Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Arianespace a demandé au tribunal administratif de Montreuil de la décharger d'une somme de 607 491 euros, correspondant à l'application du mécanisme de plafonnement prévu par l'article 1 647 B sexies du code général des impôts aux impositions primitives de cotisation foncière sur les entreprises mises à sa charge, pour les années 2016 et 2017, au titre de ses installations situées sur la commune de Kourou en Guyane.
Par un jugement nos 2003257, 2003258 du 19 mai 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, un mémoire en réplique et de nouveaux mémoires dont le dernier n'a pas été communiqué, enregistrés les 19 juillet 2021, 20 janvier 2022, 18 février 2022 et 7 avril 2023, la société Arianespace, représentée par CMS Francis Lefebvre Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 19 mai 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de lui accorder la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de plafonnement de la cotisation foncière sur les entreprises qu'elle a formée concernant l'imposition de ses installations situées à Kourou n'était, en application de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, pas tardive ;
- en effet, d'une part, le centre spatial guyanais (CSG) qu'elle exploite sur les communes limitrophes de Sinnamary et Kourou constitue un établissement unique en sorte que le délai spécial de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, ouvert du fait de la rectification de l'imposition des locaux situés à Sinnamary, s'applique également à l'imposition primitive de ses locaux de Kourou ;
- d'autre part, en tout état de cause, les dispositions de l'article 1609 nonies C du code général des impôts, dont relève la communauté de communes des Savanes où se trouve son établissement, prévoient expressément que l'établissement public de coopération intercommunale se substitue aux communes membres pour l'application des dispositions relatives à la cotisation foncière des entreprises, de sorte que l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales s'applique aux établissements situés au sein d'une même intercommunalité de ce type.
Par des mémoires en défense dont le dernier n'a pas été communiqué, enregistrés le 19 novembre 2021 et les 10 et 24 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête. Il fait valoir qu'aucun des moyens qu'y soulève la société appelante n'est fondé.
Par une ordonnance du 21 février 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique,
- et les observations de Me Roche pour la société Arianespace.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre spatial guyanais (CSG), où se déploie l'activité de lancement spatial exploitée par Arianespace, consiste en une bande littorale de 60 kilomètres de long et de 20 kilomètres de large au sein de laquelle se trouvent, sur la commune de Kourou, les ensembles de lancement de la fusée Ariane auxquels s'est adjoint, en 2011, sur le territoire de la commune de Sinnamary, un ensemble de lancement Soyouz (ELS). L'administration a imposé par voie de rôles généraux à la cotisation foncière des entreprises, au titre des années 2016 et 2017, le siège social d'Arianespace situé à Evry-Courcouronnes et ses installations se trouvant sur la commune de Kourou, ces rôles ayant été respectivement mis en recouvrement les 31 octobre 2016 et 2017. C'est, en revanche, par voie d'impositions supplémentaires, mises en recouvrement le 30 novembre 2019, qu'elle a assujetti à la cotisation foncière des entreprises, au titre de ces mêmes années, les installations de l'ELS sises sur la commune de Sinnamary.
2. Les demandes de plafonnement en fonction de la valeur ajoutée prévu à l'article 1647 B sexies du code général des impôts au titre des années 2016 et 2017, que la société Arianespace a formées le 18 décembre 2019, ont fait l'objet, par décisions du 14 janvier 2020, d'une admission en ce qui concerne les seules installations situées sur la commune de Sinnamary, le surplus ayant été rejeté comme tardif en application de l'article R. 193-2 du livre des procédures fiscales. Par sa requête, la société Arianespace relève appel du jugement du 19 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes tendant à la décharge des sommes de 491 976 et 115 515 euros correspondant à l'application du mécanisme de plafonnement prévu par l'article 1647 B sexies du code général des impôts aux l'impositions primitives de cotisation foncière sur les entreprises mises à sa charge, pour les années 2016 et 2017, au titre de ses installations situées sur la commune de Kourou en Guyane.
Sur la recevabilité des réclamations préalables tendant à l'application de l'article 1647 B sexies du code général des impôts aux cotisations primitives dues au titre de l'établissement de Kourou :
3. D'une part, aux termes de l'article 1379 du code général des impôts : " I. - Les communes perçoivent, dans les conditions déterminées au présent chapitre : (...) / 4° La cotisation foncière des entreprises, prévue à l'article 1447 ; (...) ". Aux termes de son article 1473, ce même code prévoit que " La cotisation foncière des entreprises est établie dans chaque commune où le redevable dispose de locaux ou de terrains, en raison de la valeur locative des biens qui y sont situés (...) ". Son article 1609 nonies C dispose : " I. Les établissements publics de coopération intercommunale mentionnés au I de l'article 1379-0 bis sont substitués aux communes membres pour l'application des dispositions relatives à la cotisation foncière des entreprises et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et pour la perception du produit de ces taxes (...) ". Enfin, aux termes de son article 1379-0 bis : " I. - Perçoivent la cotisation foncière des entreprises (...) : (...) 3° Les communautés de communes issues de communautés de villes dans les conditions prévues par l'article 56 de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ainsi que les communautés de communes issues, dans les conditions prévues au II de l'article 51 de la même loi, de districts substitués aux communes membres pour l'application des dispositions relatives à la taxe professionnelle ; 4° Les communautés de communes dont le nombre d'habitants est supérieur à 500 000 (...) / II. - Perçoivent (...) la cotisation foncière des entreprises (...) dans les conditions prévues à l'article 1636 B sexies (...) : (...) 2° Les communautés de communes dont le nombre d'habitants est inférieur ou égal à 500 000, à l'exception de celles mentionnées au 3° du I. (...) / IV. - Les établissements publics de coopération intercommunale mentionnés aux II et III peuvent opter pour le régime fiscal prévu au I (...) ".
4. D'autre part, aux termes du premier alinéa du I de l'article 1647 B sexies du code général des impôts : " Sur demande du redevable effectuée dans le délai légal de réclamation prévu pour la cotisation foncière des entreprises, la contribution économique territoriale de chaque entreprise est plafonnée en fonction de sa valeur ajoutée ". Aux termes de l'article R. 196-2 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux procédures en litige : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts directs locaux et aux taxes annexes doivent être présentées à l'administration des impôts au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle, selon le cas : a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement (...) ". Aux termes de l'article R. 196-3 de ce même livre : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 174 du même livre : " Les omissions ou les erreurs concernant la taxe professionnelle, la cotisation foncière des entreprises et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises peuvent être réparées par l'administration jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due ".
5. Il résulte de ces textes que le contribuable à l'égard duquel l'administration met en œuvre le pouvoir de réparation des erreurs ou omissions que lui confère l'article L. 174 cité ci-dessus du livre des procédures fiscales en matière de contribution économique territoriale doit être regardé comme faisant l'objet d'une procédure de reprise au sens de l'article R. 196-3 du même livre, en application duquel il dispose, dès lors, pour présenter ses propres réclamations, d'un délai dont l'expiration coïncide avec celle du délai de répétition restant ouvert à l'administration elle-même. Dans le cadre de ce délai spécial, un contribuable peut ainsi présenter une réclamation relative non seulement aux cotisations supplémentaires mises à sa charge mais également à l'ensemble des cotisations primitives dues au titre de la même année dans les rôles de la même commune. Il en est ainsi, notamment, en cas de réclamation tendant à la réduction, par application des dispositions relatives au plafonnement en fonction de la valeur ajoutée, de la cotisation de contribution économique territoriale à laquelle le contribuable avait été primitivement assujetti.
6. En outre, l'article 1609 nonies C du code général des impôts prévoit que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité professionnelle unique énumérés au I de l'article 1379-0 bis de ce code se trouvent substitués aux communes membres pour l'application des dispositions relatives à la cotisation foncière des entreprises, en ce comprises celles de l'article 1473 du code général des impôts, dès lors que ces EPCI se trouvent seuls compétents pour voter le taux de la cotisation applicable à l'ensemble des communes de leur ressort et qu'ils sont l'unique affectataire de son produit. Il s'ensuit que lorsqu'une entreprise dispose de plusieurs établissements au sein de l'une des intercommunalités à fiscalité professionnelle unique définie au I de l'article 1379-0 bis du code général des impôts, l'intercommunalité se substituant intégralement aux communes constitutives s'agissant des dispositions concernant la cotisation foncière des entreprises, le contribuable est recevable à former une réclamation relative non seulement aux cotisations supplémentaires mises à sa charge mais également à l'ensemble des cotisations primitives dues au titre de la même année au sein de cette intercommunalité. Il en va nécessairement de même lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale a opté pour ce régime fiscal.
7. En l'espèce, il résulte de l'instruction que les communes de Sinnamary et Kourou sont membres du même établissement public de coopération intercommunale, la communauté de communes des Savanes. Or il résulte notamment de l'article 5 des statuts de cette communauté de communes modifiés le 15 septembre 2011 que cette intercommunalité a opté, en vertu du IV de l'article 1379-0 bis du code général des impôts, pour le régime de fiscalité professionnelle unique institué par le I de ce même article. Le ministre défendeur ne se prévaut par ailleurs pas de ce que l'intercommunalité aurait, au titre des années en litige, renoncé à cette option. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a retenu l'administration, la société Arianespace était recevable, en application de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, à former le 18 décembre 2019 une réclamation tendant à la réduction, par application des dispositions relatives au plafonnement en fonction de la valeur ajoutée, de la cotisation de contribution économique territoriale à laquelle elle a été primitivement assujettie, pour les années 2016 et 2017, au titre de ses installations situées dans la commune de Kourou, du fait de la rectification, le 30 novembre 2019, de la cotisation foncière sur les entreprises due pour ces mêmes années au titre des installations de Sinnamary.
8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a jugé que la demande dont la société Arianespace l'avait saisi était irrecevable. Son jugement en date du 19 mai 2021 doit, par suite, être annulé.
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par la société Arianespace devant le tribunal administratif de Montreuil.
Sur les demandes présentées par la société Arianespace devant le tribunal administratif de Montreuil :
10. Il y a lieu de joindre, pour statuer par une même décision, les demandes de la société Arianespace tendant à la décharge des sommes de 491 976 et 115 515 euros par application du plafonnement prévu par l'article 1647 B sexies du code général des impôts aux impositions primitives de cotisation foncière sur les entreprises mises à sa charge, pour les années 2016 et 2017, au titre de ses installations situées sur la commune de Kourou en Guyane.
11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir tirée, par l'administration, de la tardiveté des demandes de plafonnement formées le 18 décembre 2019 ne peut qu'être écartée.
12. En second lieu, il résulte de l'instruction que, par application des dispositions du I de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, la société Arianespace a droit au remboursement des sommes respectivement de 491 976 et 115 515 euros, dont l'administration ne conteste ni le principe ni le montant, résultant de l'incidence du mécanisme de plafonnement, à 3 % de la valeur ajoutée, sur les cotisations foncières des entreprises mises à sa charge, pour les années 2016 et 2017, au titre de ses installations situées sur la commune de Kourou en Guyane.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, une somme de 2 000 euros à verser à la société Arianespace en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 19 mai 2021 est annulé.
Article 2 : La société Arianespace est déchargée d'une somme de 607 491 euros, correspondant à l'application du mécanisme de plafonnement prévu par l'article 1 647 B sexies du code général des impôts aux l'impositions primitives de cotisation foncière des entreprises mises à sa charge, pour les années 2016 et 2017, au titre de ses installations situées sur la commune de Kourou en Guyane.
Article 3 : L'Etat versera à la société Arianespace une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Arianespace et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction des grandes entreprises, division des affaires juridiques.
Délibéré après l'audience du 20 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- M. Perroy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2023.
Le rapporteur,
G. A...
La présidente de la Cour,
P. FOMBEUR
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04061 2