif de Paris en ce qu'il a limité l'indemnisation de M. A... au titre des pertes de gains professionnels futurs à la somme de 30 427,35 euros ;
2°) de réformer ce jugement en ce qu'il a condamné l'ONIAM à verser la somme de 35 000 euros au titre de l'incidence professionnelle et de réduire à la somme de 25 000 euros l'indemnisation de ce poste de préjudice.
Il soutient que :
- les conditions d'engagement de la solidarité nationale peuvent être regardées comme réunies ;
- les sommes demandées par M. A... respectivement au titre du préjudice professionnel et de l'incidence professionnelle doivent être réduites à 31 853,90 euros et à 25 000 euros.
La requête a été communiquée à la CPAM de la Seine Saint Denis qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ho Si Fat, président assesseur,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été victime le 6 mars 2016 d'un traumatisme facial. Il s'est rendu au service des urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière où une fracture du plancher de l'orbite droite avec incarcération du muscle droit inférieur ainsi que du zygoma gauche ont été diagnostiquées. Le 12 mars 2016, une intervention a été pratiquée à la suite de laquelle M. A... a présenté une amaurose complète de l'œil droit. A la suite d'une imagerie par résonance magnétique (IRM) qui a permis d'identifier un hématome intraorbitaire comprimant le nerf optique, une nouvelle intervention a été réalisée, qui n'a pu empêcher une cécité complète de l'œil droit de M. A.... Le 27 octobre 2016, M. A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) d'Île-de-France, d'une demande d'indemnisation. Deux experts ont été désignés, lesquels ont déposé leur rapport le 13 juin 2017. A la suite de ce rapport, la CCI a estimé, dans un avis en date du 19 octobre 2017, que M. A... avait été victime d'un accident médical non fautif dont l'indemnisation relevait de la solidarité nationale.
2. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a fait deux propositions d'indemnisation à M. A... : la première d'un montant de 12 625 euros portant sur le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, le préjudice d'agrément et le préjudice esthétique permanent, qui a été acceptée le 5 février 2018 par l'intéressé, la seconde, d'un montant de 53 175,52 euros, portant sur les pertes de gains professionnels actuels, le déficit fonctionnel permanent ainsi que les frais d'assistance, qui a été également acceptée le 12 décembre 2018. Le 22 juin 2020, à la suite de différents échanges de courriers, l'ONIAM a fait une proposition d'indemnisation concernant le préjudice tiré de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle, pour un montant de 55 652,95 euros. Estimant qu'il existait un préjudice de perte de gains professionnels futurs distinct de celui de l'incidence professionnelle et que le montant proposé par l'ONIAM était insuffisant, M. A... a refusé cette dernière offre.
3. M. A... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'ONIAM à lui verser la somme totale de 737 904 euros à titre d'indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs qu'il estime avoir subis du fait de l'accident médical survenu le 12 mars 2016. Par jugement du 20 janvier 2022, dont M. A... relève appel, le tribunal a condamné l'ONIAM à lui verser la somme de 65 427,35 euros en réparation de ses préjudices avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2021 et capitalisation au 23 janvier 2022 et chaque année à compter de cette date pour porter eux-mêmes intérêts. Par la voie de l'appel incident, l'ONIAM demande la réformation du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les droits à indemnisation au titre de la solidarité nationale :
4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 13 juin 2017, que la fracture du plancher de l'orbite avec diplopie et incarcération musculaire dont souffrait M. A... nécessitait une opération chirurgicale, que la réalisation de l'intervention du 12 mars 2016 a été conforme aux règles de l'art, que l'hématome compressif révélé par l'IRM a été immédiatement pris en charge et traité de manière conforme aux règles de l'art, qu'en l'absence de l'intervention du 12 mars 2016, M. A... aurait été obligé de fermer l'œil en permanence et aurait eu une altération fonctionnelle de l'œil droit importante, non corrigible, non rééducable et permanente, que la survenance d'un hématome compressif du nerf optique est une complication imprévisible et inévitable dans la chirurgie de l'orbite et que son importance et ses conséquences ont été exceptionnelles dans le cas de M. A....
7. Il résulte également de l'instruction que du fait de l'accident médical survenu le 12 mars 2016, M. A... a subi un déficit fonctionnel permanent de 25 %. Dans ces conditions, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, s'agissant d'un accident médical non fautif, la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris ne saurait être retenue et la condition d'anormalité et de gravité du dommage ouvrant droit à la réparation au titre de la solidarité nationale doit être regardée comme remplie.
En ce qui concerne les préjudices :
8. Il résulte de l'instruction qu'à la date de l'accident médical, M. A... était titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée de chauffeur routier depuis 2014, qu'il a dû interrompre son activité en 2016 du fait de cet accident avant d'être licencié en 2018 pour inaptitude en raison de sa cécité partielle, a été contraint de chercher un nouvel emploi en vain et a bénéficié au cours des années 2019 et 2020 d'indemnités journalières ainsi que d'une allocation de retour à l'emploi. Dans ces conditions, il y a lieu d'indemniser M. A... au titre des années 2016 à 2018 et 2019 à 2020.
9. Il résulte également de l'instruction que M. A... bénéficiait d'un revenu annuel moyen de 22 547 euros avant l'accident médical. Pour déterminer le préjudice financier subi, il convient de soustraire au montant des revenus annuels moyens des années 2016 à 2020, les sommes qu'il a perçues de 27 418,17 euros en 2017 et 2018 au titre des indemnités journalières, 611,76 euros et 2 836,12 euros au titre de ses maintiens de salaires, 1 232,50 euros au titre d'indemnité de licenciement et 25 484,30 euros au titre des allocations d'aide au retour à l'emploi. Par suite, en déduisant ces sommes des revenus annuels auxquels M. A... aurait pu prétendre s'il avait conservé son emploi de chauffeur routier et en décidant de fixer à la somme de 30 427,35 euros le montant de l'indemnisation au titre de la perte de gains professionnels, les premiers juges ont fait une juste évaluation de ce préjudice.
10. En outre, il résulte de l'instruction que si M. A... a été licencié pour inaptitude à son poste de chauffeur routier et qu'il souffre d'un déficit fonctionnel permanent de 25 %, il ne serait pas dans l'incapacité d'effectuer une reconversion professionnelle ni d'avoir un autre type d'emploi que celui de chauffeur routier, dès lors que le médecin du travail qui l'a examiné a considéré qu'il était capable d'exercer une activité professionnelle. Par suite, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, le préjudice correspondant aux pertes de gains professionnels futurs n'est pas établi.
11. Toutefois, en raison de la cécité consécutive à l'accident médical survenu le 12 mars 2016, M. A... a perdu des chances d'évolution professionnelle, a connu une dévalorisation certaine sur le marché du travail puisqu'il a dû renoncer à la profession de chauffeur routier qu'il exerçait auparavant et a été contraint d'effectuer une reconversion. Dans ces conditions, en lui allouant une indemnité de 35 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'ONIAM à lui verser la somme de 65 427,35 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2021, date de la première demande, avec capitalisation de ces intérêts à compter du 23 janvier 2022 et chaque année à partir de cette date pour porter eux-mêmes intérêts. Les conclusions d'appel incident présentées par l'ONIAM doivent être rejetées par voie de conséquence.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Pa suite, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de l'ONIAM sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président de chambre,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2023.
Le rapporteur,
F. HO SI FAT
Le président,
R. LE GOFF
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00899