Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 18 juin 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis en tant qu'il a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Par un jugement n° 2109940 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire, enregistrée le 9 décembre 2022, et un mémoire complémentaire enregistré le 16 décembre 2022, Mme A... épouse C..., représentée par Me Yacoub, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2109940 du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 18 juin 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une carte de séjour "Citoyen UE/EEE/Suisse" dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle est mariée, a deux enfants et remplit la condition de ressources en raison de l'activité professionnelle de son époux ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Mme B... a présenté son rapport au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... épouse C..., ressortissante roumaine née le 1er octobre 1996, est entrée en France en février 2009 selon ses déclarations. Elle a déposé une demande de titre de séjour en qualité de ressortissante de l'Union européenne auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis. Par un arrêté du 18 juin 2021, le préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée. Par un jugement du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 juin 2021. Mme A... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Contrairement à ce qu'a retenu le préfet de la Seine-Saint-Denis dans son arrêté litigieux, Mme A... épouse C... n'est pas dépourvue de charges de famille en France. Il ressort au contraire des pièces du dossier que l'intéressée s'est mariée le 25 août 2018 avec un ressortissant marocain en situation régulière sur le territoire français et que leur communauté de vie est établie depuis cette date. Le couple a eu un premier enfant le 8 juillet 2019 et un second enfant le
1er décembre 2021, dont la requérante était enceinte à la date de l'arrêté attaqué. Dès lors, dans les circonstances particulières de l'espèce, le refus de titre de séjour opposé à Mme A... épouse C... a porté au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que le mari de l'intéressée est employé sous contrat à durée indéterminée depuis juillet 2019 en qualité de peintre, déclare ses revenus et dispose de ressources stables. D'une part, l'avis d'impôt sur le revenu 2020 pour les revenus de l'année 2019, certes antérieur à la décision litigieuse, mentionne les deux déclarants, pour 2,5 parts (en tenant ainsi compte du 1er enfant du couple, né le 8 juillet 2019) pour un revenu fiscal de référence de 14 912 euros (11 908 euros pour elle, 4 661 euros pour lui) et un revenu réel avant abattements fiscaux de 16 569 euros, soit 1 380 euros mensuels ; d'autre part, les bulletins de paie du mari de la requérante, produits pour la première fois en appel, pour la période allant de janvier à septembre 2022, certes postérieure à la décision contestée, qui mentionnent une date d'entrée dans l'entreprise au 1er juillet 2019, font état d'une rémunération mensuelle allant de 1 423 à 1 515 euros. Ainsi, la prise en considération de ces éléments faisait obstacle à ce que le préfet de la Seine-Saint-Denis, sans investigation complémentaire, puisse estimer, comme il l'a fait dans la motivation de la décision de refus querellée, " que Mme D... A... épouse C... ne justifie pas d'une activité professionnelle ou disposer de ressources suffisantes pour elle et les membres de sa famille afin de ne pas devenir une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale français ".
5. Dès lors, la décision refusant de délivrer à Mme A... épouse C... un titre de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel elle sera éloignée.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... épouse C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans la situation de l'intéressée, que le préfet de la Seine-Saint-Denis délivre à Mme A... épouse C... une carte de séjour temporaire. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la mise à disposition du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... épouse C... de la somme de 1 000 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2109940 du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 18 juin 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer un titre de séjour à
Mme A... épouse C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... épouse C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Claudia-Cristina A... épouse C..., au préfet de la Seine-Saint-Denis et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 14 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.
La rapporteure,
G. B...Le président,
I. LUBEN
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA05242