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16/05/2023 | FRANCE | N°22PA02549

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 16 mai 2023, 22PA02549


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 90 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'infection survenue à la suite de l'intervention chirurgicale du 10 mai 2016 à l'hôpital Cochin et d'ordonner, avant dire droit, une mesure d'expertise.

Par un jugement n° 2012880/6-3 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a ordonné, avant dire droit, une mesu

re d'expertise médicale, a rejeté les conclusions à fin de provision et a réser...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 90 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'infection survenue à la suite de l'intervention chirurgicale du 10 mai 2016 à l'hôpital Cochin et d'ordonner, avant dire droit, une mesure d'expertise.

Par un jugement n° 2012880/6-3 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a ordonné, avant dire droit, une mesure d'expertise médicale, a rejeté les conclusions à fin de provision et a réservé le surplus des conclusions des parties jusqu'en fin d'instance.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 3 juin 2022 et le 6 décembre 2022, M. A..., représenté par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 avril 2022 ;

2°) de condamner l'AP-HP à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 90 000 euros ;

3°) d'ordonner une mesure d'expertise avant dire droit ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté toute faute imputable à l'AP-HP en raison d'un défaut d'indication opératoire ;

- le défaut d'information préalable imputable à l'AP-HP implique la réparation intégrale de ses préjudices et non d'une seule perte de chance de 50 % ;

- le jugement attaqué doit être réformé s'agissant de la détermination de la mission de l'expert ;

- il est fondé à demander le versement d'une provision de 90 000 euros compte tenu de ses préjudices temporaires déjà connus.

Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2022, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise ne s'oppose pas à la demande de désignation d'un expert.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2022, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, conclut au rejet de la requête ou, à titre subsidiaire, à ce que le montant des demandes soit ramené à de plus justes proportions.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par deux mémoires enregistrés les 14 novembre 2022 et 21 décembre 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'étendre la mission d'expertise.

Il soutient que :

- la contestation par M. A... de la mission de l'expert n'est pas recevable dès lors qu'il s'en est remis à la sagesse du tribunal en première instance ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 9 janvier 2023.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de la sécurité sociale,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- les observations de Me Voitellier, représentant M. A...,

- et les observations de Me Tsouderos, représentant l'AP-HP.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 29 janvier 1959, est atteint d'une agénésie du membre inférieur droit, en raison de laquelle il a subi depuis sa naissance plusieurs interventions chirurgicales. À l'âge de quatorze ans lui a été posée une plaque d'ostéotomie fémorale. Le 9 août 2013, il a été victime d'un accident du travail, entraînant dans les mois suivants des douleurs à la cuisse et au genou droits, également liées à de l'arthrose, et ayant eu pour conséquence de réduire son périmètre de marche. Il est opéré le 10 mai 2016 à l'hôpital Cochin, en vue de l'ablation de la plaque d'ostéotomie fémorale et de la mise en place d'une prothèse totale de hanche. Quelques jours après l'intervention, M. A... est victime d'une infection et est de nouveau hospitalisé à l'hôpital Cochin ; il y est placé sous antibiothérapie et opéré pour un " large lavage de la zone fémorale " ; des prélèvements révèlent une infection à staphylocoques dorés. L'évolution n'étant pas favorable, une nouvelle intervention a eu lieu le 11 juin 2016. Après une amélioration, les douleurs infectieuses se sont poursuivies durant les deux années suivantes, des prélèvements ayant également révélé en février 2017 et juillet 2017 la présence de germes Propionibacterium acnes. M. A... est suivi à partir de mai 2018 à l'hôpital Raymond Poincaré de Garches, où a été pratiquée en septembre 2018 une biopsie osseuse mettant en évidence la présence de bactéries résistantes. Il a subi en octobre 2018 et février 2019 de nouvelles opérations chirurgicales, notamment une greffe osseuse, qui après plusieurs séances de réadaptation kinésithérapique lui a permis de se déplacer à l'aide de cannes anglaises.

2. Le 22 août 2017, M. A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) d'Île-de-France, qui a ordonné une expertise. Un rapport a été déposé le 27 novembre 2017 et par un avis du 21 juin 2018, la CCI a estimé que l'AP-HP devait assurer la réparation de l'intégralité des préjudices subis par l'intéressé du fait de l'intervention initiale du 10 mai 2016. L'AP-HP a refusé de suivre cet avis, et l'ONIAM n'a pas entendu se substituer à l'AP-HP. M. A... relève appel du jugement du 7 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de provision et a ordonné, avant dire droit, une mesure d'expertise en vue notamment de déterminer la date de consolidation de son état de santé et de préciser le taux de déficit fonctionnel permanent imputable à l'intervention du 10 mai 2016, permettant d'évaluer l'indemnisation due par l'AP-HP et, le cas échéant, l'étendue de la réparation devant être assurée par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Sur la responsabilité :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

4. M. A... soutient que l'opération chirurgicale du 10 mai 2016 n'était pas indiquée, comme l'a estimé la CCI dans son avis du 21 juin 2018. Toutefois, si les experts ont certes relevé le caractère aléatoire et risqué de celle-ci en raison notamment de l'ancienneté de la plaque d'ostéotomie fémorale portée par l'intéressé depuis plus de quarante ans, de ses antécédents cardiovasculaires et de son obésité morbide, ils ont considéré que le choix de cette stratégie thérapeutique était conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science et ont conclu que l'indication opératoire était tout à fait justifiée. Par ailleurs, l'acte lui-même, complexe, a également été réalisé dans les règles de l'art. Le requérant n'est par suite pas fondé à rechercher la responsabilité de l'AP-HP du fait de l'indication opératoire et des conditions de réalisation de l'intervention du 10 mai 2016.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. ".

6. Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

7. M. A... estime que le défaut d'information par les services de l'AP-HP quant aux risques et complications possibles de l'intervention, susceptibles notamment d'augmenter le risque infectieux, retenu par les premiers juges et non sérieusement contesté en appel par l'administration hospitalière, implique une réparation de l'intégralité de ses préjudices. Il résulte cependant de l'instruction que si l'acte chirurgical en cause, décidé près de trois ans après l'accident du travail de M. A... en raison de l'échec du traitement initial, ne présentait pas de caractère urgent, il était néanmoins rendu nécessaire du fait de l'évolution de la coxarthrose et de la gonarthrose affectant M. A..., qui aurait entraîné à " plus ou moins brève échéance " selon les experts, une invalidité impliquant des déplacements en fauteuil roulant. Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le taux de perte de chance de 50 % de M. A... de se soustraire, en renonçant à l'opération, au risque infectieux qui s'est réalisé.

Sur la mission de l'expert :

8. Contrairement à ce que soutient M. A... en appel, les éléments dont disposaient les premiers juges ne leur permettaient pas de déterminer le montant de l'indemnisation due par l'AP-HP et, le cas échéant, par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, dès lors que l'intéressé a été victime d'une infection nosocomiale dont le taux d'incapacité permanente partielle en résultant n'était pas encore connu. Le tribunal ayant par ailleurs imputé à l'AP-HP une part de responsabilité de 50 % du fait du défaut d'information mentionné au point 7 du présent arrêt, et retenu que l'administration hospitalière avait en outre commis une faute en administrant au patient une antibioprophylaxie dont la dose n'était pas adaptée à son poids, favorisant de ce fait la survenue de l'infection nosocomiale, l'expertise qu'ils ont ordonnée avant dire droit devait nécessairement avoir pour objet, outre la détermination des préjudices définitifs, le recueil des éléments leur permettant de fixer la réparation due par l'AP-HP et le cas échéant par l'ONIAM. M. A... n'est par suite pas fondé à soutenir que la mission d'expertise définie par les premiers juges doit être réformée, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'ONIAM.

Sur la demande de provision :

9. Comme il a été dit au point 8 du présent arrêt, les éléments produits au dossier ne permettent pas, en l'état de l'instruction, de déterminer avec une précision suffisante le montant de la somme due par l'AP-HP du fait des fautes qui lui sont imputables, s'agissant tant de l'étendue de la part d'indemnisation devant être mise à sa charge que de l'évaluation des préjudices définitifs subis par M. A.... Les conclusions indemnitaires présentées à titre provisionnel par ce dernier ne peuvent par suite qu'être rejetées.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement avant dire droit attaqué, le tribunal administratif de Paris a ordonné une mesure d'expertise médicale dont il a fixé la mission, a rejeté ses conclusions à fin de provision et a réservé le surplus des conclusions des parties jusqu'en fin d'instance.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement à M. A... d'une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère,

- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.

La rapporteure,

G. B...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA02549


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02549
Date de la décision : 16/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : AARPI JASPER ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-05-16;22pa02549 ?
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