Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... G... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 30 septembre 2020 par laquelle le président directeur général du centre national de la recherche scientifique (CNRS) lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d'un an dont six mois avec sursis, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 20 octobre 2020.
Par un jugement n° 2020339 du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoires enregistrés le 30 août et le 30 novembre 2021, M G..., représenté par Me Guiorguieff, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2020339 du 30 juin 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle le président directeur général du centre national de la recherche scientifique (CNRS) lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d'un an dont six mois avec sursis, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 20 octobre 2020 ;
3°) de mettre à la charge du CNRS une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il méconnait les règles relatives à la charge de la preuve et est entaché d'erreurs de faits s'agissant, d'une part, du placement de plusieurs collaboratrices en arrêt maladie et du lien de cet arrêté avec les faits qui lui sont reprochés et, d'autre part, de l'existence de " propos déplacés et persistants visant à obtenir des faveurs sexuelles ", d'erreur de droit s'agissant des règles de prescription et d'erreur d'appréciation s'agissant de l'existence d'un harcèlement sexuel ;
- la décision du 30 septembre 2020 est insuffisamment motivée ;
- certains des faits pour lesquels il a été sanctionné étaient prescrits ;
- la décision est entachée d'erreur d'appréciation quant à l'existence d'un harcèlement sexuel et quant à l'existence d'une défaillance managériale ;
- la sanction retenue est disproportionnée au regard des faits reprochés.
Par des mémoires en défense enregistrés les 2 novembre 2021 et 3 février 2022, le Centre national de la recherche scientifique, représenté par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. G... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme K...,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique,
- et les observations de Me Guiorguieff, représentant M. G..., et de Me Cathelineau, représentant le centre national de la recherche scientifique.
Considérant ce qui suit :
1. M. G..., directeur de recherche de classe exceptionnelle du centre national de la recherche scientifique (CNRS), a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision en date du 30 septembre 2020 par laquelle le président directeur général du CNRS a prononcé à son encontre la sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d'un an dont six mois avec sursis ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 20 octobre 2020. Il relève appel du jugement du 30 juin 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaquée :
2. Il appartient au juge d'appel d'apprécier, au vu des moyens soulevés par les parties et des moyens d'ordre public, la régularité du jugement de première instance. En revanche, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, ce juge est saisi du litige et doit se prononcer non sur les motifs du jugement mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des décisions en litige. Par suite, M. G... ne peut, en tout état de cause, pas utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de faits, d'une erreur de droit ou d'une erreur d'appréciation, ou que les juges de première instance n'auraient pas correctement appliqué les règles en matière de charge de la preuve. Les critiques formulées par M. G... sur ces points relèvent en effet du bien-fondé du jugement et non pas de sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Par la décision attaquée du 30 septembre 2020, le président directeur général du CNR a infligé à M. G... une sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d'un an dont six mois avec sursis, au motif qu'il a commis des faits de harcèlement sexuel entre 2015 et 2019 alors qu'il dirigeait le Centre de Bio-informatique, Biostatistique et Biologie intégrative (C3BI), unité de service et de recherche (USR 3756), rattaché à l'institut Pasteur.
4. En premier lieu, M. G... reprend en appel le moyen, qu'il avait invoqué en première instance et tiré de ce que la décision attaquée est insuffisamment motivée. Il y a lieu de rejeter ce moyen par adoption des motifs retenu par le tribunal administratif de Paris aux points 2 à 7 de son jugement.
5. En deuxième lieu, en vertu de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction.
6. M. G... soutient que les faits qui seraient intervenus antérieurement au 22 avril 2016, date d'entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016 dont sont issues les dispositions citées au point 5, et qui ont été retenus au soutien de la sanction prononcée par la décision attaquée, sont prescrits en application de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983. Il ressort toutefois des pièces du dossier que si tant Mme E... que Mme F... ont saisi la cellule " risques psycho-sociaux ", en 2017 et en 2019 pour Mme E... et en 2017 pour Mme F..., et que Mme H... indique avoir informé deux collègues avant son départ en septembre 2016, seuls les témoignages recueillis par la mission conjointe CNRS et Institut Pasteur, après que Mme A... a été reçue par la responsable du service affaires juridiques et internationales RH de l'institut Pasteur, le 5 juillet 2019, s'agissant de faits dont il n'est au demeurant pas allégué qu'ils seraient prescrits, et qu'une enquête interne a été ouverte, à l'occasion de laquelle, notamment, outre Mme A..., Mme E..., Mme H... et Mme F... ont été auditionnées, ont permis au CNRS d'être informé de l'ampleur des faits et de leur répétition au cours de la période en cause. La procédure disciplinaire qui a débouché sur la décision du 30 septembre 2020 a été engagée le 16 juillet 2020, soit moins de trois ans après cette prise de connaissance effective. Par suite, M. G... n'est pas fondé à soutenir que certains des faits pour lesquels il a été sanctionné étaient prescrits.
7. En troisième lieu, la sanction contestée procède des constatations faites dans le cadre d'une enquête administrative diligentée par le service des ressources humaines de la délégation régionale Île-de-France Meudon du CNRS et la direction des ressources humaines de l'institut Pasteur, qui ont auditionné dix-sept personnes, dont Mme A... et M. G.... Les faits reprochés à ce dernier, qui correspondent à des propos et à des gestes à connotation sexuelle répétés, sont décrits précisément et de façon cohérente par les agents féminins concernés dans des témoignages écrits et annexés au rapport rendu le 8 juin 2020. Ils sont confirmés et étayés par des auditions devant la commission administrative paritaire le 9 septembre 2020. Ces témoignages émanent de personnes d'un niveau hiérarchique différent et dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles auraient des liens entre elles. M. G..., qui se borne à nier les faits ou à diminuer leur importance, ainsi que leur caractère volontaire, n'apporte aucun élément de nature à établir qu'ainsi qu'il le prétend, Mme F... et Mme A... auraient inventé les faits qu'elles lui imputent par déception amoureuse ou, s'agissant de cette dernière, pour l'évincer et prendre sa place comme chef du projet Inception, ou encore que les victimes auraient été instrumentalisées par l'Institut Pasteur et le CNRS. Ni les conclusions satisfaisantes du rapport d'évaluation du C3BI, ni les attestations de proches, de connaissances et d'anciennes relations professionnelles de M. G..., notamment de Mme J..., de M. B... et de Mme D... qui témoignent de ses compétences et de ses qualités humaines et qui indiquent soit ne pas avoir subi ou été témoin de tels faits, soit que certains comportements ou propos ont pu être mal ou sur-interprétés et qu'ils ne sont pas d'une gravité telle que cela permette de caractériser un harcèlement sexuel, ne sont de nature à remettre en cause la matérialité des faits reprochés. En particulier, dans son témoignage daté du 20 avril 2020, Mme D... conteste la qualification de harcèlement sexuel et, plus généralement, la façon dont l'enquête a été menée, à charge selon elle, sans apporter toutefois d'éléments démontrant que les témoignages, en particulier ceux de Mme A... et de Mme C..., avec qui elle a reconnu, lors de son audition le 7 novembre 2019, avoir discuté du comportement de M. G..., en indiquant avoir sous-estimé la situation s'agissant de Mme A..., ne seraient pas matériellement exacts. Enfin, ainsi que l'a relevé le tribunal au point 13 de son jugement, la mention qui figure sur la décision attaquée selon laquelle plusieurs des collaboratrices de M. G... ont été placées en arrêt-maladie est corroborée par les pièces versées au dossier disciplinaire, notamment, s'agissant de Mme A..., par le certificat médical établi le 19 décembre 2019 par son médecin traitant ainsi que celui établi le 24 décembre 2019 par le médecin du travail de l'institut Pasteur et, s'agissant de Mme E... et de Mme F..., par le rapport établi le 8 juin 2020 et les auditions des intéressées. La seule circonstance qu'aucun certificat médical n'a été produit par l'administration au dossier de l'instance, concernant Mme C... et Mme F..., ne suffit pas pour établir qu'elles n'auraient pas été effectivement placées en congé de maladie ainsi que le prétend M. G.... Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'erreurs de fait doit être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers (...) ". Il résulte de ces dispositions que sont constitutifs de harcèlement sexuel des propos ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante.
9. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'enquête interne et des nombreux témoignages précis, circonstanciés et convergents de ses collègues et d'agents ayant côtoyé M. G... dans ses fonctions de directeur du C3BI, que ce dernier s'est comporté, sur les lieux mêmes du service, de manière très familière avec plusieurs collaboratrices, dont certaines sous sa supervision hiérarchique, et qu'il a, en particulier, eu un comportement consistant en des propos et des gestes à connotation sexuelle, répétés, non désirés par leurs destinataires, et qui ont eu pour effet de porter atteinte à leur dignité. Le rapport élaboré dans le cadre de la procédure d'enquête fait ainsi état de la souffrance et du malaise de ces agents, dont certaines ont été placées en arrêt maladie, et d'autres ont décidé de s'éloigner en quittant le CNRS. Alors même qu'ils n'auraient pas eu pour finalité d'obtenir des faveurs sexuelles, ainsi que le soutient M. G..., de tels faits sont constitutifs de harcèlement sexuel, au sens des dispositions précitées de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit au regard de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 doit être écarté.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors en vigueur : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale (...) ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa version alors en vigueur : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation. Parmi les sanctions du premier groupe, le blâme et l'exclusion temporaire de fonctions sont inscrits au dossier du fonctionnaire. Ils sont effacés automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucune sanction n'est intervenue pendant cette période. Le fonctionnaire ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire des deuxième ou troisième groupes peut, après dix années de services effectifs à compter de la date de la sanction disciplinaire, introduire auprès de l'autorité investie du pouvoir disciplinaire dont il relève une demande tendant à la suppression de toute mention de la sanction prononcée dans son dossier. Un refus ne peut être opposé à cette demande qu'à condition qu'une autre sanction soit intervenue pendant cette période. La radiation du tableau d'avancement peut également être prononcée à titre de sanction complémentaire d'une des sanctions des deuxième et troisième groupes. L'exclusion temporaire de fonctions, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d'un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l'exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins d'un mois. L'intervention d'une exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ou d'une sanction disciplinaire du deuxième ou troisième groupe pendant une période de cinq ans après le prononcé de l'exclusion temporaire entraîne la révocation du sursis. En revanche, si aucune sanction disciplinaire, autre que l'avertissement ou le blâme, n'a été prononcée durant cette même période à l'encontre de l'intéressé, ce dernier est dispensé définitivement de l'accomplissement de la partie de la sanction pour laquelle il a bénéficié du sursis ".
11. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. G... a, entre 2015 et 2019, adopté envers plusieurs agents féminins affectés au sein du C3BI, dont des collaboratrices placées sous sa supervision hiérarchique, un comportement consistant en des propos et des gestes à connotation sexuelles, répétés, qui a eu pour effet de dégrader les conditions de travail et la santé d'une partie de ces agents et qui constitue un harcèlement sexuel de nature à justifier une sanction disciplinaire.
12. Eu égard à la gravité et au caractère réitéré des fautes commises par l'intéressé et aux conséquences pour les personnels féminins concernés, le CNRS n'a pas prononcé une sanction disproportionnée en prononçant une exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an assortie d'un sursis de six mois. Il suit de là que M. G... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige serait entachée d'erreur d'appréciation.
13. Il résulte de ce qui précède que M. G... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. G... le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. G... est rejetée.
Article 2 : M. G... versera au centre national de la recherche scientifique la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... G... et au centre national de la recherche scientifique.
Délibéré après l'audience du 20 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Perroy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mai 2023.
La rapporteure,
C. K...La présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04878 2